Moscou commence à se lasser des
leçons de démocratie dispensées par Paris ; notamment au regard de la
gabegie « Gilets jaunes », de l’autorité de l’État bafouée et des
sommets de démagogie que notre démocratie pontifiante et irréprochable déploie
pour sortir de cette ornière et espérer laver aux yeux du monde cette
humiliation.
Et puis, à force d’erreurs de
jugement, de fautes morales et d’entêtement, nous comptons si peu désormais sur
la scène du monde.
Au Moyen-Orient comme en Afrique, où nous souffrons d’une
telle schizophrénie sécuritaire et d’un suivisme atlantiste aggravé, nous
commençons à susciter la pitié plus que la crainte ou l’espoir. A minima, on ne nous attend plus. On discute, on
négocie, et on décide sans nous. Qui « On » ? Qui sont ces impudents ?
Les États-Unis, la Russie, la Chine, la Turquie, Israël, l’Iran, et même, en
Europe, l’Italie ou la Hongrie… Tous ceux qui ne se paient plus de
mots depuis longtemps déjà, qui ont décidé de prendre leur avenir et leurs
intérêts en main, et nous jugent sans aménité. La France parle toujours haut et fort, mais elle agit peu
et mal. Les pays précités lui rappellent que le temps de la préséance
occidentale est révolu, que l’Hexagone n’a plus vraiment de poids sur la scène
du monde, que l’injonction universaliste ne passe plus et que notre prêchi-prêcha moralisateur
est devenu inaudible et même complètement ridicule.
Pour la Russie – qui voit que
Paris reste arcbouté sur ses postures malheureuses concernant l’Ukraine ou la
Syrie – est venu le temps des réponses « du berger à la bergère » et
de l’application du principe de réciprocité. Puisque les journalistes russes
accrédités en France se voient interdits d’Élysée et que Spoutnik comme Russia
Today (RT) sont diabolisés et réduits au statut de purs canaux de
propagande poutiniens, Moscou envisage de rendre la pareille à Paris en
interdisant certains médias français de couverture d’événements en Russie ou en
suspendant leurs accréditations. Dans la même veine, il se dit que le Kremlin aurait eu l’audace de faire prévenir Paris que la
France ne devait pas s’ingérer dans la situation inflammable en Algérie…
L’alliance Moscou-Alger est ancienne, mais une telle audace exprime sans
équivoque un nouveau rapport de force régional clairement en notre défaveur.
Cela nous apprendra à boire la « repentance » comme du petit lait.
Quoi qu’il en soit, nous
affirmons lutter vaillamment contre la propagande et les fake news, pardon « l’infox ». Mais qui décide de ce qui est vrai ou faux,
lisible ou devant faire l’objet d’autodafés ? De quelle légitimité
supérieure peut-on se revendiquer ? Quand on voit les conclusions du rapport
Mueller et le
« pschitt » retentissant du Russia Gate ouvrant une phase de représailles
vengeresses du président Trump, bien décidé à « enquêter sur les
enquêteurs » ; quand on se remémore l’unanimisme médiatique délirant
et l’hystérie russophobe qui, pendant deux ans, ont nourri la farce d’un
président américain agent du Kremlin pour expliquer l’inexplicable,
l’insupportable défaite de l’immaculée Hillary Clinton, on se demande qui,
finalement, relaie le mieux l’intox, la manipulation et le complot ?
Au-delà du tragicomique de nos
errances, nous devons prendre garde à cette décrédibilisation
massive des médias occidentaux, car elle porte celle des politiques
éponymes et sert les desseins de leurs rivaux chinois, russes ou turcs. Le
chantage d’Erdoğan envers Washington à propos des Kurdes syriens, envers Paris
avec l’affaire du génocide arménien ou envers l’Allemagne avec les migrants n’a
plus de limites. Mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes, victimes
de nos inconséquences. On ne peut exiger de la Turquie qu’elle intervienne en
Syrie contre le gouvernement de Bachar el-Assad soutenu par Moscou, qu’elle
achète des armes américaines plutôt que russes, qu’elle conserve les centaines
de milliers de réfugiés syriens sur son territoire et, « en même
temps », lui interdire de consolider son influence locale, de rivaliser
avec Ryad via Doha, moins encore de
réduire l’abcès kurde à ses frontières alors que c’est sa préoccupation
sécuritaire et politique n° 1.
Le néo-sultan
mégalomane n’a que
faire de nos problèmes et de la dévalorisation stratégique de nos proxys. Il se
livre à notre égard, et depuis des années, à un chantage permanent. Nous
l’avons laissé faire en toute connaissance de cause, sans jamais l’arrêter,
persuadés ainsi de gêner Moscou et impatients de faire tomber la malheureuse Syrie dans
l’escarcelle américano-israélo-saoudienne. Nous payons aujourd’hui
cette complaisance insensée, cette indulgence a minima envers l’engeance islamiste, envers Daech même, envers Al-Qaïda et
ses succédanés, ainsi qu’envers leurs sponsors saoudiens, irakiens, qataris et
turcs. Il est un
moment où les masques tombent. Ni Washington ni l’Otan ne font plus peur à
Ankara qui sait bien que jamais les États-Unis ne l’expulseront de l’Alliance.
Quant à nous, Français, nous n’aurions jamais dû en rejoindre le Commandement
militaire intégré ni nous soumettre à ses oukases pour quelques étoiles et
postes ronflants ; un marché de dupes évident que pourtant, à Paris comme
au Quai d’Orsay, on jugea logique et souhaitable puisque l’Amérique a toujours
raison, nous protège et ne veut que notre bien… Nous en sommes donc à payer
sans délai ni crédit le prix de nos accommodements immoraux, exposés à l’effet
boomerang de notre moralisme à géométrie variable.
Et la Russie dans tout
cela ? Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, elle ne se
frotte pas les mains face au champ de ruines de son rapprochement
(mort-né ?) avec l’Union européenne. Son dépit amoureux face à cette part
d’elle-même, qui la relie à l’âme et à l’histoire du Vieux Continent, est
toujours là, tout comme son complexe obsidional que nous nous obstinons à nourrir
par nos incessantes provocations. Alors, peut-être voit-elle avec une
satisfaction amère le village Potemkine européen s’écrouler ; non parce
qu’elle l’attaque (en cette matière, l’action d’un Steve Banon est bien plus
efficace que celle des pires « idiots utiles » de Moscou), mais parce
que ses fondations se révèlent chaque jour plus friables. Une sorte de victoire
posthume et triste sur l’adversité. Les avanies, les humiliations, les
anathèmes dont elle fait l’objet depuis bientôt vingt ans, depuis qu’elle a
repris, contre toute attente, son destin en main, ne sont certes pas réparés.
Et la mutation mentale des Européens vis à vis de Moscou n’est pas pour demain.
L’Europe ne veut décidément pas de la Russie. Fort bien. Celle-ci s’en passera
donc, et se consolera dans une bascule forcée vers l’Asie et Pékin dont nous
ferons les frais lorsque la Chine et l’Amérique se disputeront nos reliefs ou
s’entendront à nos dépens. Mais cette ostracisation ne portera pas chance aux
États européens qui, pour complaire au suzerain américain, tiennent la dragée
haute à Moscou sans comprendre l’évidente nécessité et la logique géopolitique
d’un rapprochement sur des domaines d’intérêt commun (sécuritaire, migratoire,
énergétique, culturel…)
Sans se penser de façon autonome
et sans la Russie, l’Europe n’est pas en mesure de faire masse critique entre
les deux nouveaux môles stratégiques mondiaux. La Chine comme l’Amérique
appuient sur ses plaies avec une commisération jubilatoire. Ni l’une ni l’autre
ne l’aideront jamais pour rien. Les inquiétudes des peuples européens face à la
menace migratoire, à l’insécurité culturelle et identitaire, au libre-échange
érigé en idole, aux inégalités fiscales entre États et à la béance sociale,
sont telles que la mascarade de l’unanimité et de la convergence ne tient plus.
Il devient urgentissime de réformer de fond en comble tous les attendus et
postulats européens, de même que les mécanismes institutionnels. Les
« éléments de langage » d’une technocratie hors sol et autres postures
ne suffisent plus. Il faut une évaluation froide et sans concessions de nos
intérêts communs véritables et une définition chirurgicale, et non
« attrape-tout », des domaines de coopération souhaitables et
accessibles. Il faut arrêter de se mentir, de croire aux éléphants roses
que sont « le couple franco-allemand », « l’ogre russe » et
le gentil génie américain. Il faut cesser aussi de faire comme
si une somme de renoncements ou de faiblesses faisait une force collective. Il
faut passer aux coopérations renforcées, aux coalitions de projet, au lieu de
chercher une unanimité qui produit inertie et paralysie. Il faut qu’à
l’intérieur de l’Europe, chacun se mesure pour imposer ses vues et entraîner.
La rivalité n’est pas la guerre ! On nous mène, en revanche, une guerre sans
merci depuis l’extérieur de l’Union en jouant de notre phobie collective du
conflit. Chercher chacun notre place dans la construction européenne provoquera
non une guerre, mais un échange infiniment plus sain que ce mensonge permanent
de chacun envers tous qui postule l’harmonie et l’identité d’intérêts.
En conséquence, au lieu de
pleurer son couple mythifié avec Berlin, qui n’a jamais vraiment existé que
dans son regard embué, Paris doit se lier avec les puissances du sud et de
l’est de l’Union (pour chasser sur les plates-bandes allemandes), telle
l’Italie, l’Autriche ou la Hongrie, au lieu de les insulter et d’en faire des
pestiférés rétrogrades. Il faut enfin oser et non plus procrastiner. Décider
par exemple, que l’Europe n’est pas là pour fixer le gabarit de nos fromages de
chèvre ou la taille de nos fenêtres, mais pour tenir nos frontières, instaurer
une réciprocité commerciale stricte vis à vis de ceux qui prétendent atteindre
notre grand marché, faire de l’euro et de la Banque centrale européenne les
outils d’une croissance et d’une protection monétaire véritables qui ne se
réduisent pas à la lutte contre l’inflation, faire grandir sans états d’âme des
champions industriels, technologiques et numériques européens, assumer un
« patriotisme économique» sourcilleux, au lieu de laisser des loups entrer
dans une bergerie pour la détruire.
Il faut enfin cesser de rêver à
une « armée européenne » ou à un siège européen de membre permanent
au Conseil de sécurité des Nations unies ‒ ce qui revient simplement à donner
le nôtre à l’Allemagne et à ses affidés, en espérant que Berlin nous en saura
gré. Outre le fait que l’on brade avec une désinvolture inouïe l’un de nos
derniers avantages relatifs en termes d’influence, c’est parfaitement
irresponsable envers la nation comme envers notre Histoire.
Pour finir ‒ ou pour commencer ‒
il faut dire que la souveraineté n’est pas un gros mot, qu’à l’instar du
« populisme » violent, l’européisme béat est une impasse, une imposture de la
« modernité », une fuite en avant suicidaire et infantile.
Nous ne parviendrons pas longtemps encore à bâillonner les peuples européens
qui refusent leur perdition et la négation dogmatique de leur substrat culturel
chrétien et humaniste. Pour survivre face aux ambitions dévorantes des autres,
l’Europe doit réarmer tous azimuts, au sens mental, culturel et symbolique du
terme. Qu’elle commence par s’affirmer en éliminant
les sanctions contre la Russie et en réengageant ses projets d’échanges
commerciaux avec l’Iran ! Qu’elle accepte de grandir et de
s’affirmer !
*Caroline Galactéros, présidente de
Geopragma
La France colonisatrice est reduite à une vassalité, grâce à la corruption de ses dirrigeants post-chiracquiens.
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