Mauvaise nouvelle pour l'Empire, une de plus : tonton
Sam a eu un accident de QUAD [Quadrilateral Security Dialogue, mécanisme
réunissant quatre puissances de l'indo-pacifique, l'Australie, les États-Unis,
l'Inde et le Japon]. Aux dernières nouvelles, il
boîte bas et a le moral dans ses rangers.
Le fidèle lecteur, lui,
était prévenu. Il y a cinq mois, nous écrivions, après la très importante visite de
Vladimirovitch à New Delhi :
Poutine
et Modi ont, dans leur déclaration finale, insisté à plusieurs reprises sur la "nécessité de
consolider le monde multipolaire et les relations multilatérales". Ils ont
même évoqué l'idée d'une architecture de sécurité régionale dans la zone
indo-pacifique. Décodage : l'unipolarité américaine est rejetée. En un mot :
Pour
Moon of Alabama et l'excellent Bhadrakumar, Modi a signé la fin du QUAD. Quézako ? Votre serviteur a déjà eu
l'occasion d'expliquer la stratégie américaine des chaînes d'îles afin
de contenir l'Eurasie :
Les
Philippines sont d'importance : dans l'encerclement de l'Eurasie par les
États-Unis, elles sont la clé du sud-est.
Elle
fait même partie d'un réseau de "containment" mis en place par les
États-Unis dans les années 50 : l'Island
chain strategy ou, en bon français, stratégie des chaînes d'îles. Si ce
fait est très peu connu en Europe et n'est jamais évoqué dans les médias, même
les moins mauvais, il occupe pourtant les pensées des amiraux chinois
et américains ainsi que les états-majors de tous les pays
de la région ou les publications spécialisées (tag
spécial dans The Diplomat, revue japonaise par ailleurs très favorable à l'Empire).
Petite
parenthèse historique : la réflexion stratégique autour des îles du
Pacifique-ouest commença dès le début du XXème siècle, quand les États-Unis
mirent la main sur les anciennes colonies espagnoles de Guam et... des
Philippines (1898), tandis que l'Allemagne occupait les îles Marianne et Palau,
et que la marine japonaise prenait son essor en dépossédant la Chine de Taïwan
(1895). C'est à Haushofer, attaché militaire allemand au Japon de 1908 à
1910, que l'on doit les premières analyses sérieuses, où apparaissent déjà des
considérations bien actuelles (rideau de protection, nœuds stratégiques etc.)
Pour
Haushofer, cependant, ces chaînes d'îles constituaient pour les États continentaux
comme la Chine ou l'Inde un rempart face aux menées des puissances maritimes.
Les vicissitudes du XXème siècle et l'inexorable extension de
l'empire US ont retourné la donne : ces arcs insulaires étaient désormais un
rideau de fer contenant l'Eurasie (le bloc sino-soviétique durant la Guerre
froide) et "protégeant" le Pacifique américanisé.
Ce
qui nous amène au Grand jeu actuel. Que le domino philippin tombe et c'est la
première chaîne qui est sérieusement ébréchée. La deuxième ligne étant plus
virtuelle (car uniquement maritime, sans armature terrestre véritable), c'est
le Pacifique, donc les côtes américaines, qui s'ouvrent partiellement à la
Chine :
Pour
faire simple, le QUAD est la troisième chaîne de containment de la Chine,
composée de puissances économiques importantes, en arrière ligne, inféodées aux
États-Unis : Japon, Australie et, du moins dans les rêves des stratèges US,
Inde. Cette alliance informelle, créée au milieu des années 2000, a
traversé diverses vicissitudes et connaît un regain de forme avec la sinophobie
primaire du Donald, pour une fois d'accord avec son Deep State. D'aucuns voient dans le QUAD le prémisse d'une OTAN
indo-pacifique.
Il
y a deux mois, Modi avait déjà mis le holà, montrant ainsi de profondes divergences
entre l'Inde et les deux autres valets de l'Empire. Son idée de sécurité
régionale, avancée lors du sommet avec Poutine, semble enfoncer un clou
dans le cercueil du QUAD.
Bingo ! L'amiral Phil Davidson, chef du
commandement indo-pacifique de la flotte américaine, vient
de reconnaître que le QUAD est mis en sommeil pour une durée indéfinie.
En cause, le refus entêté de New Delhi d'en faire une alliance anti-chinoise,
c'est-à-dire un outil de l'impérialisme US dans la région. Et le bonhomme de
continuer : "Nous avons remis le sujet sur la table à plusieurs
reprises mais le patron de la marine indienne, l'amiral Sunil Lanba,
nous a très clairement fait comprendre que le QUAD n'avait pas de potentiel
dans l'immédiat". En décodé : nous ne sommes pas intéressés.
A la Chine maintenant de faire preuve d'intelligence
et de renvoyer l'ascenseur à New Delhi, en cessant par exemple de prendre
constamment parti pour le Pakistan dans sa guéguerre avec l'Inde. Les
toutes dernières déclarations de Pékin, plus équilibrées et appelant les
deux frères ennemis au dialogue, vont dans ce sens.
Publié le 10 Mars 2019 par Observatus
geopoliticus
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