Véritable Éris des temps
modernes, Vladimir Poutine ne s'amuse jamais autant que lorsqu'il sème
la discorde dans le camp impérial. Moins poétique, c'est un système antiaérien,
le
meilleur du monde, qui joue le rôle de la pomme en or.
Un petit rappel
sur ce bijou technologique n'est pas inutile :
Tout amateur de rugby sait que le
noble sport marche par phase : à certaines époques, les attaques prennent le
pas sur les défenses ; à d'autres, c'est l'inverse. Au rugby-champagne des
années 90, les entraîneurs de ce jeu infini et complexe ont répondu par la mise
en place de systèmes défensifs très élaborés. Il en est de même dans
l'éternelle course-poursuite de l'armement entre l'attaque (aviation, missiles)
et la défense (systèmes anti-aérien et anti-missiles). Amusante coïncidence,
les périodes sont relativement similaires.
Les années 90 ont marqué l'apogée de
l'attaque, du pouvoir absolu des airs. Durant la première guerre du Golfe
(1991), les avions furtifs et missiles américains sont entrés comme dans du
beurre irakien ; la guerre du Kosovo (1999) a, pour la première (et dernière ?)
fois de l'histoire, vu la victoire de la seule aviation, sans hommes à terre.
Cette "dictature du ciel" a provoqué, plus qu'une prise de conscience,
une véritable révolution mentale dans les principaux états-major de la planète.
Les Russes ont été les premiers à
relever le défi avec la création et la fabrication de systèmes anti-aérien et
anti-missiles extrêmement
performants : les fameux S300 puis S400. Le bras
armé US fait maintenant face à ce que les analystes
appellent des "bulles de déni" :
Face à la réalité des systèmes défensifs
(S-300 et S-400) et offensifs (sous-marins, missiles balistiques et de
croisière) d’origine russe, la question du déni d’accès est désormais l’objet
de toutes les attentions, en France, aux États-Unis comme à l’Otan. Elle a
récemment fait l’objet d’une conférence au Collège de défense de l’Otan et
devrait figurer à l’ordre du jour de la prochaine ministérielle de l’Alliance
des 15 et 16 juin.
Au comité militaire de l’Otan, on a
pris conscience de la vulnérabilité des forces aériennes de l’Alliance en cas
de conflit avec Moscou. Et pas seulement. Car les Occidentaux pourraient aussi
perdre leur supériorité aérienne en temps de paix, la présence de ces
dispositifs d’anti-accès étant, par exemple, susceptible de gêner
considérablement le déploiement de moyens d’urgence en Europe de l’Est, tels
que ceux préconisés par les Américains. En réduisant la liberté d’action des
Alliés sur leur propre zone de responsabilité, le déni d’accès russe
deviendrait alors aussi déni d’action à même de contraindre la décision
politique. (...) Jamais, depuis la fin de la Guerre froide, l’Otan n’avait
été confrontée à des environnements “non-permissifs”.
«Les
Russes ne font plus rire», note un observateur, d’autant que leurs
systèmes antiaériens, que certains pensaient inefficients, disposent en réalité
d’algorithmes très avancés. Qu’il s’agisse du S-300 ou du S-400, ces systèmes
complexes utilisent plusieurs types de radars fonctionnant sur différentes
fréquences. Ils sont mobiles et disposent d’une maintenance autonome. (...)
Pire : les Russes travaillent à la
mise en réseau de leurs dispositifs, afin de mettre en place un système de
systèmes intégrés qui leur permettra de gérer plusieurs bulles d’A2/AD en même
temps à partir d’un QG unique, voire d’établir des communications entre les
différentes bulles pour en créer de plus grosses couvrant de vastes
territoires.
La décision russe de vendre le S-400
à la Turquie a fait particulièrement jaser et le fidèle lecteur connaît bien la
position de nos Chroniques sur cette question. Dans un article qui fit date et entraîna un record de
commentaires, nous exprimions notre effarement devant la vente de ce fleuron au
sultan, passé maître dans l'art du retournement de veste et de la trahison. Un vrai derviche tourneur. Le seul point
positif était, et reste, la fracture créée au sein de l'OTAN.
Deux ans plus tard, rien n'a changé.
Malgré les intenses pressions américaines, Erdogan n'en
démord pas : il veut son jouet, provoquant une
réponse furieuse du Pentagone
qui, hier, menaçait la Turquie de "graves conséquences".
Un sénateur US va plus loin et évoque, en termes voilés, l'éventuelle expulsion des Turcs de l'OTAN. Les tenants
de la vente des S-400 à Ankara reprendront l'argument selon lequel la vente des
S-400 à Ankara est un chef-d’œuvre stratégique du Kremlin
divisant l'Alliance atlantique.
En réalité, Turcs et Américains se
sont déjà tellement souvent brouillés avant de se rabibocher (Kurdes de Syrie, putschinho
etc.) qu'il est difficile de réellement croire à une rupture totale. L'empire
a, malgré certaines couleuvres très difficiles à avaler, tout intérêt à ce que
la Turquie reste dans l'OTAN. Et il serait tout aussi aberrant pour le sultan
de la quitter, d'autant plus qu'il a fait
une croix à peu près définitive sur son entrée dans l'Organisation de
Coopération de Shanghai.
Toujours est-il que c'est le moment
choisi par Moscou pour doubler la mise, toujours au Moyen-Orient. Cette fois,
chose très intéressante, c'est
le Qatar qui est visé. L'affaire n'est certes pas tout à fait nouvelle.
Il y a quelques mois, des rumeurs faisaient déjà état de l'intérêt qatari,
provoquant la colère de la camarilla saoudienne qui aurait même menacé
de guerre son petit voisin si celui-ci se dotait de l'équipement russe. Où
l'on voit que la
crise du Golfe n'avait rien de passager...
Ce lundi, Lavrov, qui
rencontrait son homologue qatari, en a remis une couche : Moscou est prêt
à livrer des S-400 à l'émirat gazier si celui-ci en fait la demande.
Et comme Doha est plus qu'intéressé, un accord est dans l'air. Les Saoudiens
ont beau en avaler leur keffieh de rage, ils se voient répondre sèchement par
leur voisin que ce ne sont pas leurs affaires.
A Washington, on
s'étrangle aussi, d'autant
que le Qatar est l'hôte de la plus grande base
américaine au Moyen-Orient, par ailleurs quartier général du Centcom. Pour
l'empire, voilà le casse-tête turc qui recommence ! Mais il y a pire. Le fidèle
lecteur sait que, autre décision pour le moins controversée, le Kremlin va
vraisemblablement livrer des S-400 à l'Arabie saoudite, peut-être dans
l'optique d'un abandon futur du pétrodollar par Riyad.
Or, avec la Turquie, le Qatar,
l'Arabie Saoudite, en plus de la Syrie et de l'Iran qui ont déjà des S-300,
c'est le Moyen-Orient presque tout entier qui se transformera bientôt
partiellement en bulle de déni. Les Américains, dont l'influence dans la région
s'est déjà considérablement affaiblie depuis la guerre syrienne, n'avaient
vraiment pas besoin de ça...
Publié le 6 Mars 2019 par Observatus
geopoliticus in Russie, Moyen-Orient
COMMENTAIRE :
Le précédent établi par la
reconnaissance de Juan Guaidó par le gouvernement américain permet à Nicolas
Maduro de déclarer la présidence de Donald Trump illégitime pour pratiquement
toutes les mêmes raisons. Trump n’a pas réussi à remporter le vote populaire,
mais n’a obtenu la présidence qu’en raison d’un système électoral corrompu et
truffé d’irrégularités. En outre, certains candidats de l’opposition ont été
traités injustement au cours du processus électoral. Trump est aussi une honte
et un échec : 43 millions de personnes vivent grâce à des coupons alimentaires
; près de 100 millions font partie des chômeurs de longue durée (pudiquement
appelés des « sans
emploi ») ; la situation des sans-abris est endémique et des
villages entiers de tentes sont apparus dans plusieurs villes américaines ; de
nombreuses entreprises américaines sont au bord de la faillite ; et Trump ne
semble même pas être capable de maintenir le gouvernement fédéral ouvert !
C’est un désastre pour son pays ! Maduro reconnaît donc Bernie Sanders comme le
président légitime des États-Unis.
Hannibal GENSERIC
Le non spécialiste que je suis se demande si les russes ne prennent pas le risque d'un "piratage" de leur technologie en livrant un tel matériel à des nations pro occidentales /otan..Mais la réponse à une question aussi naïve a sûrement été anticipée par le maître du Kremlin, je n'en doute pas ;)
RépondreSupprimerSi Putin vend ses S400 c'est qu'il possede deja un anti S 400 en cas de retournement de force. Les Russes sont des gens tres tres intelligents maisaussi tres differnt denous .
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