lundi 14 septembre 2020

Nord-Stream-2 : Un gazoduc entêté


Il y a une dizaine de jours, les manchettes de notre bonne presse se réjouissaient ouvertement de la possible mort du Nord Stream II suite à la mascarade Navalny, prouvant presque par défaut que les deux affaires étaient liées.
Aucune surprise pour les lecteurs de nos Chroniques :
A l'Ouest de l'échiquier eurasien, la farce Navalny est une énième tentative foireuse, et tellement prévisible, de découpler le Rimland européen et le Heartland russe :

En cet auguste mois, la journaloperie a trouvé son feuilleton de l'été. Une vraie saga, avec empoisonnement raté et opposant ciblé par le terrible Poutine, mais qui peut quand même tranquillement partir à l'étranger se faire soigner, et dont la guérison miraculeuse rendrait jaloux le sanctuaire de Lourdes. Le scénario est quelque peu bancal mais nos plumitifs ne sont plus à ça près...

Derrière cette mascarade, évidemment, la pression impériale pour renouveler/durcir les sanctions euronouilliques à l'égard de Moscou, notamment à un moment charnière pour le Nord Stream II. Frau Milka a bien vu la manœuvre et veut absolument découpler les deux événements : le gazoduc n'a rien à voir avec le blogueur, meine Herren, qu'on se le dise.

Depuis, dame Angela a reçu les pressions adéquates et, en bonne euronouille feudataire, semble avoir à moitié retourné sa gabardine. Sur le cas Navalny, mais pas seulement, nous y reviendrons dans le prochain billet...

Sans surprise, le Nord Stream II est à nouveau sous le feu des critiques de tout ce que l'Allemagne et l'UE comptent de pions impériaux. C'était évidemment le but de la manœuvre alors que, comme nous l'expliquions en juillet, l'achèvement du pipeline de la discorde se jouera dans les arrêts de jeu.
Cependant, les fidèles piliers de l'empire ont dû mettre un peu d'eau (baltique ?) dans leur coca cola. Si la Première Ministre danoise a tombé le masque, avouant qu'elle avait toujours milité contre le tube, le fait que Berlin n'ait pas réagi au quart de tour pour annuler le gazoduc a, semble-t-il, pris de court les impatients affidés de Washington.
Même CNN, dans un article remarquable d'objectivité (une fois n'est pas coutume), s'est cru obligé de reconnaître que l'abandon du projet n'était pas aussi simple. En cause, cette satanée et agaçante réalité économique, sur laquelle se fracassent souvent les mirages impériaux faits de sable et de vent.
La mise en place du Nord Stream II fera baisser le prix du gaz de 25% en Europe. De plus, les compagnies énergétiques européennes ont déjà investi cinq milliards d'euros dans le projet et n'ont pas l'intention de les passer par pertes et profits, pouvant d'ailleurs réclamer des dommages et intérêts aux États responsables de l'annulation.
C'est ce qu'a dit en substance Klaus Ernst, président de la Commission de l’économie et de l’énergie du Bundestag et membre du parti Die Linke. Chose intéressante, les divisions de la scène politique allemande sur le pipeline se font jour au sein même des partis et un petit point sur la situation n'est peut-être pas inutile.
Les élections fédérales de 2017 ont donné la législature suivante, le gouvernement de coalition mis en place par Merkel comprenant la CDU/CSU et le SPD :
La CDU est divisée, certains appellent à l'arrêt des travaux, d'autres à leur continuation. D'après ce qu'on en sait, la CSU souhaite la poursuite du projet. Quant au SPD, ses ténors ont toujours été et restent favorables au Nord Stream II (n'oublions pas que l'ancien leader du parti, Schröder, est le patron du consortium). Voilà pour la coalition gouvernementale.
Le reste du Bundestag a également son mot à dire. Là aussi, la division règne et l'on retrouve d'ailleurs, mise à la sauce allemande, notre fameuse opposition entre Li-Li et Bo-Bo :
J'ai plusieurs fois abordé dans les commentaires la véritable division de la politique française et, partant, européenne, depuis un demi-siècle et qui transcende la fausse opposition droite-gauche : BO-BO vs LI-LI. D'un côté, la droite bonapartiste et la gauche "bolchévik", qui prend sa naissance dans l'alliance de facto entre De Gaulle et le PCF et court jusqu'à l'actuel duo Le Pen-Mélenchon. Ce courant indéniablement patriote a depuis plus de cinquante ans une certaine idée de l'indépendance nationale et de l'équilibre international, étant très critique vis-à-vis du système impérial américain et de ses alliances pétromonarchiques, préconisant un rapprochement avec la Russie, plus récemment avec l'Iran, Assad etc. Dans les années 60, le grand Charles et les communistes ont fait partir l'OTAN ; en 1991, Georges Marchais et Le Pen père s'opposaient à la guerre du Golfe, rebelote en 1999 et la guerre du Kossovo, jusqu'au copié-collé actuel des positions du FN et du FG sur toutes les questions internationales. Ce qui est vrai en France l'est également en Europe : sur la Syrie, l'Ukraine, la Russie ou le Moyen-Orient, UKIP, Podemos, Syriza, La Ligue du nord, Wildeers disent exactement la même chose. Jamais à court de mépris, la mafia médiatique parle d'alliance, populiste forcément, "rouge-brune".

Car les médias appartiennent tous à l'autre bord, le système LI-LI (droite libérale et gauche libertaire) qui a pris le pouvoir au tournant des années 70 (Giscard + soixante-huitards) et ne l'a plus lâché depuis (UMPS). Ce courant est marqué par un tropisme pro-américain évident. Est-ce un hasard si les maoïstes de Mai 68, peut-être d'ailleurs l'une des premières révolutions de couleur de l'histoire de la CIA, sont aujourd'hui les plus fervents supporters des guerres néo-conservatrices (BHL, Cohn-Bendit, Glucksman, Barroso) ? Les LI-LI vouent une admiration béate pour l'UE, l'OTAN et la pax americana, une haine féroce envers Poutine et le monde multipolaire etc. Au fil des décennies, ce système est devenu un tout à peu près cohérent, unifié. Union européenne = médias = OTAN = UMPS = alliance saoudienne = TAFTA = soutien au Maidan ou aux islamistes djihadistes syriens...
Retour au Bundestag. Sans surprise, les Verts et les libéraux du FDP s'opposent au Nord Stream II. Fidèles à leur hypocrisie désormais légendaire, les "écologistes" préfèrent sans doute le transport extrêmement polluant du gaz naturel liquéfié US ou qatari par méthaniers...
A l'inverse, Die Linke (partiellement) et l'AfD (totalement), américano-sceptiques dans l'âme, sont favorables à la poursuite du projet, ce qui ne manquera pas d'entraîner les habituels commentaires du camp du Bien sur ces horribles "populistes d'extrême-drouaaate" mangeant dans la main de l'abominable Poutine des neiges.
On le voit, jusqu'à présent, la farce Navalny n'a eu pour effet que d'exacerber des divisions déjà existantes sans réussir (encore ?) à faire dérailler le gazoduc de la discorde. Le feuilleton de l'été continue...

L’Allemagne devrait rester avec Nord Stream 2 malgré l’empoisonnement de Navalny
L’Allemagne subit une pression croissante pour retirer son projet controversé de gazoduc géant avec la Russie, à la suite de l’empoisonnement présumé du politicien d’opposition russe Alexei Navalny.
Les experts disent que Berlin est peu susceptible de le faire pour le moment, cependant, étant donné que le projet Nord Stream 2 est achevé à plus de 94% après près d’une décennie de construction, implique de grandes entreprises allemandes et européennes et est nécessaire pour les besoins énergétiques actuels et futurs de la région.
Dans ce cas, les intérêts économiques et commerciaux pourraient l’emporter sur la pression politique pour punir la Russie.
« Je ne vois pas encore l’Allemagne se retirer du projet », a déclaré jeudi à CNBC, Carsten Brzeski, économiste en chef pour la zone euro et responsable mondial de la macro chez ING.
« Mais le débat interne de ces derniers jours a montré clairement que la patience est à court. Beaucoup y sont toujours favorables. Mais ils auront besoin que Moscou démontre clairement qu’une coopération pragmatique est possible et peut effectivement porter ses fruits – par exemple en matière de gestion la situation en Biélorussie », a-t-il dit.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a laissé entendre dimanche dernier que la Russie devait jouer son rôle lors de l’enquête sur l’attaque contre Navalny.
Critique féroce du président russe Vladimir Poutine, Navalny est resté gravement malade après un empoisonnement présumé avec un agent neurotoxique Novichok.
« J’espère que les Russes ne nous forceront pas à changer de position concernant le gazoduc Nord Stream 2 », a déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas au journal Bild am Sonntag.
Jusqu’à présent, l’Allemagne a hésité à lier le sort de son implication dans Nord Stream 2 à l’incident de Navalny, et Maas a admis que l’arrêt de la construction du gazoduc nuirait non seulement à la Russie, mais aux entreprises allemandes et européennes.
« Quiconque demande l’arrêt du projet doit être conscient des conséquences. Nord Stream 2 implique plus de 100 entreprises de douze pays européens, dont environ la moitié d’Allemagne », a-t-il déclaré.
Jane Rangel, analyste gazière chez Energy Aspects, a déclaré mercredi à CNBC qu’elle et ses collègues « surveillaient la situation parce qu’elle évoluait » et a noté que l’empoisonnement Navalny « met l’Allemagne dans une position difficile ».
« C’est un autre défi pour le projet d’être terminé et cela augmente certainement le risque que l’Allemagne puisse prendre des mesures, l’une des solutions les plus évidentes pourrait être que l’Allemagne refuse d’accorder l’approbation réglementaire » pour le gazoduc, a-t-elle ajouté.
La chancelière allemande Angela Merkel pourrait choisir de dire à Bundesnetzagentur, l’organisme officiel responsable de l’autorisation du pipeline, de ne pas approuver le projet, a déclaré Rangel.
« À ce stade, nous supposerions que Gazprom le traduirait en justice s’il n’obtenait pas l’approbation réglementaire. Ensuite, le tribunal pourrait éventuellement l’annuler et cela signifie que le gouvernement allemand marque son point politique, mais le projet est finalement approuvé. »
Politique vs commerce
De son côté, la Russie, qui nie toute implication dans l’incident de Navalny, a minimisé tout impact sur le projet Nord Stream 2. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré mardi que la Russie ne voyait pas de risque en Allemagne de suspendre le pipeline.
« Il n’y a aucune base pour examiner cette question au niveau politique », a-t-il déclaré, selon Bloomberg. « C’est plus un projet commercial international. Pourquoi parler de mesures avec un signe moins concernant le projet international dans lequel des entreprises allemandes sont également impliquées? Cela ne semble pas raisonnable. »
En un mot, Nord Stream 2 est une collaboration entre la société gazière publique russe Gazprom et cinq grandes sociétés énergétiques européennes, dont E.ON, Shell et ENGIE, bien que Gazprom soit le plus grand actionnaire.
Le gazoduc, qui coûterait environ 9,5 milliards d’euros (11,3 milliards de dollars) à construire, doublera la quantité de gaz naturel pouvant être transportée vers l’Allemagne sous la mer Baltique (à environ 110 milliards de mètres cubes par an) et fonctionnera parallèlement à un pipeline existant, Nord Stream 1, qui a été achevé en 2011.
La Russie était le plus grand fournisseur de gaz naturel de l’UE, à la fois en 2018 et en 2019, selon la Commission européenne.
L’un des principaux objectifs de la Russie avec le nouveau gazoduc est de lui permettre de contourner l’Ukraine, un pays avec lequel la Russie a tendu ses relations géopolitiques et commerciales, car il transporte du gaz vers l’Europe. L’Ukraine, comme les États-Unis, s’oppose avec véhémence à Nord Stream 2, car le pays prétend qu’il renforce l’influence énergétique de la Russie en Europe et sape la sécurité énergétique de la région, ce que la Russie et l’Allemagne nient.
Néanmoins, l’opposition au projet a affecté ses progrès, notamment avec les sanctions américaines annoncées en décembre dernier contre les navires posant des conduites sous-marines pour le projet. Cela a incité un groupe de services offshore suisse-néerlandais, Allseas, à suspendre sa participation au projet.
Les législateurs américains envisagent de nouvelles sanctions sur le projet bien que, avec 2300 kilomètres sur 2460 de l’ensemble des pipelines (Nord Stream 1 et 2) ayant déjà été posés, il n’y a pas beaucoup de temps pour que ceux-ci aient un impact significatif s’ils sont approuvés.
Un porte-parole de Nord Stream 2 a déclaré à CNBC qu’en tant que développeur d’un investissement commercial, il ne pouvait pas commenter les débats politiques.
« Notre projet est basé sur les investissements de six grandes sociétés énergétiques, dont cinq dans les pays de l’UE. La mise en œuvre du projet est basée sur les permis de construire des autorités de quatre pays de l’UE et de la Russie conformément aux exigences légales de la législation nationale, du droit de l’UE et des conventions internationales », a déclaré le porte-parole Jens Mueller.
« Nord Stream 2 et les entreprises qui soutiennent notre projet restent convaincus que la mise en service la plus rapide possible du gazoduc est dans l’intérêt de la sécurité énergétique de l’Europe, des objectifs climatiques, de la compétitivité et de la prospérité des entreprises et des ménages européens. »

Source : News24
Priorité à l’exportation de ressources énergétiques américaines
Depuis longtemps le gouvernement allemand voit dans la pression américaine contre Nord Stream 2 un but avant tout commercial : imposer au marché européen un gaz naturel liquéfié aux Etats-Unis et transporté par méthaniers à travers l’Atlantique en remplacement du gaz russe.
Heiko Mass s’en était déjà offusqué, lors d’une visite à Moscou en juin 2017, déclarant selon le quotidien allemand Handelsblatt : «Nous estimons qu’il est inacceptable qu’une loi [américaine] puisse  demander aux Européens de renoncer au gaz russe pour nous vendre du [gaz] américain à la place, à un prix bien plus élevé». Le chef de la diplomatie allemande évoquait les nouvelles sanctions contre la Russie adoptées par le Sénat américain à la mi-juin, et notamment un amendement précisant : «Le gouvernement des Etats-Unis devrait donner la priorité à l’exportation de ressources énergétiques [américaines] afin de créer des emplois américains, aider les alliés et les partenaires des Etats-Unis et renforcer la politique étrangère [américaine].»
Le 18 mai 2018, lors d’une interview à la chaîne de télévision allemande ARD, le ministre allemand de l’Economie, Peter Altmaier, livrait à son tour son analyse : «Ils ont une importante infrastructure de terminal de gaz naturel liquéfié dont ils veulent tirer profit […] mais leur GNL [gaz naturel liquéfié] sera nettement plus cher que celui du gazoduc …»
«Nord Stream 2 contribuera à renforcer la sécurité énergétique de l’Europe occidentale»
L’indépendance énergétique de l’Europe est-elle menacée par la Russie comme le martèlent les responsables américains ? Nord Stream 2 ou pas, elle importe de toute façon plus de la moitié (55%) de son énergie et cette proportion devrait augmenter dans les prochaines années. En effet, les réserves européennes, comme celles du gaz de la mer du Nord, sont en train de s’épuiser. Or, la Russie effectivement, occupait en 2018, la première place des fournisseurs de pétrole et de gaz de l’Europe avec respectivement 29,8% et 40,1% de part de marché. Loin devant l’Irak (8,7%) et l’Arabie saoudite (7,4%) pour l’or noir, ainsi que la Norvège (18,5%), l’Algérie (11,3%) et le Qatar (4,5%) pour l’or bleu. 
Pourtant, à rebours des déclarations américaines ou est-européennes, certaines voix en Europe estiment que «Nord Stream 2 contribuera à renforcer la sécurité énergétique de l’Europe occidentale», comme le disait en juillet 2016 à RT France Gérard Mestrallet, pdg de Engie de  2008 à mai 2016, et président de son conseil d’administration jusqu’en mai 2018.
«Depuis quelque temps, expliquait-il, la production du gaz est en déclin en Europe et notamment en Mer du Nord, au Royaume-Uni comme aux Pays-Bas. Nous serons donc obligés d’accroître les importations. Il faudra couvrir le déficit à l’aide d’exportations en provenance de Russie, ce qui exige une infrastructure appropriée. C’est pour cela que nous soutenons le Nord Stream 2 et sommes prêts à investir dans ce projet
Le gaz russe qui passe par des pipelines offre en outre l’avantage de la stabilité de prix et de fourniture, grâce à des contrats pluriannuels que ne peuvent efficacement concurrencer des livraisons de gaz liquéfié avec, pour leur transport par voie maritime, une empreinte carbone très défavorable par rapport à des tuyaux sous-pression.
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Hannibal GENSÉRIC

 

4 commentaires:

  1. C'est une blague : l'empire abolira l'oléoduc comme il a aboli l'économie avec le virus.

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  2. Si les Européens sont si ignares que ca alors tans pis .

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  3. Bonnal, 🌿Serge de beketch🦀 s'est si vite fâché 🍰avec toi..!...!

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  4. Oui ... Navalny a été personnellement empoisonné par V Poutine? Vladimir a mis le gaz neurotoxique russe le plus meurtrier Novichok dans la tasse de thé de Navalny!
    Croyez-moi ? Je suis un analyste des médias occidentaux tres "respecté".
    Est-ce que je te mentirais ?

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