L’intervention au sol de la coalition
pétro-monarchique, au 6ème mois de sa guerre contre le Yémen, a donné
une nouvelle dimension au conflit, conduisant les Houthistes, les contestataires de la «Pax
Saoudiana», à porter la guerre, sur le territoire même du Royaume.
Réplique à l’attentat de Ma'rib, cette expédition punitive, officialisée
lundi 7 septembre, paraît tout autant destinée à purger le traumatisme
infligé à l’opinion locale, après le lourd bilan de Ma'rib, et à calmer
les craintes des parrains occidentaux, quant à l’aptitude militaire
saoudienne à mener à bonne fin cette guerre… qui apparaît sans fin. Un
vent de panique s’est, en effet, emparé des pétromonarchies, avec le
terrible attentat de Ma'rib, faisant 92 tués, dans les rangs des
assaillants, notamment, 45 soldats d’Abu Dhabi, 10 saoudiens et 5
qataris. Avec, en prime, la capture de plusieurs soldats émiratis, de
même que leur équipement blindé, par Al-Qaïda, pour la péninsule
arabique. Une division saoudienne a franchi, lundi 7 septembre, les
frontières yéménites, via le passage de Wadiha, en direction de Ma'rib,
lieu de l’attentat du 4 septembre, entraînant, dans son sillage, 2.000
soldats du Qatar, d’Égypte, du Maroc et de Jordanie. Soit un total de
près de 10.000 soldats. Sud Yémen versus sud de l’Arabie. Telle est
l’équation que les milices chiites et leurs alliés, l’ancien Président
Ali Abdallah Saleh et l’armée régulière, tentent de mettre en
application, pour briser les pulsions belligènes des Wahhabites et leurs
obligés de la Péninsule arabique. Assir, Jizane, Najrane, trois
provinces yéménites, annexées, autoritairement, par l’Arabie, dans la
décennie 1930, font l’objet de pilonnages réguliers des Houthistes,
comme pour signifier la permanence de leur revendication, sur ces
territoires. Deux autres portions du territoire yéménite ont été
annexées par l’Arabie saoudite, dans la décennie 1970 : Al- Wadiha et
Charorah. Un général saoudien, commandant le front Sud, a été tué, ainsi
qu’un hélicoptère "Apache", abattu, depuis que les Houthistes ont
décidé de porter la guerre, sur le territoire ennemi, pour compenser
leur reflux du Sud Yémen. Au Sud Yémen même, une sourde lutte
d’influence oppose l’Arabie saoudite et Abu Dhabi, sur le degré de
coopération avec le Parti Al-Islah, la branche yéménite des Frères
musulmans, bête noire d’Abu Dhabi, en superposition à un conflit latent
entre les Frères Musulmans et «Al-Qaïda, pour la Péninsule Arabique»,
pour le contrôle du Sud Yémen. Les Houthistes ont réussi à tailler des
croupières à leurs adversaires : Le 13 Août 2015 fera date, dans les
annales de cette guerre : les troupes d’Abu Dhabi, fer de lance de
l’assaut contre Aden, bien que bénéficiant d’un encadrement
technologique français, depuis la base de Djibouti et la base aéronavale
française de Cheikh Zayed, à Abu Dhabi même, ont essuyé de lourdes
pertes en hommes et en matériel. Cent soldats sont dits tués, et une
douzaine de chars Leclerc, détruits ou endommagés. Le quotidien
libanais, «Al-Akhbar», va même jusqu’à titrer qu’«Aden a été le
cimetière des Chars AMX Leclerc, la fierté de l’armement français». Les
dernières manœuvres militaires saoudiennes viseraient à encercler Sanaa,
la capitale, pour remporter une victoire symbolique, à l’effet de
gommer dans l’opinion les revers répétitifs de leur folle équipée du
Yémen. L’attentat de Daech contre une mosquée chiite de la capitale
yéménite, faisant une vingtaine de morts, a retenti comme un message de
l’Etat Islamique aux protagonistes, leur signifiant qu’il se pose en
partie prenante au conflit. Sur fond d’attentats terroristes,
revendiqués par Daech – quatre, depuis la nouvelle guerre du Yémen – la
flambée de violence interne saoudienne tend à justifier le bien-fondé de
la mise en garde du Président Barack Obama, adressée aux
pétro-monarchies, lors de leur rencontre de Camp David, au printemps
2015, pointant le fait que «le plus grand danger, qui guette les
pétro-monarchies, est le front intérieur», avec une jeunesse désœuvrée
et maintenue à l’écart de toute participation à la vie politique. Elle
tend, de surcroît, à démentir la guerre psychologique, menée, depuis
trente ans, par la famille royale saoudienne, visant à diaboliser l’Iran
et les Chiites. A mettre à nu la démagogie wahhabite. Avec une douzaine
de chars Leclerc détruits, près d’une centaine de tués, des soldats
émiratis faits prisonniers par «Al-Qaïda, pour la Péninsule arabique»,
Abu Dhabi paraît être l’une des principales victimes collatérales de
cette folle équipée pétro-monarchique, dont pâtit, en terme d’images, la
France, son cornac atlantiste.
René Naba.
Publié en collaboration : http://francais.rt.com
Publié en collaboration : http://francais.rt.com
Lettre d’un habitant de Sanaa
A la fin de cette lettre il y a un lien vers des photos difficilement supportables. J’aurais voulu en publier quelques unes (il y en a plusieurs dizaines), pour montrer la barbarie de ce qui se déroule au Yémen, perpétrée par des pays amis de la France, l’Arabie Saoudite et les principautés du Golfe chapeautés par les Etats-Unis. Mais je n’ai pas pu. RI
***
Parce que j’ai vécu la guerre de
1994 à Sanaa et que j’en ai rendu compte à l’époque, certains de mes
amis yéménites, avec lesquels je n’ai cessé de correspondre, insistaient
de temps à autre pour que j’accorde au Yémen et à l’agression qu’il
subit la place qui leur revient dans mes articles.
Bien que la guerre qui se déroule
contre notre région, en Syrie, et celle qui frappe le Yémen ont pour
dénominateur commun les mêmes agresseurs, je progressais lentement dans
mes recherches pour finaliser mon article sur ce sujet, la situation au
Liban et en Syrie prenant le plus gros de mon temps. C’est alors que
j’ai reçu cette lettre de Sanaa.
Je l’ai faite mienne et la publie telle que reçue, sans autre commentaire. [Souraya Assi ; journaliste Libanaise].
___________________________________________
Chère Souraya,
Te souviens-tu du Yémen ? Il a eu sa
part des « révolutions » arabes, la révolution du 11 février 2011 ayant
accouché d’un pouvoir qui s’est chargé de soumettre le pays à la famille
des Al-Saoud. Notre révolution n’a donc pas déviée des normes
préétablies, puisque comme toutes les autres révolutions arabes, elle
est passée par le baptême obligé et nécessaire pour entrer dans l’ère
des « cheikheries » [*] du Golfe.
Je ne sais pas ce qui se passe en
Libye ! Et, il est probable que la « révolution » des Al-Saoud en Syrie
est contrecarrée par des difficultés et des obstacles ayant conduit à
faire de nouveau appel aux forces de l’OTAN, mais sans recourir au
Conseil de sécurité de l’ONU cette fois-ci, ni exploiter un mandat
truqué du Secrétaire général de la Ligue arabe. Quant à l’Égypte et à la
Tunisie, il est bien connu que les circonstances particulières dans ces
deux pays ont nécessité une révolution contre « la révolution
golfiste » [*] ou, plus précisément, ont amené les gens à préférer le
pouvoir déchu au pouvoir des Frères Musulmans.
Cette expérience s’est répétée au Yémen,
la guerre en cours ayant ses racines dans la révolution contre « la
révolution des golfeux et des frérots » [*] dans le but de débarrasser
le pays de la domination de la famille Al-Saoud. Cependant, il semble
que l’OTAN en tant qu’organisation policière et répressive mondialisée,
interdit la « révolution » aux pauvres et aux nécessiteux. Autrement dit
et en toute franchise, l’OTAN mène une guerre afin de rétablir la loi
de la famille Al-Saoud et réinstaller sa mainmise sur le Yémen.
Il est aussi notoirement connu que des
navires de la flotte américaine ont procédé, sous pavillon de l’armée
des Émirats arabes unis, à une opération de débarquement à Aden et que
c’était là l’annonce du début de la guerre terrestre, suite aux frappes
aériennes ininterrompues depuis mars 2015, lesquelles frappes ont obligé
les adversaires des Al-Saoud à se retirer de certaines positions qu’ils
contrôlaient jusqu’ici.
À l’heure actuelle, nous pouvons dire
que le plan d’annexion du Yémen en est au stade préparatoire du siège de
Sanaa, soumise quotidiennement à des vagues successives de raids
aériens. Il est possible que les hordes militaires « golfistes » [*] s’y
dirigent selon trois axes :
- Le premier, à partir du port d’Al-Hudaydah sur la mer Rouge.
- Le deuxième, à partir de la ville de Ta’izz au sud.
- Le troisième, supposé être emprunté par les forces qui tentent de se rassembler dans la ville de Marib à l’est où, d’après les dernières nouvelles, 15 000 soldats seraient déjà sur place, rejoints par les équipements et les véhicules militaires d’un pays dont le nombre d’avions et de chars dépasse celui de sa population… Je veux parler du Qatar, l’État de ce prince penseur et résistant Al-Qaradawi !
Quoi qu’il en soit, l’accès par voie
terrestre à Sanaa ne sera sans doute pas facile, étant donné que les
routes ne sont pas sécurisées ou bien sont toujours sous le contrôle des
Houthis.
Dans ce contexte, il n’est pas inutile
de noter que la victoire des Al-Saoud au Yémen sera très probablement un
énorme désastre pour la population, encore plus douloureux et plus
dangereux que la tragédie libyenne, témoin en est le déploiement des
bandes de voleurs, de truands et d’extrémistes, dans les régions d’où
les Houthis se sont retirés sous la pression des frappes américaines et
saoudiennes, en plus de l’apparition de diverses formations militaires
appartenant à des agences de sécurité étrangères dans les zones des
puits de pétrole, des raffineries et des oléoducs.
Traiter de la question du Yémen comme se
lancer dans des prévisions à court terme, exige de prendre en compte
deux facteurs importants, ou plutôt d’introduire le facteur israélien ;
lequel, à mon avis, influe sur la guerre des Al-Saoud au Yémen de deux
manières en se présentant sous deux visages :
- Le premier visage est celui de l’impérialisme euro-américain, et les colonialistes israéliens en sont une facette. Ce visage est évidemment connu et bien présent sur la scène yéménite aux côtés des Pays du Golfe. Ici, il est nécessaire de rappeler que cet impérialisme a construit ses propres bases à Djibouti et au nord de la Somalie, après avoir démantelé l’État somalien et découpé ce qu’ils appellent le « Somaliland » où se trouve, justement, une base israélienne ; la largeur du détroit de Bab el-Mandeb, c’est-à-dire la distance entre la côte yéménite et la côte somalienne, étant d’une trentaine de kilomètres.
- Le deuxième visage se déduit logiquement à partir du rôle joué au Yémen, par les gouvernements actuels de l’Égypte et de la Jordanie aux côtés des Al-Saoud et aussi des colonialistes israéliens, sur la base d’informations indiquant une présence militaire israélienne à l’entrée du détroit de Bab al-Mandeb et donc, en Somaliland.
Pour exposer les choses telles qu’elles
sont, et éviter les polémiques, il faut dire que les raisons de cette
méfiance à l’égard des autorités égyptienne et jordanienne repose sur le
fait que depuis que ces deux pays ont signé respectivement les Accords
de Camp David et de Wadi Araba, ils ont toujours adopté des positions
essentiellement favorables à Israël. Ce fut le cas lors des conflits
israélo-libanais et israélo-palestiniens, ainsi que du conflit
réunissant les États-Unis, la Turquie et l’Arabie Saoudite contre la
Syrie. Je ne pense pas que nous pourrions nous passer de citer tous ces
cas.
Source : New Orient News ; le 10/09/2015
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
NdT :
Suite à la publication de cette lettre, une citoyenne yéménite s’est
adressée à Madame Assi en ces termes : « Nous Yéménites, nous vous
saluons et vous remercions pour vos paroles de vérité sur le Yémen et
les Yéménites. Ci-joint une documentation certifiée de quelques crimes,
non de tous les crimes… peut-être sera-t-elle utile ». Un message que
Madame Assi a publié aussi.
Cette documentation, la voici :
Note : [*] néologismes obligés dérivés des mots cheikh, pays du Golfe, Frères Musulmans…