«Les lignes de fuite sont les plus
belles, mais elles comportent le plus grand risque, c’est de se
transformer en lignes de mort» (Antonin Artaud).
Interview de René Naba. Propos
recueillis par Mayssa Ibrahim pour le site Al Ahd, site libanais de
soutien à la résistance nationale libanaise.
Une posture d’orgueil à l’arrière-plan d’une nostalgie de grandeur
Paris-Beyrouth/ Mayssa Ibrahim/
Al Ahd – La France a saisi le Conseil de Sécurité pour déférer
l’ensemble du contentieux sur les crimes de guerre commis en Syrie à la
Cour Pénale Internationale. Pourquoi cet intérêt soudain pour la justice
internationale, alors que les djihadistes ont retenu en otage, pendant
des mois, des religieuses et des journalistes français, sans la moindre
condamnation française? S’agit-il d’un lâchage des djihadistes ?
RN: En préambule, je souhaite expliquer
la psychologie des Français sur la base des faits historiques avérés.
Ils ont tendance à mésestimer leurs adversaires. Un trait de caractère
constant. Cela leur a joué un sale tour dans le passé, mais ils ne
retiennent pas les leçons. Ils récidivent et chaque fois en pire. A
propos de la Cour Pénale Internationale, ils prennent les Russes et
Syriens pour des imbéciles, alors que ses deux alliés campent sur une
position avantageuse sur le terrain. De surcroît, Damas a quasiment
rempli les conditions sur la destruction de son arsenal chimique et
Bachar Al Assad, qui devait tomber chaque quinzaine selon les stratèges
occidentaux, a entamé un troisième mandat présidentiel. Mais la ficelle
est un peu grosse. Cela n’a trompé personne.
Primo: Sous cette apparence
d’équidistance et d’impartialité, la France veut piéger en fait Bachar.
Le pouvoir français qui digère mal sa réélection a voulu le discréditer
en accréditant dans l’opinion occidentale l’idée que le président syrien
est sans légitimité, un repris de justice. Les djihadistes vont
s’évanouir dans la nature, des comparses comparaitront pour faire bonne
mesure. La pression sera alors mise sur Bachar. Etant sur place il est
susceptible de recevoir un mandat de comparution. Une résolution du
Conseil de sécurité autorisant la saisine de la justice internationale
constituerait un justificatif, en fait un alibi, pour les Occidentaux
pour une intervention militaire en Syrie dans une guerre globale tant
contre les djihadistes que contre Bachar Al Assad. Les djihadistes sont
un alibi occidental.
Deuxio: Admettons pour la démonstration
que les djihadistes soient déférés devant la justice internationale,
cette mesure souligne, d’une manière patente, la duplicité et
l’ingratitude occidentale. Les djihadistes qui ont été les alliés des
Occidentaux sont donc désormais passibles d’être poursuivis par la
justice internationale, alors qu’ils ont fait le «sale boulot» pour le
compte de la France. C’est la deuxième fois qu’ils se font abuser et que
l’on se moque d’eux. En Afghanistan et en Syrie.
Tertio: Sous Laurent Fabius, le Quai
d’Orsay pratique une politique quelque peu tortueuse. Le Quai d’Orsay ne
se gêne pas de côtoyer des terroristes. Il a reçu dernièrement Abdel
Hakim BelHadj pour un éventuel arrangement politique, alors que ce chef
djihadiste de Tripoli (Libye) a été poursuivi pendant dix ans par l’Otan
dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme». Autre exemple, lors
de la libération des journalistes français otages en Syrie des
djihadistes pendant près d’un an, Laurent Fabius a pointé l’usage du
Chlore dans les combats, sans la moindre allusion au comportement
crapuleux des preneurs d‘otage.
Doit-on en conclure que les «terroristes
amis» sont des amis et les terroristes non amis sont de «dangereux
terroristes». A un certain niveau de responsabilité, il serait avisé
d’être sérieux dans ses propos et respectueux des propres principes que
l’on professe.
Quarto: Laurent Fabius pointe le fait
que la Syrie n’a pas adhéré à la charte portant création de la Cour
Pénale Internationale. Soit. Mais que dire des Etats Unis? Que dire
d’Israël? Des amis de la France, donc excusables? Curieux que la saisine
de la justice internationale ne concerne pas les incubateurs des
djihadistes. Est-ce là aussi parce qu’il s’agit des bailleurs de fonds
des économies défaillantes occidentales, l’Arabe saoudite et le Qatar?
Une justice sélective est contreproductive. Laurent Fabius avait proposé
au début du conflit la réforme du droit de veto du Conseil de sécurité.
Mais sa proposition s’est révélée contreproductive pour Israël, il l’a
alors enterré sans autre forme de procès. Il en sera de même pour la
Cour Pénale Internationale en ce que la Russie et la Chine ont opposé
leur veto. En quatre ans de guerre de Syrie, Russes et Chinois ont usé à
4 reprises de leur droit de veto, en tandem et la dernière fois, le 22
Mai 2014, alors qu’ils se trouvaient à bord d’un navire de commandement
de la flotte russe pour ordonner des manœuvres conjointes navales. Le
message est clair. Le groupe de Shanghai veut avoir son mot à dire dans
la gestion des affaires internationales. Mais ni la France ni les Etats
Unis ne pourront accepter une défaite cuisante sur deux points chauds de
l’actualité (Syrie et Ukraine), la même année. Alors ils chercheront un
autre angle d’attaque.
Mayssa Ibrahim -Al Ahd: L’Europe
s’inquiète du danger djihadiste et a pris des mesures en conséquence
pour freiner leur afflux en Syrie. Croyez-vous à l’efficacité de telles
mesures?
RN: La France baigne dans la confusion
et se trouve dans l’impasse quatre ans après le déclenchement de la
guerre de Syrie. Elle est à plaindre, particulièrement le tandem
Hollande/Fabius, auparavant le duo Nicolas Sarkozy et Alain Juppé,
devant le gâchis provoqué par leur politique tant en Syrie qu’en
France. Son plan de lutte contre le djihadisme interne sera d’une
efficacité toute relative; D’une part, elle se trouve en porte à faux
vis à vis de ses djihadistes qui sont théoriquement ses alliés
objectifs [1]. D’autre part, le djihadisme relève de nombreuses
motivations: En premier lieu, le combat contre le pouvoir syrien a été
encouragé par la propagande officielle française. En deuxième lieu, le
levier djihadiste en France a été amplifié par un désir d’exaltation et
de compensation des aspirants djihadistes devant un fort sentiment de
frustration généré par les contraintes des dures réalités quotidiennes
d’un pays en crise économique, exacerbée par une islamophobie ambiante [2].
«Les lignes de fuite sont les plus belles, mais elles comportent le
plus grand risque, c’est de se transformer en lignes de mort» (Antonin
Artaud).
Les djihadistes français aussi pâtissent
de la même pathologie. Le fait que la Syrie soit prioritaire à leurs
yeux et non la Palestine donne la mesure de l’inversion mentale de ces
personnes. Les Arabes sont récidivistes dans ce domaine, ce qui est
d’une grande gravité. C’est la deuxième fois en trente ans, que la
religion musulmane est instrumentalisée pour dévier le combat de
libération de la Palestine. La première fois ce fut en Afghanistan
(1980-1989) où pendant près de dix ans, 50.000 arabo afghans ont
combattu l’Union soviétique, le principal fournisseur de matériel
militaire aux arabes à l’époque, sans titrer le moindre coup de feu en
faveur de la Palestine.
Les pays occidentaux, mais d’une manière
particulière, le pouvoir français sont dans une impasse. Pendant trois
ans, ils ont conditionné l’opinion sans la moindre critique à l’égard
des excès des djihadistes. Il importait pour eux de gagner, sans trop
regarder sur les moyens employés. Ils s’étonnent aujourd’hui des
conséquences néfastes de leur propagande. Ils récoltent ce qu’ils ont
semé. Quand tu chauffes à blanc des esprits fragiles, tu en subis les
conséquences. C’est le propre de la démagogie.
Dans un premier temps, l’engagement
djihadiste en Syrie a épargné aux Occidentaux le péril d’une
intervention aléatoire, en leur laissant faire la sale besogne à leur
place, c’est-à-dire, affaiblir la Syrie et détourner le Hezbollah de son
point de mire israélien. Dans un deuxième temps, l’effet boomerang
s’est révélé catastrophique sur eux. Des journalistes français pris en
otage par les alliés de la France, le meilleur allié de la France, le
Qatar, sinistre, via Ansar Eddine, le Mali, un pays relevant du pré
carré français en Afrique; deux faits qui ont révélé la duplicité de la
France plaçant le pouvoir dans une situation intenable devant son
opinion, rendant surtout caduc son discours moralisateur.
Mayssa Ibrahim –Al Ahd: La
nouvelle stratégie française de prévention de la prolifération
djihadiste prévoit trois niveaux d’intervention: le renseignement, le
repérage et la prévention de la France de l’Islam radical. Quelle
catégorie est visée par ce plan ?
RN: Le plan est entré en action avant
son annonce. N’oublions pas que la France compte près de six millions de
personnes d’origine arabo-musulmane, et qu’il a longtemps paru commode,
en vue de freiner l’intégration des arabo musulmans dans les luttes
revendicatives (syndicats, partis politiques de gauche) de les
aiguillonner vers le communautarisme et les revendications associatives
et cultuelles. Depuis l’Affaire Mohamad Merah (fusillade d’une école
juive, assassinat de soldats français, en février 2012), les services
français ont changé de fusil d’épaule, et plutôt que d’instrumentaliser
des musulmans pour des opérations d’infiltration et de repérage, ont
commencé à traquer les djihadistes en ce que l’alliance de la France
avec les régimes rétrogrades arabes, sous couvert de lutte pour la
démocratie, a libéré les tabous et provoqué beaucoup de vocations. Quand
vous encouragez quelqu’un à mettre le feu sur une nappe inflammable,
vous savez quand vous mettez le feu, mais vous ne savez pas comment le
feu va prendre, ni quelle sera son intensité et son ampleur. C’est le
propre de l’apprenti sorcier. Les pompiers peuvent éteindre l’incendie,
mais pas empêcher les dégâts.
Mayssa Ibrahim-Al Ahd: Ce plan anti djihad aura-t-il un impact sur la liberté d’expression en France?
RN: La censure est subtile et sournoise
en France. Quiconque la brave, en paie un prix très fort. Tous les
grands médias sont aux mains des grands groupes militaro-industriels, Le
Monde, propriété du trio financier BNP (Bergé, Niel, Pigasse), le
Figaro (l’avionneur Dassault) Europe 1 du marchand d’armes Lagardère,
TFI du bétonneur Bouygues. Au sein de chaque rédaction se niche un agent
d’influence de la diplomatie française. Pour le Monde ce fut Ignace
Leverrier, un faux nom d’un ancien servant français à Damas, Wladimir
Glassman, qui traquait toute pensée dissidente, une grande oreille
doublée de son fils Frank Glassman, la grande gueule de
l’administration. La bataille médiatique de Syrie a obéi à un schéma
très simple. Tous ceux qui étaient hostiles à la politique du
gouvernement français étaient considérés comme des traitres. La France
pourtant est un pays qui a connu de graves dérives et de grands délires
(la collaboration de Vichy avec l’Allemagne nazie, les tortures de la
guerre d’Algérie). Elle devrait tolérer la critique pour sa propre
sauvegarde. Dans quelques années, il y a fort à parier, que les
Français vont se mordre les doigts pour leur passivité et leur
aveuglement.
Mayssa Ibrahim-Al Ahd: Un
colloque se tient en France du 9 au 25 juin pour un échange d’expertise
sur le domaine du djihadisme et une session de formation à la lutte
contre le terrorisme et de prévention pour la protection de la famille
et de l’enfance.
RN: La France va se livrer à de
l’agitation pour détourner l’attention sur le revers représenté par la
réélection du président Bachar Al Assad. La France fait face à de
nombreux dangers, le danger djihadiste qu’elle a provoquée, mais aussi
le grand banditisme (voir les règlements de compte quasi quotidiens à
Marseille en en Corse), la corruption de ses élites (DSK, Bernard
Cahuzac, le financement libyen de la campagne électoral de Nicolas
Sarkozy, l’affaire Bettencourt, les rétro-commissions du Pakistan,
Bygmalion etc..). Les sessions de formation détournent l’attention.
La classe politique française n’est pas
crédible. Il lui faut balayer devant sa porte. Reconquérir la confiance
et le respect du peuple. Ce qui importe, c’est de contraindre la classe
politique à une moralisation de la vie politique, d’observer un
comportement exemplaire dans la gestion des affaires et un strict
respect de la liberté d’opinion. Pour le tandem Hollande Fabius, faire
face au désaveu électoral illustré par les deux défaites majeures du
printemps 2014 (municipales et européennes). «Championne d’Europe de
l’extrême droite», la France vit une crise économique doublée d’une
crise politique et d’une crise morale. Piteux bilan.
Mayssa Ibrahim-Al Ahd: Les
djihadistes français en Syrie relèvent de diverses couches sociales
françaises, pas uniquement les plus pauvres. Quelle conclusion en
tirez-vous?
RN: Chacun est mu par son équation
personnelle. Cela ne change rien à l’affaire. Il y a eu un
pré-conditionnement de l’opinion, un emballement amplifié par la
croyance en une victoire facile et surtout le silence complice des
pouvoirs politiques des pays occidentaux devant les excès. Al Jazira
porte une responsabilité particulière dans l’intoxication de l’opinion
arabe et sa démobilisation pour les grandes causes nationales (La
Palestine, la mise en valeur des nouveaux gisements énergétiques aux
larges de Gaza, du Liban et de la Syrie).
Mayssa Ibrahim-Al Ahd: Dans quelle mesure la France va-t-elle procéder à une révision de sa politique?
RN: La France pâtit d’une nostalgie de
grandeur qui la pousse à prendre une posture d’orgueil. Elle s’imagine
être maître des opérations, alors qu’elle n’est qu’un rouage de la
stratégie atlantiste. En 1940, elle nous a fatigué les oreilles avec
son slogan, « nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». Ils
n’ont pas tenu plus de quelques mois. Et ils ont honteusement capitulé.
Mayssa Ibrahim -Al Ahd: Quelles
sont les estimations quant à la présence de djihadistes français en
Syrie? Constituent-ils le quota le plus important, parmi les Européens?
RN: Le rapport du bureau régional de la
Brookings Institution, basé à Doha (Qatar) est explicite. Selon les
estimations, le nombre des djihadistes français serait de l’ordre de
400. La répartition entre les groupes se fait en fonction des capacités
financières de chaque mouvement et de la bienveillance de la Turquie à
les autoriser à pénétrer en Syrie. Les djihadistes européens seraient au
nombre de 3000; La présence des djihadistes français en Syrie fait du
bruit pour la simple raison que Laurent Fabius, ministre des affaires
étrangères, a fait beaucoup de bruit sans trop de résultats. La
répartition entre les divers pays européens est sensiblement égale. Le
nombre total des djihadistes en Syrie, de la Tchétchénie, à la Libye en
passant par la Tunisie, les pétromonarchies et le Pakistan seraient au
nombre de 100.000 à 120.000, selon le rapport de la Brookings. Les
Français et les Européens sont donc une goutte d’eau dans la mare
djihadistes. Beaucoup font beaucoup de bruit pour rien.
Près de 200 djihadistes de France, de
nationalité française ou résident en France, seraient visé par la
justice pour avoir participé au djihad en Syrie.
- http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/06/06/la-justice-enquete-sur-200-djihadistes-francais_4433246_3218.html
Mayssa Ibrahim-Al Ahd: Avez-vous
des indications sur une éventuelle collaboration entre les services
français et syriens dans le domaine du combat antidjihadiste ?
RN: Les Français s’imaginent que Bachar
Assad va se prosterner devant eux, alors qu’ils sont responsables du
démembrement de son pays (district d’Alexandrette), qu’ils ont mis à
profit l’ambition de quelques binationaux franco syriens avides de
pouvoir pour mettre sur pied une opposition fantoche.
Nicolas Sarkozy (France), Khalifa Ben
Hamad et Hamad Ben Jassem, (Qatar), le libanais Wissam Al Hassan, un des
plus actifs dans l’armement de l’opposition syrienne, Robert Ford
(Etats Unis), Bandar Ben Sultan (Arabie saoudite) et Eric Chevallier
(France) ne sont plus là et la France attend toujours que Bachar se
prosterne. Les Français se trompent: Bachar Al Assad n’est ni Ben Ali,
ni Moubarak.
Avec le surge de l’ISIS (Dahe’ch) en
Irak, les Français sont plongés dans le plus grand embarras et d’une
manière générale, les occidentaux tétanisés. Il faut impérativement que
Laurent Fabius cesse de se considérer comme le petit génie de la
diplomatie internationale; qu’il se pénètre du principe de réalité -et
non du déni de réalité- et les choses iront mieux pour tout le Monde.
Fabius devra écourter ses siestes et phosphorer davantage. Le plus capé
de France fait rire sous cape bon nombre de ses ennemis, mais aussi et
surtout de plus en plus, beaucoup de ses amis. Dur, Dur la démagogie.
Source : http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs-2-2/la-france-et-le-phenomene-djihadiste/
[2] Comme l'islamophobie, la russophobie est née en France
L'islamophobie en France : une si vieille Histoire
Manifestation imposante à Paris en signe de condamnation de la politique de la France soutenant le terrorisme
A
l’invitation de l’Union des Patriotes Syriens, et en coordination avec
des activistes syriens et arabes et de nombre d’associations françaises,
une manifestation imposante a eu lieu hier à Paris en dénonciation de
la politique du gouvernement français, hostile à la Syrie et à son
peuple, et soutenant le terrorisme.
Lors de la manifestation, les participants ont hissé des drapeaux de
Syrie et des photos du président Bachar al-Assad et scandé des slogans
qui confirment leur soutien à la Syrie et à sa fermeté face aux
terroristes et dénoncent les actes et les crimes des réseaux terroristes
et leurs soutiens.
Les participants ont exprimé leur refus de toute ingérence dans les
affaires intérieures des pays et des tentatives d’influer la volonté du
peuple syrien et de porter atteinte à la souveraineté de son pays.
Ils ont, de même, dénoncé la politique destinée à déplacer les
Syriens et à encourager le phénomène de migration pour vider la Syrie de
ses cadres compétents.