Qu’on le veuille ou
non, la fable du soulèvement populaire du «printemps arabe » ne prend
plus en Syrie, estime Alexandre Aoun.
L’illusion d’un retour
à la normale n’est que le miroir des aspirations en Syrie. Pourtant, dans les
principales villes du pays, les bars et les restaurants rouvrent petit à petit.
Les Syriens sont animés par cette volonté de tourner la page, d’en finir avec
cette image d’un pays ruiné et détruit. Ils veulent renouer avec cette
coexistence d’antan.
Damas: Statue équestre de Salah ad- Dine (Saladin) |
« Silver bullet »
À Homs, à Alep ou à
Damas, il n’est pas rare d’entendre le son de la fanfare syriaque orthodoxe,
suivie de très près par l’appel du muezzin. Ce pays multiculturel est
littéralement un joyau du Moyen-Orient. La plupart des habitants me témoignent
avec tristesse qu’ « avant la guerre, la Syrie était un paradis ». Leur
hantise ? Sombrer dans une éventuelle et potentielle division religieuse et
territoriale, à l’instar du voisin libanais.
Aujourd’hui, force est
d’admettre que l’attrait du gouvernent syrien réside dans la nostalgie exprimée
par son peuple. Damas manie parfaitement la sémantique orientale. Les discours
fédérateurs sont omniprésents et l’effet est escompté. Les portraits de Bachar
et d’Hafez al-Assad jalonnent les routes du pays. Les slogans peuvent sembler
surfaits, mais la population y voit un gage de stabilité. De gré ou de force,
les Syriens affichent leur soutien. La guerre l’a prouvé : il n’y a aucune
alternative politique au gouvernement de Bachar al-Assad.
Pour autant, l’Occident
n’abdique pas. Après l’aide plus que controversée aux « rebelles »,
l’Union européenne et les Etats-Unis (en tête) tentent de faire tomber Damas et
ses principaux alliés par le jeu des sanctions. Qui, faut-il le rappeler, ont
pour but d’appauvrir le peuple afin qu’il se retourne contre son gouvernement.
Il s’agit de contraindre économiquement un pays à se soumettre aux intérêts
occidentaux. L’administration Obama n’avait-elle pas théorisé cette pratique
par l’expression « silver bullet » ?
Avidité des grandes
puissances
L’échec est cuisant.
L’Iran, le Venezuela, la Russie et la Syrie surmontent tant bien que mal cette
guerre économico-financière. Car à part affamer des populations entières, les
embargos ravivent un comportement patriotique au sein des « rogue states ».
D’ailleurs, la population syrienne n’est pas dupe ; combien de fois ai-je
entendu, au cours de mes pérégrinations en Syrie, cette phrase : « Après
avoir échoué en 2011, l’Occident veut nous imposer une deuxième révolution »
?
Après des années de
conflit, les difficultés du quotidien restent omniprésentes. Le salaire moyen
de 50 dollars permet à peine aux Syriens de survivre. Auquel il faut ajouter
les innombrables heures d’attente pour faire le plein d’essence ou recevoir une
bouteille de gaz. Oui, les habitants regrettent amèrement la situation d’avant
2011. Car tout a été multiplié par 10. Un simple shawarma, dans le vieux
quartier de Bab Touma à Damas, coûte aujourd’hui 500 livres syriennes.
Auparavant, il n’en valait que 50. Imaginons ne serait- ce qu’un instant le
fait de devoir payer notre baguette 10 euros au lieu d’1…
Washington, Londres et
Paris savent pertinemment que la racine de la radicalisation naît des méandres
de la pauvreté. Le blocus économique s’accentuant, le peuple est englué dans
des carences quotidiennes, dont peut se repaître un terrorisme que l’on ne
pourra annihiler qu’en s’attaquant à l’origine économique et idéologique du
paradigme. Pour rappel, celui-ci est alimenté par des séries d’ingérences
protéiformes, fruit de l’avidité des grandes puissances… Alors que la
reconstruction de la Syrie semble être aujourd’hui le seul moyen efficace pour
lutter contre la recrudescence des mouvances islamistes.
D’origine libanaise, Alexandre Aoun
est diplômé en géopolitique, arabisant et passionné par l’histoire et la
culture orientales. Il cherche, à travers ses pérégrinations en Orient, à
comprendre les sensibilités locales et les problématiques régionales.
*Source : Le Monde Arabe
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