La guerre saoudo-américaine contre le Yémen, menée par une
coalition des plus riches monarchies du Golfe (Arabie saoudite, Qatar,
Émirats, Bahreïn, Koweït, etc.) contre le plus pauvre des pays arabes,
entre dans son quatrième mois. Selon l’Organisation des Nations Unies,
elle a fait plus de 3 100 morts et 15 000 blessés, 1 million de
déplacés et 245 000 réfugiés, et elle a créé une crise humanitaire sans
précédent pour laquelle l’ONU a décrété le niveau d’alerte humanitaire
maximal.
Des frappes impitoyables et indiscriminées ciblent l’ensemble des
infrastructures civiles, jusqu’aux quartiers résidentiels, marchés,
greniers, réservoirs d’eau, hôpitaux, écoles, mosquées, et même les vestiges archéologiques et tombeaux – ce qui rappelle que l’idéologie destructrice d’État Islamique prend bien ses racines en Arabie saoudite –, sans épargner les convois de civils
fuyant les violences, et un véritable état de siège est imposé au
Yémen. Plus de 21 millions de personnes (soit 80% de la population du
Yémen) sont privées d’un accès suffisant aux denrées et services de
première nécessité – nourriture, eau potable, soins médicaux,
électricité et fuel. D’ores et déjà, il apparaît que l’Arabie saoudite a
utilisé des armes non conventionnelles (armes à sous-munition, voire armes chimiques) et s’est rendue coupable de crimes de guerre voire de crimes contre l’humanité.
Cependant,
cette guerre reste largement ignorée des médias de masse, tant en
Occident que dans le monde arabo-musulman (à l’exception de l’Iran et
des médias proches du Hezbollah au Liban). Les Etats-Unis parrainent
cette intervention militaire illégale et criminelle à laquelle ils
apportent un soutien total, mettant tous leurs moyens au service des
monarchies du Golfe qui ont acquis les armements les plus modernes à
hauteur de $115 Mds pour la seule année 2014 : ils peuvent ainsi
déstabiliser la région sans envoyer leurs forces armées, conformément à
la doctrine Obama. Il en va de même pour les autres pays membres de
l’OTAN – Royaume-Uni, France, etc. –, ce qui n’est guère étonnant de la
part de soutiens et d’apologistes du terrorisme en Syrie. Du côté de
Riyad, Wikileaks vient de dévoiler le mode opératoire de la censure
saoudienne sur l’ensemble du monde arabe, entre corruption et
intimidation. Tous ces acteurs apportent un soutien direct à Al-Qaïda
ainsi qu’à État Islamique, qui a fait son apparition sur la scène
yéménite et se trouve maintenant à la frontière de l’Arabie saoudite, son objectif de longue date. L’aveuglement saoudien ne semble pas connaître de limites.
L’agression saoudienne visait non pas à repousser une prétendue avancée
de l’Iran et/ou du chiisme, mais à briser les velléités d’indépendance
de ce pays historiquement vassal de Riyad. Jusqu’à présent, cette guerre
n’a réalisé aucun de ses objectifs annoncés. Au contraire, la
Résistance yéménite s’est emparée de la plupart des grandes villes du
Yémen, et elle prend de plus en plus l’initiative en portant la guerre
sur le territoire même de l’Arabie saoudite, bombardant ses villes
frontalières et attaquant ses bases et convois militaires, et faisant
des dizaines de victimes parmi les forces saoudiennes – dont l’étendue
des pertes est un secret militaire inviolable. Bien plus, cette
agression a eu pour résultat d’unir le pays – forces armées régulières
de l’ancien Président Ali Abdullah Saleh, rebelles Houthis et autres
Comités populaires – derrière le slogan Mort à la Maison des Saoud,
un développement sans précédent au Moyen-Orient, toute en révélant à la
fois la barbarie du régime wahhabite, sa vulnérabilité et son
impuissance sur le terrain proprement militaire. Tenue en échec malgré
l’avantage conféré par le flot continu d’armements occidentaux, Riyad
voit déjà son influence décroître au Moyen-Orient.
Dans un message aux combattants daté du 1er juillet 2015 – qui évoque ceux de Hassan Nasrallah aux combattants du Hezbollah
durant la guerre de 2006 –, Abd-al-Malik al-Houthi, le chef de la
Résistance yéménite, a dénoncé la collusion de l’Axe Washington–Tel
Aviv–Riyad, dénonçant la guerre et le siège imposés au Yémen comme plus
barbares encore que les crimes israéliens à Gaza. Il rejoint sur ce
point l’analyse du Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah,
qui a rappelé que même les sionistes n’avaient pas une politique de
ciblage systématique des hôpitaux, des tombeaux et des vestiges
archéologiques. Abd-al-Malik al-Houthi a brandi rien moins que le slogan
de la guerre sainte contre le berceau de l’Islam, assimilé à la corne du diable,
qui est, selon une fameuse tradition prophétique, une hérésie
malfaisante appelée à surgir de la région du Najd – d’où a émergé le
wahhabisme. Encore une fois, c’est là un développement sans précédent :
jamais l’Arabie saoudite, qui, depuis mars 2015, a rompu avec sa
politique d’actions clandestines et agit maintenant à découvert, n’avait
été si violemment ébranlée.
Riyad est maintenant dans une impasse : sa campagne aérienne se solde
par un échec cuisant, comme le laissaient prévoir les six offensives
précédentes menées depuis 2004 par les forces du Président Saleh (hier
soutenu par l’Arabie saoudite, et aujourd’hui allié des rebelles
Houthis), de même que les expériences israéliennes au Liban et à Gaza,
qui en constituent le parfait modèle. Quant à l’option d’une opération
terrestre, toutes les données indiquent qu’elle serait absolument
désastreuse et ne pourrait se terminer que par une déroute des forces
saoudiennes. Mais pas question pour la Maison des Saoud, aveuglée
au-delà de tout retour possible, d’accepter un cessez-le-feu qui
constituerait une victoire pour le Yémen ; plutôt poursuivre cette
guerre de terreur forcenée à tout prix, en torpillant toutes les
tentatives d’accord ou de trêve, quitte à se précipiter vers l’abîme.
Les forces de la Résistance yéménite, quant à elles, sont loin d’avoir
épuisé toutes leurs possibilités, et multiplient les incursions à
l’intérieur du territoire ennemi, dont ils pourraient même remettre en
question l’intégrité territoriale en revendiquant des provinces
yéménites anciennement annexées par l’Arabie saoudite. Voire, en dernier
recours, fermer le détroit stratégique de Bab al-Mandeb – ce dont elles
sont tout à fait capables –, l’un des plus importants passages
maritimes mondiaux, notamment pour les hydrocarbures, ce qui aurait des
répercussions mondiales. Si, à l’exemple de la Syrie, de l’Irak et de la
Libye, le Yémen est menacé de désintégration, l’Arabie saoudite même
est aujourd’hui en voie de déstabilisation voire de démantèlement.
La croisade saoudienne fera-t-elle entrer un nouveau pays dans l’Axe
de la Résistance, le Yémen – au sujet duquel Hassan Nasrallah déclarait
que l’éveil et l’esprit résistant de son peuple étaient tels qu’il
pourrait envoyer sans hésiter 100 000 ou 200 000 hommes pour combattre
Israël? Quoi qu’il en soit, d’ores et déjà, le mouvement Ansarallah
prend l’ampleur d’un nouveau Hezbollah, et la guerre saoudienne est
vouée à l’échec. Elle annonce très certainement la chute inévitable de la Maison des Saoud, dont l’idéologie Wahhabite et la politique extérieure constituent le cancer de l’Islam
et du monde arabe depuis des décennies, et, à terme, la fin de la
domination américano-israélienne au Moyen-Orient. Plus d’un peuple de la
région pourra s’en réjouir.
Sayed 7asan (contact : 7asan.saleh@gmail.com)