Un boomerang
est un bâton à lancer utilisé par certains aborigènes australiens. Le boomerang
le plus connu est le boomerang avec effet retour : lorsqu’il rate sa cible, il
décrit un cercle et revient vers la personne qui l’a lancé, lui donnant
éventuellement un coup sur la tête pour l’effet comique. La plupart de ceux qui
existent sont des souvenirs vendus en Australie, tout comme le didgeridoo, ce
bâton creux qui fait un drôle de bruit. Telle devait être la vie en Australie
avant l’arrivée de l’homme blanc : on sortait et on essayait de chasser avec un
bâton tordu qui revenait en arrière et finissait par vous frapper sur la tête,
puis on abandonnait et on rentrait à la maison, où on s’asseyait en faisant des
bruits amusants avec un bâton creux. Pour compléter la série technologique, il
y avait aussi le bâton de déterrage, pour déterrer des tubercules sauvages
quand vous aviez faim.
En dehors d’une utilisation de niche consistant à débusquer le petit gibier, il
s’agit d’une arme de plaisanterie qui est rarement, voire jamais, proposée à la
vente dans les magasins de chasse sérieux. Des anthropologues travaillant en
Australie ont trouvé un vieux squelette avec des fractures du crâne et des
côtes qu’ils pensaient avoir été causées par un boomerang, après avoir exclu le
didgeridoo et le bâton de fouille en raison de l’absence de bord tranchant. Cela
les a amenés à penser que le boomerang aurait pu être utilisé comme une arme de
meurtre et de guerre. Une autre théorie est que la pauvre personne à qui
appartenait ce squelette avait simplement l’habitude de lancer son boomerang et
d’oublier qu’il l’avait lancé. Il restait donc là, bouche bée, jusqu’à ce que
le boomerang lui revienne en pleine face.
Bien qu’il s’agisse d’une arme assez pathétique, le boomerang est une métaphore
merveilleusement imagée des plans qui échouent de manière répétée et inéluctable.
Nos intrépides dirigeants à Washington ont élaboré et exécuté de tels plans,
avec une telle profusion, que l’ensemble de l’establishment de Washington
mérite amplement le surnom de « lanceurs de boomerang ». Les
boomerangs politiques qu’ils lancent ont une propriété intéressante : ils sont
invisibles pour celui qui les lance. Ainsi, le collectif appelé aussi « establishment
de Washington » lance le boomerang et reste là à regarder attentivement
dans le vide jusqu’à ce que le boomerang revienne et le frappe très fort,
auquel cas il s’écrie « Oh, ce n’est qu’une égratignure ! » ou « Ce
n’est qu’une blessure superficielle ! » avant de le ramasser et de le
lancer à nouveau.
Je vais décrire ici quelques-uns de ces boomerangs politiques. Plutôt que de
viser l’exhaustivité, je présenterai un échantillon suffisamment large pour
évaluer la profondeur et l’ampleur de cette tendance à lancer des boomerangs.
Je m’aventurerai ensuite à deviner les causes qui sous-tendent ce comportement
étrange et autodestructeur.
1. Le boomerang de Washington le plus
récent dont nous disposons est la dispute internationale au large de la côte de
Crimée impliquant le destroyer britannique « HMS
Defender ». Il s’est brièvement aventuré dans les eaux
territoriales russes (ce qui constitue automatiquement un acte de guerre et
rendrait le nom de « HMS Offender » plus approprié) et a été
rapidement chassé par des patrouilleurs et des avions russes.
Le caractère ridicule de cette provocation est apparu clairement lors du
marathon annuel de questions-réponses de Vladimir Poutine, au cours duquel il a
souligné qu’il devait s’agir d’une provocation coordonnée car un avion espion
américain (dont Poutine a récité le numéro de transpondeur par cœur) avait
décollé de sa base à Chypre quelques heures avant l’intrusion du navire
britannique, dans le but de sonder les défenses russes et d’observer la réponse
de la Russie.
Par conséquent, a laissé entendre Poutine de manière transparente, cet avion a
été nourri de désinformation spécifique. Mais surtout, Poutine a déclaré que la
Russie aurait pu couler le navire britannique alors qu’il se trouvait dans ses
eaux territoriales au large de la Crimée sans risquer de déclencher une guerre.
La Grande-Bretagne ne reconnaît pas la Crimée comme un territoire russe. Cette
position est politiquement futile mais, plus important encore, elle est
militairement invalide. « Nous ne reconnaissons pas que la Crimée est
bla-bla-bla… » serait une façon ridicule pour ces Britanniques égarés de
mourir.
Si ce boomerang fonctionnait comme il le devrait, il trancherait proprement la
tête de tout l’establishment du renseignement militaire américain qui a conçu
et approuvé cette provocation. Au lieu de cela, bien sûr, ils vont crier « C’est juste une égratignure
! » tout en affichant leurs célèbres sourires crispés et ils
continueront à avancer sans se décourager. Sauf que s’ils essaient à nouveau,
ils seront coulés. C’est quelque chose qu’ils sont suffisamment intelligents pour
comprendre, malgré leurs déclarations publiques – un fait dont beaucoup de
couches souillées à bord du HMS Defender pourraient attester. Vidéo (Monty Python - The Black Knight)
2. Un boomerang particulièrement
énorme, au vol lent mais finalement dévastateur, a été l’invasion américaine de l’Afghanistan. Après
le 11 septembre, les Américains ont exigé que les Talibans livrent Oussama Ben
Laden. Les dirigeants talibans ont répondu qu’ils seraient heureux de le faire
à condition qu’on leur montre les preuves qu’Oussama Ben Laden a commis un acte
criminel. Sinon, ils ne pouvaient rien faire légalement. Les talibans sont
principalement des Pachtounes, et la loi pachtoune de l’hospitalité (nanawatai)
exige que tout Pachtoune accueille et donne asile à quiconque le demande. Au
lieu de leur montrer les preuves (peut-être parce qu’elles n’existent pas), les
Américains ont envahi le pays.
Vingt ans plus tard, après des milliers de milliards de dollars gaspillés et/ou
volés, les Américains se retirent en catastrophe et les Talibans triomphent à
nouveau. L’invasion américaine de l’Afghanistan a été en partie motivée par la
théorie géopolitique farfelue élaborée par Sir Halford Mackinder il y a plus
d’un siècle. Selon cette théorie, celui qui contrôle le « cœur de
l’Eurasie » peut contrôler l’« île-monde ». L’emplacement de ce « cœur »
est, je suppose, déterminé en découpant une représentation en carton de
l’Eurasie et en la faisant tenir en équilibre sur une épingle. L’épingle
représente l’Afghanistan, un pays montagneux enclavé, toujours pauvre mais
farouchement indépendant, qui ne devrait présenter aucun intérêt pour
quiconque, à l’exception de quelques marchands et négociants intrépides.
Maintenant que la théorie du cœur du l’Eurasie a été reléguée dans les annales
des théories manifestement ridicules, la prochaine étape sera la « théorie
du nénuphar », selon laquelle un avantage stratégique peut être obtenu en
dispersant des bases militaires aux alentours du cœur de l’Eurasie. Une fois
partis, cet empire militaire américain de bases aura perdu sa raison d’être et
devrait imploser. Cette théorie et ces bases sont toutes deux des cibles
faciles : les systèmes d’armes modernes permettent d’empêcher le
réapprovisionnement d’un grand nombre de ces bases sans recourir aux
hostilités, mais simplement en proférant des menaces et en organisant quelques
exercices de démonstration. Ainsi, les bases sont des passifs plutôt que des
actifs et leur démantèlement rapide devrait faire partie de toute stratégie
raisonnable de minimisation des risques. [La célèbre base de Bagram vient
d’être justement abandonnée de nuit, NdT]
Dans un exemple étonnant d’ignorance délibérée, les Américains n’ont tiré
aucune leçon de l’effort britannique pour contrôler l’Afghanistan, qui s’est
terminé par une déroute qui s’est transformée en un massacre sanglant avec un
seul survivant, ou de l’expérience soviétique en Afghanistan, qui s’est
terminée par un retrait plus ordonné après neuf ans d’un effort de guerre très
coûteux et finalement infructueux. Ils n’ont pas non plus compris à quel point
l’échec soviétique en Afghanistan a affaibli et démoralisé l’armée soviétique
et n’ont pas prévu d’effets similaires pour eux-mêmes.
Les soldats rapatriés de zones de guerre comme
l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie, ainsi que de tous les « nénuphars »,
reviendront dans un pays déchiré par des divisions sociales, culturelles et
raciales irréconciliables et glissant progressivement vers l’effondrement
économique, la dissolution politique et la guerre civile. Il ne faut
pas s’étonner si le boomerang afghan s’avère être le plus grand de tous les
boomerangs américains, avec les effets, de loin, les plus dévastateurs et les
plus étendus.
3. Un jeu auquel les États-Unis se
livrent contre divers pays, mais surtout contre la Russie, peut être appelé à
juste titre « la mort par mille boomerangs »
: il s’agit du jeu consistant à imposer des sanctions unilatérales, et donc
illégales, ou à forcer ses vassaux européens à faire de même, à attendre
l’inévitable retour de bâton, puis à recommencer. L’expression « Merci, monsieur, puis-je en
avoir un autre ! » me vient à l’esprit.
Il semble y avoir une règle de base en matière de sanctions : s’il s’agit de
sanctions internationales légales, imposées par l’ONU, elles affaiblissent le
pays sanctionné ; s’il s’agit de sanctions nationales illégales et unilatérales
(les sanctions imposées par l’UE sont toujours unilatérales), elles
affaiblissent le ou les pays qui les imposent. Il s’agit d’une leçon de base,
mais elle n’a pas encore été enregistrée à Washington ou à Bruxelles. Les
exemples de cette règle en action sont nombreux :
Après le coup d’État de Kiev fomenté par les États-Unis, l’UE a été contrainte
d’imposer des sanctions à la Russie. La Russie a répondu en imposant des
sanctions sur les produits alimentaires que l’UE exportait vers la Russie. Le
résultat a été très bénéfique pour les agriculteurs russes, qui, en peu de
temps, ont non seulement réussi à rendre la Russie presque totalement
autosuffisante sur le plan alimentaire, mais ont aussi fait de l’agriculture une industrie d’exportation majeure,
générant plus de recettes que les ventes d’armes. L’UE a dû faire
face aux pertes de revenus dues à l’absence d’exportations et à l’agitation
politique provoquée par le mécontentement de ses agriculteurs.
Voyant que l’activité de construction d’avions de passagers russes était prête
à décoller, les États-Unis ont décidé de la contrecarrer en imposant des
sanctions sur les exportations de fibres de carbone vers la Russie, empêchant
celle-ci de construire des ailes en composite de fibres de carbone pour sa
dernière génération d’avions de passagers. Après quelques années, la Russie a
pu commencer à fabriquer ses propres ailes en composite et a produit
suffisamment d’avions pour s’emparer de la moitié du marché intérieur russe,
avec de bonnes perspectives d’exportation. En cours de route, la Russie a
décidé que les États-Unis n’étaient pas un fournisseur fiable de moteurs à
réaction et a développé ses propres moteurs, remplaçant ainsi Pratt &
Whitney. Le résultat est un nouveau marché important pour la Russie et une
perte de parts de marché international pour Boeing et Pratt & Whitney.
La technologie de la fracturation hydraulique de roche mère pour produire du
pétrole et du gaz (connue sous le nom de « fracking ») a été mise au
point en Union soviétique il y a plusieurs décennies. Plus récemment, les
États-Unis ont eu recours à la fracturation parce que leurs ressources en
pétrole et en gaz conventionnels étaient en phase terminale de déclin.
Cherchant à s’assurer un avantage concurrentiel, ils ont interdit l’exportation
de la technologie de fracturation vers la Russie. La Russie a répondu en
développant sa propre technologie de fracturation et en l’appliquant dans sa
formation rocheuse de Bazhenov en Sibérie occidentale, qui éclipse toutes
celles des États-Unis. Elle a déjà été en mesure de produire du pétrole à
partir de cette formation avec un bénéfice, alors que l’industrie de la
fracturation aux États-Unis a produit du pétrole et du gaz avec une perte
globale et semble maintenant être en phase terminale de déclin et incapable
d’attirer de nouveaux investissements. Le résultat est que la Russie dispose
désormais d’une nouvelle flèche précieuse dans son carquois technologique,
alors que la technologie américaine correspondante ne présente plus d’intérêt
pour elle.
Mécontents que la Turquie ne veuille pas acheter ses systèmes de défense
aérienne Patriot, trop chers et dépassés, et opte pour le système russe S-400,
les États-Unis ont commencé à jouer des jeux politiques en menaçant d’abord,
puis en excluant effectivement la Turquie du programme américain d’avions de
combat F-35, perdant ainsi un demi-milliard de dollars en ventes d’armes. La Turquie
a continué sans se décourager. Les résultats ont été les suivants : publicité
gratuite pour les systèmes de défense aérienne de la Russie ; perte de
confiance dans le système Patriot et dans le programme de chasseurs interarmées
F-35 ; et une nouvelle et puissante source de discorde au sein de l’OTAN.
Mécontents que la Chine prenne de l’avance dans le développement de la
technologie sans fil 5G de nouvelle génération, les États-Unis ont tout fait
pour imposer des sanctions à Huawei, l’entreprise chinoise qui était à
l’avant-garde de son développement. Ces sanctions ont été accompagnées d’une
campagne de désinformation publique dénonçant les effets négatifs supposés de
la technologie sur la santé, ainsi que de l’arrestation et de l’emprisonnement
de Meng Wanzhou, de Huawei, au Canada, sur la base d’accusations forgées de
toutes pièces. Huawei a notamment été empêché d’utiliser le système
d’exploitation Android de Google sur ses téléphones.
En réponse, Huawei est retourné au logiciel libre Linux/Unix sur lequel Android
est basé et a produit son propre système d’exploitation Harmony OS, une
solution de remplacement d’Android. Dans un ultime effort, Harmony OS
fonctionne parfaitement avec les applications et services de Google. Le
résultat final a été de tourner en dérision les efforts des États-Unis en
matière de concurrence déloyale, de renforcer la stature de Huawei au niveau
international et de nuire à la réputation de Google. Le système judiciaire
américain, avec ses ambitions extraterritoriales, en a également pris un coup,
l’arrestation de Meng ressemblant beaucoup à un acte de terrorisme économique.
4. Le dernier boomerang lancé par les
États-Unis sur le plan international, et peut-être le plus meurtrier, concerne
un sujet qui relève de la rubrique générale des « valeurs ». Il
s’agit d’un concept merveilleusement vague qui couvre n’importe quoi, depuis
les affirmations débiles de Biden selon lesquelles, contrairement à d’autres,
les Américains « ne tirent pas leurs droits du gouvernement ; ils les
possèdent parce qu’ils sont nés – point final » jusqu’aux exigences de
conformité absolue à une idéologie totalitaire de la race et du sexe soutenue
par la menace de la violence. L’erreur
fondamentale consiste à donner la priorité et à élever les groupes marginaux et
les minorités (gays, noirs, Américains vus internationalement) au-dessus des
autres.
Cette démarche n’est pas valable, car il est manifestement antidémocratique
d’imposer la volonté d’une minorité à la majorité. En ce qui concerne les
États-Unis, cette démarche entraînera un retour de flamme et une guerre civile
; au niveau international, elle est vouée à l’échec. En outre, elle transforme les États-Unis en une vitrine de la
folie, où la déviance sexuelle et la violence raciste entre Noirs et Blancs ne
sont pas seulement tolérées mais célébrées. Cela exclut toute
possibilité de dialogue constructif et de compréhension commune entre les
États-Unis et le reste du monde, car les États-Unis peuvent désormais être
considérés à juste titre comme « non-imputables », c’est à dire irresponsables.
C’est un nouveau mot de vocabulaire que vous devez mémoriser. Il est défini
comme « inconscient des conséquences de ses actes ou incapable de les contrôler en
raison d’une maladie mentale chronique, d’une perturbation temporaire de
l’activité mentale, d’une faiblesse d’esprit ou de tout autre état
pathologique. » Ainsi, le boomerang des « valeurs » a
pour effet de faire sauter le cerveau : il ne reste plus qu’à déclarer les
États-Unis « zone à risque pour la santé mentale » et à placer des
panneaux « Ne pas entrer ». De tels accès de folie collective ont
tendance à s’épuiser assez rapidement, et il ne nous reste plus qu’à attendre.
Par Dmitry Orlov – Le 7 juillet 2021 – Source Club
Orlov
Via : le Saker
Francophone
Le livre
de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle «
discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire
l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Il vient d’être réédité aux éditions Cultures
& Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
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