La porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a reconnu mardi à Moscou que des « spécialistes »
russes se trouvaient effectivement au Venezuela dans le cadre d’un
accord de coopération technico-militaire conclu en 2001 avec Caracas.
Zakharova a souligné que la coopération militaire bilatérale de la
Russie avec le Venezuela était conforme à la constitution de ce dernier
pays et reposait sur des bases légales, ce qui « ne nécessite aucune
approbation supplémentaire de la part de l’Assemblée nationale du
Venezuela (sous contrôle de l’opposition) ».
Les médias ont rapporté que deux avions de l’armée de l’air russe ont
atterri samedi à Caracas, avec Vasily Tonkoshkurov, chef d’état-major
des forces terrestres, et près de 100 militaires avec 35 tonnes de
matériel. Un responsable non identifié de l’ambassade de Russie à
Caracas a déclaré à Sputnik que le personnel russe était arrivé pour « échanger des consultations. La Russie a divers contrats en cours d’exécution, des contrats à caractère technico-militaire. »
Les
propos de M. Zakharova interviennent un jour après que le ministre des
Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a reçu un appel de son
homologue, Mike Pompeo, le 25 mars. Le côté russe a précisé que Pompeo
était « intéressé par certaines questions liées à l’évolution de la situation au Venezuela ». Il a ajouté : « Sergueï
Lavrov a souligné que les tentatives de Washington d’organiser un coup
d’État au Venezuela, et les menaces contre son gouvernement légitime
constituaient une violation de la Charte des Nations Unies et une
ingérence flagrante dans les affaires intérieures d’un État souverain …
Après avoir énoncé les principales différences entre les positions
russes et américaines, les responsables ont accepté de rester en contact
et de continuer à échanger leurs évaluations. »
Selon le département d’État, Pompeo a averti la Russie « de mettre fin à son comportement peu constructif » au Venezuela « et que Washington et ses alliés régionaux ne resteront pas inactifs pendant que la Russie exacerbe les tensions ». Il a également déclaré que Pompeo accusait la Russie « d’ingérence
permanente… pour soutenir le régime illégitime de Nicolas Maduro au
Venezuela [qui] risque de prolonger les souffrances du peuple
vénézuélien, qui soutient massivement le président par intérim Juan
Guaido ».
Dans une série de tweets lundi et mardi, le conseiller américain à la
Sécurité nationale, John Bolton, exprime sa colère et sa frustration : « Maduro
a perdu le soutien du peuple vénézuélien. Il compte donc sur le soutien
des Cubains et des Russes pour usurper la démocratie et réprimer des
civils innocents. … Plutôt que d’envoyer des bombardiers à capacité
nucléaire et des forces spéciales pour soutenir un dictateur corrompu,
la Russie devrait collaborer avec la communauté internationale pour
soutenir le peuple vénézuélien. Les États-Unis ne toléreront pas que des
puissances militaires étrangères hostiles s’immiscent dans les
objectifs partagés d’établir la démocratie, la sécurité et l’État de
droit dans l’hémisphère occidental… Maduro demande aux hommes de main
cubains et russes de réprimer le peuple du Venezuela. »
Avec ces développements, la situation de crise autour du Venezuela peut être considérée comme ayant pris une dimension de nouvelle guerre froide.
Manifestement, Moscou a pesé le pour et le contre de la situation au
Venezuela et a décidé d’être sans complexe avec son soutien au
gouvernement Maduro. Malgré les fureurs américaines, Moscou ne montre
aucun signe de recul.
La grande question qui nous attend est de savoir si la Russie gravira
les échelons de l’escalade. En effet, l’intensification de la
coopération technico-militaire découle de la constatation, à Moscou, du
fait que les tentatives désespérées des États-Unis pour
organiser/parrainer un coup d’État militaire à Caracas ne donnent aucun
résultat. Dans un entretien avec la télévision russe, le président
Nicolas Maduro a annoncé aujourd’hui qu’« une session de travail de haut niveau sur la coopération intergouvernementale » entre la Russie et le Venezuela devrait avoir lieu en avril. « Nous allons signer 20 documents sur la coopération économique , commerce, culture, énergie et éducation. »
Il est inutile de rappeler que Moscou entend renforcer son soutien à
Maduro et élabore actuellement un plan d’action pour mettre en place un
programme global de coopération bilatérale dans une perspective à moyen
et long terme. Cela peut seulement signifier, selon l’évaluation russe,
que le projet américain de renversement du régime par le biais de
sanctions économiques et d’autres actions secrètes – comme le sabotage de l’alimentation électrique – et diverses méthodes de pression politique et diplomatique – notamment la confiscation
illégale des avoirs vénézuéliens à hauteur de dizaines de milliards de
dollars – peuvent et doivent être contrés. Il est intéressant de noter
que Cuba, qui possède une riche expérience dans la lutte contre la
politique coercitive des États-Unis, travaille main dans la main avec la
Russie dans ce sens.
Selon toute apparence, du moins jusqu’à présent, une intervention
militaire directe des États-Unis au Venezuela pour changer de force le
régime n’est pas à l’ordre du jour. Au contraire, une guerre d’usure du
style de l’époque de la guerre froide semble se profiler. La Russie
peut-elle soutenir le fardeau économique et financier que cela
implique ? Toutefois, l’analogie de l’intervention russe en Syrie n’est
pas valable dans la mesure où le Venezuela est potentiellement un pays
riche, doté des plus grandes réserves d’hydrocarbures prouvées au monde.
De même, la Chine est également partie prenante de la stabilité
économique du Venezuela.
D’autre part, il est extrêmement important pour la Russie que les
États-Unis, qui aspirent à devenir le premier exportateur de pétrole et
de gaz, ne contrôlent pas les vastes réserves vénézuéliennes, car cela
signifierait qu’une énorme capacité tomberait entre les mains de
Washington pour manipuler l’offre et la demande sur le marché mondial de
l’énergie et fixer le prix du pétrole et du gaz.
Sur le plan géopolitique, une forte présence russe au Venezuela
devient un atout de négociation pour Moscou face aux déploiements
croissants de l’OTAN et des États-Unis le long des frontières
occidentales de la Russie en Europe centrale et orientale et dans les
États baltes. Cela seul fait du Venezuela un partenaire stratégique pour
la Russie.
En termes clairs, toute projection de puissance russe dans
l’arrière-cour américaine fera pression pour qu’à un certain moment
Washington ressente – plutôt tôt que tard – l’impératif d’engager de
manière constructive un dialogue et des négociations avec Moscou, aussi
décevante que puisse être cette perspective.
En fait, à un moment donné, Zakharaova a clairement évoqué la
doctrine Monroe de l’administration Trump, demandant d’un ton acerbe : « Que
font-ils (les États-Unis) eux-mêmes dans l’hémisphère oriental ? Ils
croient peut-être que les peuples de cette partie du monde seront
reconnaissants lorsque Washington remplacera à sa guise des dirigeants
et éliminera ceux dont elle ne veut pas. Ou encore, les États-Unis
continuent-ils de croire que les gens attendent que les Américains leur
apportent la démocratie sous les ailes de leurs bombardiers. Demandez
aux Irakiens, aux Libyens ou aux Serbes ce qu’ils en pensent. »
Zakharova n’a pas explicitement mentionné l’Ukraine ou les États
baltes, la Pologne, la mer Noire et le Caucase, mais le sens implicite
est clair : si les États-Unis s’immiscent dans l’arrière-cour de la
Russie, Moscou se réserve le droit de prendre des mesures de
représailles. Un point c’est tout. Il est utile de rappeler que le
dénouement de la crise des missiles cubains en 1962 reposait en
définitive sur le retrait réciproque des missiles russes à Cuba et des
missiles américains déployés en Turquie.
L’appel téléphonique de Pompeo à Lavrov donne à penser que les
États-Unis tentent de sonder les intentions de la Russie. Il est
intéressant de noter que, selon le côté russe,
Lavrov a également évoqué la Syrie et l’Ukraine lors de la conversation
avec Pompeo. Les propos de Lavrov étaient plutôt sévères : « Il
(Lavrov) a également souligné que l’intention des États-Unis de
reconnaître la souveraineté d’Israël sur le Golan conduirait à une grave
violation du droit international, entraverait le processus du règlement
syrien et aggraverait la situation au Moyen-Orient. Parlant de
l’Ukraine, Sergueï Lavrov a déclaré que les tentatives de Washington de
torpiller les accords de Minsk sur le règlement du conflit
intra-ukrainien par le régime de Kiev étaient inacceptables. »
Curieusement, au contraire, le département d’État américain a complètement omis
de mentionner la Syrie ou l’Ukraine. À l’évidence, la patate était trop
chaude pour que Washington puisse même reconnaître que Lavrov ait pu
établir un parallèle avec le comportement des États-Unis dans « l’hémisphère oriental », ce que la Russie juge absolument inacceptable [Exceptionnalisme oblige, NdT].
Source : Le Saker Francophone
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