mercredi 10 avril 2019

Venezuela. La Russie ignore les pleurnicheries des diplomates américains…… et poursuit sa mission

La porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a reconnu mardi à Moscou que des « spécialistes »  russes se trouvaient effectivement au Venezuela dans le cadre d’un accord de coopération technico-militaire conclu en 2001 avec Caracas. Zakharova a souligné que la coopération militaire bilatérale de la Russie avec le Venezuela était conforme à la constitution de ce dernier pays et reposait sur des bases légales, ce qui « ne nécessite aucune approbation supplémentaire de la part de l’Assemblée nationale du Venezuela (sous contrôle de l’opposition) ».

Les médias ont rapporté que deux avions de l’armée de l’air russe ont atterri samedi à Caracas, avec Vasily Tonkoshkurov, chef d’état-major des forces terrestres, et près de 100 militaires avec 35 tonnes de matériel. Un responsable non identifié de l’ambassade de Russie à Caracas a déclaré à Sputnik que le personnel russe était arrivé pour « échanger des consultations. La Russie a divers contrats en cours d’exécution, des contrats à caractère technico-militaire. »

Les propos de M. Zakharova interviennent un jour après que le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a reçu un appel de son homologue, Mike Pompeo, le 25 mars. Le côté russe a précisé que Pompeo était « intéressé par certaines questions liées à l’évolution de la situation au Venezuela ». Il a ajouté : « Sergueï Lavrov a souligné que les tentatives de Washington d’organiser un coup d’État au Venezuela, et les menaces contre son gouvernement légitime constituaient une violation de la Charte des Nations Unies et une ingérence flagrante dans les affaires intérieures d’un État souverain … Après avoir énoncé les principales différences entre les positions russes et américaines, les responsables ont accepté de rester en contact et de continuer à échanger leurs évaluations. »
Selon le département d’État, Pompeo a averti la Russie « de mettre fin à son comportement peu constructif » au Venezuela « et que Washington et ses alliés régionaux ne resteront pas inactifs pendant que la Russie exacerbe les tensions ». Il a également déclaré que Pompeo accusait la Russie « d’ingérence permanente… pour soutenir le régime illégitime de Nicolas Maduro au Venezuela [qui] risque de prolonger les souffrances du peuple vénézuélien, qui soutient massivement le président par intérim Juan Guaido ».
Dans une série de tweets lundi et mardi, le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, exprime sa colère et sa frustration : « Maduro a perdu le soutien du peuple vénézuélien. Il compte donc sur le soutien des Cubains et des Russes pour usurper la démocratie et réprimer des civils innocents. … Plutôt que d’envoyer des bombardiers à capacité nucléaire et des forces spéciales pour soutenir un dictateur corrompu, la Russie devrait collaborer avec la communauté internationale pour soutenir le peuple vénézuélien. Les États-Unis ne toléreront pas que des puissances militaires étrangères hostiles s’immiscent dans les objectifs partagés d’établir la démocratie, la sécurité et l’État de droit dans l’hémisphère occidental… Maduro demande aux hommes de main cubains et russes de réprimer le peuple du Venezuela. »

Avec ces développements, la situation de crise autour du Venezuela peut être considérée comme ayant pris une dimension de nouvelle guerre froide. Manifestement, Moscou a pesé le pour et le contre de la situation au Venezuela et a décidé d’être sans complexe avec son soutien au gouvernement Maduro. Malgré les fureurs américaines, Moscou ne montre aucun signe de recul.
La grande question qui nous attend est de savoir si la Russie gravira les échelons de l’escalade. En effet, l’intensification de la coopération technico-militaire découle de la constatation, à Moscou, du fait que les tentatives désespérées des États-Unis pour organiser/parrainer un coup d’État militaire à Caracas ne donnent aucun résultat. Dans un entretien avec la télévision russe, le président Nicolas Maduro a annoncé aujourd’hui qu’« une session de travail de haut niveau sur la coopération intergouvernementale » entre la Russie et le Venezuela devrait avoir lieu en avril. « Nous allons signer 20 documents sur la coopération économique , commerce, culture, énergie et éducation. »
Il est inutile de rappeler que Moscou entend renforcer son soutien à Maduro et élabore actuellement un plan d’action pour mettre en place un programme global de coopération bilatérale dans une perspective à moyen et long terme. Cela peut seulement signifier, selon l’évaluation russe, que le projet américain de renversement du régime par le biais de sanctions économiques et d’autres actions secrètes – comme le sabotage de l’alimentation électrique – et diverses méthodes de pression politique et diplomatique – notamment la confiscation illégale des avoirs vénézuéliens à hauteur de dizaines de milliards de dollars – peuvent et doivent être contrés. Il est intéressant de noter que Cuba, qui possède une riche expérience dans la lutte contre la politique coercitive des États-Unis, travaille main dans la main avec la Russie dans ce sens.
Selon toute apparence, du moins jusqu’à présent, une intervention militaire directe des États-Unis au Venezuela pour changer de force le régime n’est pas à l’ordre du jour. Au contraire, une guerre d’usure du style de  l’époque de la guerre froide semble se profiler. La Russie peut-elle soutenir le fardeau économique et financier que cela implique ? Toutefois, l’analogie de l’intervention russe en Syrie n’est pas valable dans la mesure où le Venezuela est potentiellement un pays riche, doté des plus grandes réserves d’hydrocarbures prouvées au monde. De même, la Chine est également partie prenante de la stabilité économique du Venezuela.
D’autre part, il est extrêmement important pour la Russie que les États-Unis, qui aspirent à devenir le premier exportateur de pétrole et de gaz, ne contrôlent pas les vastes réserves vénézuéliennes, car cela signifierait qu’une énorme capacité tomberait entre les mains de Washington pour manipuler l’offre et la demande sur le marché mondial de l’énergie et fixer le prix du pétrole et du gaz.

Sur le plan géopolitique, une forte présence russe au Venezuela devient un atout de négociation pour Moscou face aux déploiements croissants de l’OTAN et des États-Unis le long des frontières occidentales de la Russie en Europe centrale et orientale et dans les États baltes. Cela seul fait du Venezuela un partenaire stratégique pour la Russie.
En termes clairs, toute projection de puissance russe dans l’arrière-cour américaine fera pression pour qu’à un certain moment Washington ressente –  plutôt tôt que tard – l’impératif d’engager de manière constructive un dialogue et des négociations avec Moscou, aussi décevante que puisse être cette perspective.
En fait, à un moment donné, Zakharaova a clairement évoqué la doctrine Monroe de l’administration Trump, demandant d’un ton acerbe : « Que font-ils (les États-Unis) eux-mêmes dans l’hémisphère oriental ? Ils croient peut-être que les peuples de cette partie du monde seront reconnaissants lorsque Washington remplacera à sa guise des dirigeants et éliminera ceux dont elle ne veut pas. Ou encore, les États-Unis continuent-ils de croire que les gens attendent que les Américains leur apportent la démocratie sous les ailes de leurs bombardiers. Demandez aux Irakiens, aux Libyens ou aux Serbes ce qu’ils en pensent. »
Zakharova n’a pas explicitement mentionné l’Ukraine ou les États baltes, la Pologne, la mer Noire et le Caucase, mais le sens implicite est clair : si les États-Unis s’immiscent dans l’arrière-cour de la Russie, Moscou se réserve le droit de prendre des mesures de représailles. Un point c’est tout. Il est utile de rappeler que le dénouement de la crise des missiles cubains en 1962 reposait en définitive sur le retrait réciproque des missiles russes à Cuba et des missiles américains déployés en Turquie.
L’appel téléphonique de Pompeo à Lavrov donne à penser que les États-Unis tentent de sonder les intentions de la Russie. Il est intéressant de noter que, selon le côté russe, Lavrov a également évoqué la Syrie et l’Ukraine lors de la conversation avec Pompeo. Les propos de Lavrov étaient plutôt sévères : « Il (Lavrov) a également souligné que l’intention des États-Unis de reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan conduirait à une grave violation du droit international, entraverait le processus du règlement syrien et aggraverait la situation au Moyen-Orient. Parlant de l’Ukraine, Sergueï Lavrov a déclaré que les tentatives de Washington de torpiller les accords de Minsk sur le règlement du conflit intra-ukrainien par le régime de Kiev étaient inacceptables. »
Curieusement, au contraire, le département d’État américain a complètement omis de mentionner la Syrie ou l’Ukraine. À l’évidence, la patate était trop chaude pour que Washington puisse même reconnaître que Lavrov ait pu établir un parallèle avec le comportement des États-Unis dans « l’hémisphère oriental », ce que la Russie juge absolument inacceptable [Exceptionnalisme oblige, NdT].

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