Que se passe-t-il en France depuis la mise en scène terroriste, si horriblement « réussie », de la décapitation d’un professeur d’histoire devant son école à Conflans-Sainte-Honorine ? Une double dérive réactive, qui est très précisément celle-là même qu’espéraient déclencher les terroristes – et c’est bien l’une des raisons de la dénoncer – est en passe de faire franchir à la « France des droits de l’homme » un jalon essentiel de son histoire contemporaine.
De l’islamophobie de la droite à celle de l’État
Irrésistiblement, l’impression s’impose qu’au sommet de la République, ce sont désormais les seules exigences d’une pitoyable rivalité électoraliste entre l’extrême droite et le chef de l’État qui, chez ce dernier, ont pris le pas sur toutes autres considérations.
L’impression s’impose qu’au sommet de la République, ce sont désormais les seules exigences d’une pitoyable rivalité électoraliste entre l’extrême droite et le chef de l’État qui, chez ce dernier, ont pris le pas sur toutes autres considérations
La rhétorique islamophobe – suspicion, amalgame, crainte et ignorance vis-à-vis des musulmans –, un temps cantonnée aux rangs de l’extrême droite, avait certes gagné irrésistiblement la droite puis des pans entiers d’une gauche laïciste en pleine déroute, pas seulement électorale.
Au lendemain de l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine, ce paradigme paradoxal, un temps limité aux collaborateurs d’un hebdomadaire dit « satirique » dont l’ADN, avant qu’il ne tombe dans l’escarcelle de la gauche islamophobe, était celui de la provocation tous azimuts, a été adopté et cautionné par le sommet de l’État.
Une caricature obscène, d’une vulgarité infinie, sans la moindre trace d’humour ou de sens autre que la volonté d’avilir la composante la plus mal représentée du tissu politique national, semble être devenue, pour le chef de l’État et les élites « républicaines » et « laïques », l’indéboulonnable symbole de la liberté d’expression à la française.
Par le président de la République en personne, la rhétorique de la stigmatisation indiscriminée des croyants musulmans a ainsi été explicitement cautionnée.
L’idéologie sectaire de « l’hiver républicain »
Cette rhétorique est empruntée à l’idéologie d’un groupuscule surmédiatisé, mal nommé le « Printemps républicain », où quelques-uns des perdants et des perdus de la gauche, sous couvert de la défense d’une laïcité grossièrement dévoyée, se sont insidieusement réappropriés les thèses les plus sectaires de leurs anciens rivaux de droite.
Dans la descendance lointaine des thèses de Bernard Lewis (inventeur de l’expression « choc de civilisations ») pour les néo-cons américains, le long des insinuations reprises de longue date par Gilles Kepel, explicitées dans l’ouvrage dirigé par son collègue Bernard Rougier Les Territoires conquis de l’islamisme, la superficie des cibles légitimes de l’opprobre républicain va connaître ainsi une brutale extension.
Une caution officielle est en effet apportée à la thèse – jamais démontrée et largement contredite par les travaux de nombreux universitaires ou d’experts, y compris (comme Marc Sageman) en provenance de la CIA – d’un « écosystème islamiste » qui, tel un « tapis roulant », conduirait inéluctablement au terrorisme tous les musulmans qui entendent seulement conserver une certaine visibilité à leur appartenance culturelle et religieuse ou participer au débat national sur un registre oppositionnel.
Les « travaux » de Bernard Rougier n’exploitent pourtant qu’un filon connu de longue date. Il consiste à présenter sur un mode anxiogène et, dans un désert statistique, en les hypertrophiant très largement, les conséquences d’un dysfonctionnement du « vivre ensemble hexagonal » qui est aussi réel et connu qu’il est ancien.
Ils ne font en effet que confirmer que la machine française à stigmatiser et marginaliser ses citoyens de confession musulmane a malheureusement fabriqué dans nos banlieues des ghettos sociaux au sein desquels se manifeste parfois une contre-culture de rupture et de rejet de l’environnement national plus ou moins explicite.
Mais ces « travaux » à l’emporte-pièce omettent, avec une consternante irresponsabilité, de s’interroger lucidement sur les causes de l’affirmation de cette contre-culture et, plus encore, de dénoncer comme telles les carences massives de ce pouvoir républicain.
Des carences que le chef de l’État lui-même avait pourtant – mais si fugitivement – entrevues clairement dans son discours des Mureaux. « Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme. C’est celui de nos quartiers, c’est la ghettoïsation que notre République […] a laissé faire […] nous avons construit une concentration de la misère et des difficultés […] Nous avons concentré les difficultés éducatives et économiques dans certains quartiers de la République […] Nous avons créé, ainsi, des quartiers où la promesse de la République n’a plus été tenue », admettait Emmanuel Macron.
En France, la sphère d’action du « terrorisme d’atmosphère » (« une atmosphère » qui propagerait « la haine des valeurs des sociétés laïques occidentales » selon Gilles Kepel), n’est donc plus réputée être cantonnée aux franges radicalisées des banlieues. Aussi exagérément élargie, on pourrait estimer qu’elle englobe de facto 95 % des musulmans pratiquants.
Le soutien actif de la quasi-totalité des chaînes d’information en continu (de CNews à LCI en passant par BFMTV) aux raccourcis analytiques et éthiques de ce camp-là a longuement préparé cette transition.
Mais l’étape franchie est néanmoins de taille : en octobre 2020, d’une classique islamophobie d’extrême droite, la France est réellement passée à ce que l’on est en droit de nommer une « islamophobie d’État », quasi unique en son genre dans le noyau historique de l’Union européenne.
Les termes du projet de loi « de renforcement de la laïcité » – un temps qualifié de lutte contre le « séparatisme » puis rebaptisé « projet de loi confortant les principes républicains » – et, plus globalement, l’identification de l’origine du terrorisme ne ciblent plus seulement la frange des adeptes d’un langage ou de conduites de rupture.
Ils englobent désormais toute l’infrastructure associative, sportive, commerciale, humanitaire (telle l’ONG Baraka City, dissoute le 28 octobre en Conseil des ministres) ou, a fortiori, de défense des droits individuels comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).
Interdire le CCIF : une mesure contreproductive
Car le paradoxe le plus immédiat de ce virage radical est bien qu’il touche ce CCIF, dont la dissolution est explicitement programmée. Or cette organisation, décrite comme « l’une des rares […] dans lesquelles ont une vraie confiance les musulmans de France », se trouve en réalité être l’un des rares dispositifs capables de limiter les revers contre-productifs que cette brutale radicalisation gouvernementale est en train d’engendrer.
Le pire de la nouvelle stratégie gouvernementale est que la capacité de mobilisation de Daech est manifestement en train d’en tirer profit. Car elle donne soudain une « précieuse » crédibilité à la vieille accusation d’hostilité systématique de la France vis-à-vis des musulmans
Fondé en 2000 par Samy Debah et longtemps dirigé par Marwan Muhammad, lequel est notamment l’auteur d’un ouvrage qui éclaire la portée de son engagement (Nous (aussi) sommes la nation), le CCIF avait vu le jour « parce que les organisations antiracistes traditionnelles [la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) en tête] ne reconnaissaient pas la réalité et les mécanismes de l’islamophobie ».
L’association s’était consacrée depuis lors, avec une remarquable efficacité – louée et exploitée par les défenseurs des droits humains, notamment la Cour européenne des droits de l’homme et l’OSCE dans son rapport sur les crimes de haine –, à recenser et à dénoncer les actes islamophobes, à accompagner les victimes dans leur parcours judiciaire et à produire des études et des mobilisations susceptibles de constituer « un contrepoids face aux discours de haine et au climat de suspicion entretenus par certains médias et personnalités publiques ».
La crédibilité de l’acte d’accusation contre le CCIF (qui notamment « alimente[rai]t les rangs de Daech ») – pour l’essentiel la dénonciation de propos banalement oppositionnels attribués à des proches ou des usagers du Collectif ou la connaissance de son existence par tel « radicalisé » – vole en éclats dès lors qu’on le confronte seulement à l’idéal de « liberté d’opinion » ou « d’expression ». Cette liberté que brandissent pourtant, en toutes circonstances, les accusateurs du CCIF pour justifier la stigmatisation sans limite de la communauté musulmane.
Cette liberté devrait pourtant demeurer le socle d’une République digne de ce nom. En envisageant très sérieusement, à défaut de pouvoir le faire taire, de contraindre le CCIF à l’exil, les dirigeants de ce pays sont donc en train de mettre en œuvre une « riposte » bien contreproductive : pour combattre un mal dramatique, à savoir la propension d’une frange d’individus à quitter le terrain de la lutte politique pour s’engager dans l’action armée, ils s’apprêtent ni plus ni moins à abattre les barrières pares-feux dont il a été amplement démontré qu’elles empêchaient précisément la dissémination de cette dérive.
Pour lutter contre le terrorisme anticapitaliste, aurait-on dissous les syndicats ?
Que se serait-il passé en France si, pour combattre les assassinats opérés au début des années 1980 par le groupe Action directe, qui disait combattre les débordements du capitalisme libéral, la République, sous prétexte qu’ils participaient à une même contestation du patronat, s’en était prise, de la Confédération générale du travail (CGT) à Force ouvrière (FO), à l’entière infrastructure syndicale du pays ?
Comment la France réagirait elle si, dans tel ou tel pays d’Europe centrale, les associations de lutte contre l’antisémitisme devenaient la cible des autorités, qui menaceraient de les dissoudre ?
Le pire de la nouvelle stratégie gouvernementale est que la capacité de mobilisation de Daech est manifestement en train d’en tirer profit. Car elle donne soudain une « précieuse » crédibilité à la vieille accusation d’hostilité systématique de la France vis-à-vis des musulmans – une accusation que, pas seulement dans le monde musulman, Paris a de plus en plus de mal à dissiper.
Comment la France réagirait elle si, dans tel ou tel pays d’Europe centrale, les associations de lutte contre l’antisémitisme devenaient la cible des autorités, qui menaceraient de les dissoudre ?
N’en déplaise aux laborieuses dénégations dont le chef de l’État inonde le monde musulman depuis que la colère s’y est traduite en boycott commercial, un vieux pressentiment est en quelque sorte devenu une réalité : les seuls musulmans considérés comme compatibles avec la République macronienne semblent plus que jamais n’être que ceux qui… ne le sont plus.
Jamais sans doute dans l’histoire récente de la France, une élection présidentielle n’aura-t-elle coûté aussi cher au présent et au futur, proche et lointain, de ses citoyens électeurs, de toutes confessions.
- François Burgat, politologue, est directeur de recherches émérite au CNRS (IREMAM Aix-en-Provence). Il a notamment dirigé l’Ifpo (Institut français du Proche-Orient) entre mai 2008 et avril 2013 et le CEFAS (Centre français d’archéologie et de sciences sociales de Sanaa) de 1997 à 2003. Spécialiste des courants islamistes, son dernier ouvrage est Comprendre l’islam politique : une trajectoire de recherche sur l’altérité islamiste 1973-2016 (La Découverte).
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Hannibal GENSÉRIC
Macron est un sataniste avec sa bande de sbires. L'Islam représente un danger pour ces criminels, vu que cette religion est le dernier rempart en France contre l'immoralité. Il ne faut plus compter sur l'Eglise Catholique car le Pape François est membre du club de Satan. La religion Juive est dans les mains de l'élite cinématographique et médiatique (Weistein/Epstein). Macron impose peu à peu sa maléfique dictature sur la France, il veut donc évincer l'obstacle musulman de sa route vers son pouvoir absolu. Le grain de sable de cette sombre machination sera la crise économique en marche vers la misère de la population avec une révolte au bout du chemin.
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