Anthropologue britannique, professeur et chercheur
associé à la “School of Oriental and African Studies” (École des études
orientales et africaines) de l'Université de Londres, spécialiste reconnu de la
zone sahélienne, Jeremy Keenan raconte dans cet article (dont nous reproduisons
des extraits), la guerre qu’a livrée le DRS du général Médiène, dit Toufik, au
clan Bouteflika afin d’empêcher Saïd Bouteflika, le jeune frère du président,
d’arracher la succession.
Selon lui, la guerre aurait peut-être débouché sur un
accord selon lequel Mediène «prendrait sa retraite» suivi aussitôt par
Bouteflika pour raisons de santé, et le pays serait gouverné jusqu’aux
élections de 2014 par un ou des Vice-président(s) nommé(s) quelque temps avant
le départ de Bouteflika.
Auteur du livre "The Dark Sahara: Americas War on
Terror in Africa" (Sombre Sahara: la guerre de l’Amérique contre le
terrorisme en Afrique), Jermy Keenan a notamment affirmé, il y a quelques mois,
que c'est la Sécurité militaire algérienne qui a conduit la France dans le
fiasco de son opération militaire du 22 juillet au Mali, destiné à sauver
l'otage Michel Germaneau.
Septembre 2010
marque le vingtième anniversaire de la prise de fonction du plus ancien «chef
des services de renseignement» en poste dans le monde. L’homme en question est
le Général Mohamed «Toufik» Mediène, Directeur du Département du Renseignement
et de la Sécurité (DRS) algérien.
Il a été nommé
à la tête du DRS en septembre 1990, 15 mois avant que les «Généraux algériens»
ou le «Groupe» comme on les appelait à l’époque, et dont Mediène, alors
colonel, faisait partie, annulent les élections qui auraient permis de porter
au pouvoir le premier gouvernement des
terroristes islamistes élu « démocratiquement », grâce aux
cadeaux distribués généreusement aux électeurs les plus démunis, qui sont les
plus nombreux et les plus ignorants. C’est ce que l’on verra, en 2011, en
Tunisie et en Égypte ; dans lesquelles la masse inculte a massivement voté
pour que « les représentants sur terre d’Allah et de son Prophète » gouvernent
ces pays. Or, ces « représentants » sont, pour la plupart des
délinquants de droit commun, qui ont été recyclés en terroristes islamistes
dans les prisons, portant barbe et kamis, qui font d’eux les nouveaux « imams »
aussi savants que les talibans de triste réputation. Ils ont réduit la Tunisie
d’hier en Tunistan d’aujourd’hui, que les jeunes cadres diplômés fuient en
masse pour chercher un avenir en Europe et aux Amériques. En ce jour, nous apprenons que onze ou treize bébés nouveaux-nés sont morts à un grand hôpital de Tunis. Cela n'est pas étonnant, car depuis le sistre Printemps Arabe, les institutions publiques (hôpitaux, écoles, universités, bureaux de poste, etc.) tombent en décrépitude, alors que des mosquées et des écoles cora(nique)s poussent partout afin de talibaniser un maximum de terroristes islamistes en puissance. Naturellement, à ce jour, AUCUN responsable de l'Hôpital n'est inquiété ou poursuivi. On a même entendu à la radio nationale une femme islamiste déclarer "remercions Dieu qu'il n'y ait pas eu des dizaines de bébés morts". C'est aussi cela, le terrorisme islamiste.
Être le chef des services de renseignement et de la sécurité pendant
20 ans relève de l’exploit. Felix Dzerzhinsky, le fondateur de la Tcheka
qui deviendra plus tard le KGB (Russie.
Le KGB juif ) , a dans les faits «contrôlé» l’Union Soviétique pendant neuf
ans (1917-1926); Lavrenti Beria, chef du NKVD, l’a terrorisée pendant 15
ans (1938-1953); le chef de la police d’Hitler, Heinrich Himmler, s’est
suicidé au bout de 11 ans (1934-1945), quant au Général Hendrik van den
Bergh, il a dirigé le Bureau of State Security (BOSS), les services de
renseignement du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, pendant 11 ans
(1969-1980). Mediène les a tous surpassés.
Pourquoi alors,
juste au moment où Mediène atteint ce jalon extraordinaire, entend-on des
rumeurs concernant sa mise à l’écart imminente de la scène politique ? La
réponse tient en quelques mots : lorsque le chef du renseignement et de la
sécurité d'un pays fait la une de l’actualité, il y a fort à parier qu'il a
fait son temps. Au cours des neuf derniers mois, on a beaucoup parlé de
Mediène, principalement à cause de la lutte qui l’oppose à Abdelaziz
Bouteflika depuis l’élection de ce dernier pour un troisième mandat
présidentiel en avril 2009. «L’homme fort» de l’Algérie.
Pour comprendre
cette lutte, il faut revenir quelques années en arrière. Mediène a gravi les
échelons de la hiérarchie sur un «tapis rouge»[i] : il a été formé par le KGB
en 1961 et soutenu par les chefs du premier service secret algérien.
Pendant les
années 90, lorsque l’Algérie était plongée dans sa «sale guerre» contre les
islamistes, l’homme le plus puissant du pays était le Général Mohamed Lamari,
chef d’état-major de l’armée algérienne. Mais lorsque le pays a renoué avec la
paix et que les chars ont regagné les casernes, c’est Mediène qui est devenu
«l’homme fort» du pays.
La transition
de la «guerre» à la «paix» et l’ascension de Mediène ont coïncidé avec la
période entourant l’élection de Bouteflika à la Présidence de la
République en 1999.
Les faiblesses
personnelles de ses semblables, telles que la propension à la corruption et les
penchants sexuels, ont été des éléments fondamentaux dans la manière dont
Mediène a exercé le contrôle. Il n’est donc pas surprenant que l’élément qui a
décidé Mediène à accorder son soutien à Bouteflika en 1999 ait été la
condamnation de ce dernier en 1983 dans le cadre d’un détournement de fonds des
chancelleries algériennes, pour un montant total correspondant à 23 millions de
dollars actuels, pendant qu’il était ministre des Affaires étrangères entre
1965 et 1978.
Mediène est
devenu «l’homme fort» incontesté de l’Algérie après les élections
présidentielles d’avril 2004 et le limogeage inattendu de Mohamed Lamari qui a
eu lieu quatre mois plus tard. Le complot qui a conduit à la mise à l’écart de
Lamari comprenait un accord entre Bouteflika et Mediène visant à donner une
nouvelle image de l’Algérie en écartant le général le plus haï à cette époque.
Une fois Lamari parti, Bouteflika et Mediène se sont effectivement partagé le
pouvoir pendant que le Général Smaïn Lamari (aucun lien de parenté avec
Mohamed), l’adjoint de Mediène et chef de la Direction du contre-espionnage
(DCE) faisait le «sale boulot».
Des ambitions
grandioses. Mediène est un homme extrêmement secret. Une seule photo de lui a
été publiée et quasiment aucune de ses paroles n'ont été enregistrées. On
suppose donc que son ambition de prendre le contrôle effectif du pays, si c’est
bien de cela dont il s’agit, remonte à l’époque du départ de Lamari. (…)
Signal
d’avertissement
Les difficultés
actuelles du «Dieu de l’Algérie» ont commencé avec l’élection de Bouteflika
pour un troisième mandat en avril 2009. En effet, un troisième mandat
présidentiel exigeait d'amender la Constitution, mesure que le DRS a soutenue à
contrecœur.
Mais les
conséquences de l’élection n’ont pas été celles que Mediène avait prévues. A
peine Bouteflika a-t-il été installé dans le fauteuil de son troisième mandat
que son «clan», conscient du mauvais état de santé du Président, a commencé à
planifier sérieusement sa succession qui devait être assurée par son frère
cadet, Saïd Bouteflika. Bien que considéré par beaucoup comme un
incapable, Saïd Bouteflika était néanmoins en train d’établir une base de
pouvoir politique. Il était devenu le «portier» du Président, assurait des
fonctions de ministre-sans-portefeuille et rassemblait des soutiens parmi
l’élite économique du pays. On parlait même d’un nouveau parti politique qui
allait être créé pour lui.
La perspective
d'une telle succession dynastique n’était pas exactement ce que le chef des
renseignements et de la sécurité avait en tête lorsqu’il avait donné son feu
vert au troisième mandat de Bouteflika.
Mediène
observait l’avancée de Saïd sur le devant de la scène avec dégoût. Bien que le
DRS se sente tout à fait capable de gérer le «problème de succession», Mediène
était conscient du risque que Bouteflika essaye de se débarrasser de lui au
cours de son troisième mandat comme il l’avait fait avec Lamari au début de son
deuxième mandat.
Le signal
d’avertissement est parvenu à Mediène lorsque Saïd Bouteflika s’est adjoint
pour sa campagne les services de l’ancien chef de la sécurité, le Général Mohamed
Betchine.
Betchine avait
été le chef des services de renseignement du pays et patron de Mediène dans les
années 80, avant la création de la DRS en 1990, lorsqu’il a en apparence pris
sa retraite.
A la suite de leur
coup d’État de janvier 1992, les Généraux ont gouverné pendant les deux années
suivantes par l’intermédiaire du Haut Comité d’État (HCE). Au moment de la
dissolution du HCE en janvier 1994, les Généraux ont désigné un de leurs hommes
au poste de Président, Liamine Zeroual. Déterminé à ne pas être le
pantin des Généraux, Zeroual a nommé, en tant que conseillers, les deux
Généraux Saïdi Fodil et Mohamed Betchine.
En 1996,
Zeroual avait décidé que Mediène était devenu trop puissant et avait programmé
de le remplacer par Fodil. La réaction de Mediène ne s’est pas fait attendre : Fodil
mourut dans un «accident de la route»(…)
La réaction de
Mediène à la perspective de voir Betchine ramené au pouvoir par Saïd Bouteflika
a été dévastatrice. Sa stratégie a consisté à détruire toutes les personnes
liées à Saïd Bouteflika en utilisant la bonne vielle combinaison «corruption
– chantage». En effet, l’une des raisons qui avait poussé Mediène à
soutenir Bouteflika en 1999 et qui a fait que la corruption est devenue si
répandue au cours des dix dernières années est que le DRS l’a encouragée et
l’utilise comme moyen de contrôle.
Chasse
aux sorcières
Mediène a
commencé par dévoiler la corruption touchant le projet d’autoroute est-ouest,
d’un montant de 12 milliards de dollars, à laquelle furent mêlés le ministère
des travaux publics et son ministre Amar Ghoul, un ami de Saïd
Bouteflika. L’avertissement n’a pas été entendu. L’attaque de Mediène, qui
rappelle son opération de «destruction» de Betchine en 1998, est donc passée à
la vitesse supérieure et s’est dirigée à la fois contre la Sonatrach, le géant
du gaz et du pétrole algérien appartenant à l’État et source de 98 % des
rentrées de devises de l’Algérie, et contre Chakib Khelil, ministre de
l’Énergie et des Mines, ami proche du Président et «symbole» de l’ère
Bouteflika.
Le «scandale de
la Sonatrach», qui a éclaté en janvier 2010 avec l’arrestation du PDG de la
société, de quatre de ses cinq vice-présidents ainsi que d’autres cadres
supérieurs a très rapidement conduit l’économie et le gouvernement dans un état
de quasi paralysie. Bouteflika n’est presque plus apparu en public tandis que
la chasse aux sorcières menée par le DRS, sous couvert de l’enquête sur la
corruption au sein de la Sonatrach, a fait perdre le sommeil à de nombreux
membres des élites économiques et politiques du pays.
A un moment
donné, il a semblé que Bouteflika parviendrait à retourner la situation contre
Mediène en désignant une «Commission de sécurité indépendante» destinée à
enquêter sur certains dossiers non résolus datant d’époques antérieures.
La commission a
notamment cherché à déterminer le rôle joué par le DRS dans les assassinats de Mohamed
Boudiaf, le premier Président du HCE, et de Saïdi Fodil.
Deux témoins de
haut rang, l’un étant membre d’une unité spéciale du DRS impliquée dans les
assassinats de Boudiaf et Fodil et l’autre, officier militaire de haut rang qui
a confirmé l’existence de cette unité secrète du DRS, ont confirmé dans leurs
déclarations que cette unité, sous le commandement des Généraux Mediène et
Smaïn Lamari, avait organisé «l’accident de voiture» qui a coûté la vie à
Fodil.
Nous ne saurons
probablement jamais quels sortilèges ont été jetés sur Bouteflika après la
publication de ces témoignages mais il suffit de dire que l’on n’a plus jamais
entendu parler de cette commission. Le remaniement ministériel opéré par
Bouteflika en mai 2010 portait en filigrane la trace du scénario vainqueur
de Mediène. Chakib Khelil et le ministre de l’Intérieur Nouredine «Yazid»
Zerhouni, les deux principaux appuis de Bouteflika au sein du gouvernement, de
même que d’autres ministres de moindre importance, ont été limogés. La
proposition de donner la succession à Saïd Bouteflika est devenue de l’histoire
ancienne.
Victoire
à la Pyrrhus
Le fait que Mediène ait réussi à réduire le
troisième mandat de Bouteflika à une présidence factice aurait pu lui
procurer une certaine satisfaction personnelle, mais cette victoire est une
victoire à la Pyrrhus pour au moins deux raisons.
Premièrement, le
scandale de la Sonatrach et l’exposition médiatique qui en a découlé ont coûté
très cher à l’économie et à la réputation internationale de l’Algérie. Deuxièmement, un certain nombre d’autres
révélations inattendues au cours des deux derniers mois ont été la cause de
problèmes particulièrement malvenus pour Mediène. Ces révélations proviennent
essentiellement d’entretiens récents accordés à Quds Press par l’ancien
agent du DRS, Karim Moulay. (...)
En outre, le
nombre croissant d'articles indiquant qu’AQMI au Sahel a été créé de toutes pièces par le DRS
suscite un certain malaise à Washington. Là encore, le blâme revient à
Mediène.
Sur le plan
intérieur, on estime que le DRS est mis sous pression, peut-être par des
éléments au sein de l’armée et de ses propres rangs, par le fait que le «terrorisme» dans le nord du pays
est susceptible d'empirer, et non de régresser comme le prétend le
gouvernement, et que les troubles civils à travers le pays atteignent des
niveaux alarmants.
Des rumeurs
indiquent que des tierces parties intermédiaires auraient parlé avec Mediène et
Bouteflika et conclu un accord selon lequel Mediène «prendrait sa retraite»
suivi de près par Bouteflika pour raisons de santé, et le pays serait gouverné
jusqu’aux élections de 2014 par un ou des Vice-président(s) nommé(s) quelque
temps avant le départ de Bouteflika. L’Algérie vit au rythme des rumeurs et
celle-ci ressemble étrangement à celle du printemps 2001 selon laquelle les
troubles Berbères mettraient fin à la carrière de Mediène.
Mais en 2001, Mediène a été sauvé, à deux reprises, par
les attentats du 11 septembre. La première
fois parce qu’en ce jour fatidique, il se trouvait dans la partie du Pentagone
qui n’a pas été touchée. La seconde fois parce qu'il est immédiatement
devenu un allié incontournable de Washington dans sa «guerre globale contre le
terrorisme».
Il est peu
probable que Washington essaie de lui venir en aide aujourd'hui. Après tout,
c’est en grande partie grâce aux erreurs du DRS que nous avons été en mesure de
dire que le front du Sahara-Sahel dans la «guerre globale contre le terrorisme»
est une création américano-algérienne.
Jeremy Keenan
Source : Le Matin dz
02 Déc 2010
02 Déc 2010
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Les annotations dans cette couleur sont d'Hannibal GENSERIC
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