J’ai tendance à être plutôt optimiste, plus même que
les autres commentateurs, sur la stratégie actuelle du Kremlin – voyez
notamment cette
comparaison entre la stratégie de Poutine et celle Fabius Cunctator face
à Hannibal – parce que cette stratégie vise les faiblesses du monde
américano-centré.
Je lis souvent des commentaires à mes articles,
expliquant que l’Union européenne est sui generis un vassal des
États-Unis. Cette idée paraît très pertinente, mais vous devez aussi en
examiner toutes les implications.
La relation suzerain-vassal, en effet, n’est
pas et n’a jamais été une obéissance inconditionnelle. C’est plutôt un contrat
social avec des obligations et des responsabilités mutuelles. La loyauté du
vassal est conditionnée à la prestation, de la part de son suzerain, d’une
gamme de services, allant de la protection jusqu’aux possibilités
d’enrichissement. Si vous, en tant que suzerain, vous échouez à remplir vos
obligations, vos vassaux vous quitteront. Par conséquent une stratégie qui
viserait la capacité du seigneur à distribuer des récompenses frapperait
directement son vrai talon d’Achille.
Les relations de l’Amérique avec ses alliés peuvent
en fait être décrites comme une série de relations féodales, dont la nature
dépend du pouvoir des vassaux. Il y a donc plusieurs catégories de vassaux.
• Catégorie I : dans ces vassaux, j’inclus le Royaume-Uni et Israël,
qui jouissent d’une relation particulière avec les États-Unis. Et, oui, j’ai
bien sûr parlé de l’AIPAC 1.
C’est un élément essentiel du pouvoir d’Israël, qui permet à ce petit pays de
bénéficier d’une relation de premier plan, mais Israël reste un vassal, parce
que dans les questions qui comptent réellement, ce sont les États-Unis qui
décident, pas Israël.
Regardez, par exemple, comment Israël a décidé des
dates de ses campagnes contre Gaza, pour éviter de mettre les Présidents
américains dans l’embarras – autrement dit, Israël connaît bien son rôle de
vassal privilégié, mais subordonné tout de même. Regardez – autre exemple –
comment les services d’espionnage britanniques sont devenus une simple
extension de la NSA : les Américains ne lisent pas les mails du Premier
ministre britannique, et n’installent pas de sites secrets de la CIA sur
leur sol.
• Catégorie II : l’Allemagne, la France, l’Italie, etc. On contrôle les services
secrets, on lit les mails, mais on n’installe pas de sites secrets.
• Catégorie III : la Pologne, l’Ukraine, et plein d’autres. Là, on est en territoire
conquis, on espionne les politiciens, on installe des sites secrets [où on
torture des terroristes, NdT]. On livre ces pays aux appétits des vassaux de
catégorie I et II.
• Il y a aussi une catégorie
IV (et l’Ukraine, franchement, est en train de glisser dedans), là
où les États-Unis s’impliquent dans une guerre civile qui fait rage dans le
pays. Mais en aucun cas, il est clair que le vassal ne peut tracer une ligne
rouge que le maître ne pourrait pas franchir.
Mieux encore, plus important est le vassal, plus
important est le butin que le seigneur lui laisse. Ainsi, le Royaume-Uni reçoit
les codes sources du F-35 [avion de chasse mythique US qui n’a jamais volé en
opérations, NdT], Israël reçoit des milliards de dollars d’armements,
l’Allemagne est autorisée à collaborer à la "Recherche et Développement" militaire, la Pologne
reçoit quelques F-16 d’occasion. D’ailleurs, cette inégalité dans le traitement
froisse les dirigeants polonais, qui aspirent au traitement de la catégorie I,
mais ne savent pas comment réussir ce saut civilisationnel.
J’ai le sentiment que les dirigeants de l’Ukraine
post Maïdan sont eux aussi… déçus… par la médiocrité de leur traitement de
catégorie III. J’imagine qu’ils s’étaient dit «Nous serons comme Israël !»,
oubliant qu’Israël, outre qu’il dispose d’un très fort pouvoir d’influence sur
la politique intérieure des États-Unis, est aussi un allié précieux pour les
États-Unis. La combinaison de ces deux éléments explique qu’Israël soit le fils
préféré de l’Amérique 2.
L’Ukraine n’a aucun de ces deux éléments, aussi est-elle reléguée à la niche.
Parlons de l’Ukraine.
Qu’on le veuille ou non, être un
vassal de catégorie III fait que l’on est livré aux États de catégorie
supérieure dans la chaîne alimentaire ; l’Ukraine a donc pour rôle de
nourrir d’autres vassaux. Ainsi, les chemins de fer ukrainiens et les
mines de charbon devaient nourrir les Allemands (et, dans une moindre
mesure, les Polonais). Bref, le contrat était bien parti, mais il a été
torpillé par les Russes, et jeté aux poubelles de l’Histoire. Alors que peut
faire l’Allemagne ? Tout d’abord, tondre et cannibaliser les alliés moins
importants qu’elle pour les États-Unis. C’est ainsi que la Grèce, l’Italie, le
Portugal et, oui, la Pologne sont en train de passer sur le billot. Les armées
d’Hannibal, incapables de piller les provinces romaines, en furent réduites à
se servir sur leurs alliés, qui les avaient rejointes en pensant profiter de la
prochaine prise de Rome. Résultat, les alliés d’Hannibal commencèrent à s’entretuer,
ce qui fait que Hannibal dut se concentrer pleinement à tenter de maintenir la
paix entre les différents corps de sa grande armée. Lors de l’explication
finale, ce qui arriva à l’armée d’Hannibal, très diverse et lourdement équipée,
c’est ce qui arrive maintenant dans les relations de l’Amérique avec ses
vassaux, plus ou moins importants, aussi bien que dans les relations entre ses
vassaux.
Notez par exemple comment la presse polonaise souligne
la puissance de l’Allemagne, parce que ce pays est voisin, allant même jusqu’à
éclipser le pouvoir de l’Amérique, bien supérieur mais plus lointain. Notez les
tentatives plutôt inefficaces des États-Unis pour freiner l’Allemagne,
lorsqu’elle s’est jetée sur la Grèce.
Finalement, en cas de résistance, quelles sont les
options pour le suzerain – ou le vassal le plus puissant ? Vous pouvez
toujours foncer dans le mur comme un désespéré (et perdre, parce que quelque
chose de désespéré signifie que vous allez vous battre dans des conditions
défavorables). Vous pouvez chercher à négocier avec votre adversaire. Vous
pouvez chercher une source de butins plus facile à prendre. Ou vous pouvez tout
simplement abandonner vos obligations de seigneur féodal puisque vous ne pouvez
plus les remplir.
Aujourd’hui à la croisée des chemins, quelle direction
la diplomatie américaine suivra-t-elle ? Il est clair que les différents
candidats aux élections ont envisagé toutes les options ci-dessus. Dans le même
temps, regardez comme les vassaux, plus ou moins élevés dans la hiérarchie, tentent
de retrouver les bonnes grâces de la Russie. Mais tout cela sera à lire dans un
prochain article…
J. Hawk
Source : le Saker
Francophone
Note du Saker Francophone
Il faut garder en mémoire que, dans cette époque
féodale, le lien entre le vassal et son suzerain avait un caractère religieux,
il était noué en présence d’un représentant du corps ecclésiastique.
Ainsi le suzerain le plus puissant du moment pouvait
voir les liens de tous ses vassaux dénoués par une décision pontificale. Ce qui
le mettait ipso facto dans l’impossibilité de lever une armée, le condamnant
ainsi à l’impuissance suite à une simple bulle du pape.
L’exemple le plus fameux au XIe siècle
fut celui de la pénitence de
Canossa au cours de laquelle le roi des Romains Henri IV vint s’agenouiller devant le pape
Grégoire
VII afin que celui-ci levât l’excommunication prononcée
contre lui. Il y eut d’autres démêlés entre les différents papes de
l’époque et Frédéric
Barberousse au XIIe siècle ou Frédéric
II au XIIIe siècle.
Où est aujourd’hui l’instance incontestée qui
pourrait, comme au Moyen Âge, rabaisser l’orgueil des grands ?
Journal italien: l'Europe transformée en colonie par les "maîtres du monde"
Les Etats-Unis
et leurs alliés ne pouvaient tolérer la création d’une union entre la Russie et
l'Europe. En créant une confrontation artificielle avec Moscou, ils ont
transformé l'UE en une colonie impuissante de Washington, obligeant le Kremlin
à se rapprocher d’une Chine de plus en plus puissante, a écrit mardi le
quotidien Il Giornale.
La Grande-Bretagne et les États-Unis ont poussé les
autres pays à imposer des sanctions contre la Russie, à mobiliser les troupes
de l'Otan et à créer une ambiance de guerre froide. "Pourquoi l'ont-ils
fait?", s'interroge le quotidien. Il Giornale estime que cela n’a pas la
moindre relation avec la peur d’une éventuelle attaque russe contre l'Ukraine,
la Pologne et les pays Baltes.
En réalité, selon le quotidien, la Russie voulait
créer une union économique et politique avec l'Europe, lui livrant ses
ressources naturelles en échange de technologies permettant de développer les
pays d'Asie centrale, qui avaient fait part de l'Union soviétique. Ces pays
sont également riches en pétrole et en gaz, tandis que leur population est de
plus en plus islamisée.
Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ne pouvaient pas
se permettre une telle évolution des événements, car "les pays islamiques
et le pétrole, c'est leur affaire, et ils ne tolèrent aucune concurrence",
assure Il Giornale.
"Les Anglais, les Américains et leurs alliés arabes
[des rois fainéants, dictatoriaux, corrupteurs et corrompus, obscurantistes, criminels,
polygames et pédophiles] se considèrent comme les maître du monde",
souligne le quotidien. La Russie est obligée de conclure des accords avec la
Chine, qui monte en puissance tous les jours. Quant à l'Europe, elle se
retrouve sans gouvernement, sans armée et sans possibilité de prendre ses
décisions propres.
Les sanctions sont nuisibles pour l'UE, mais ne touchent pas les USA
En
raison des sanctions, plus de 2 millions d’emplois et environ 100 milliards
d’euros de richesses produites sont menacés en Europe, révèle l'Institut
autrichien de recherches économiques (Wifo).
Les conséquences des sanctions contre Moscou et des
mesures de rétorsion russes seront probablement beaucoup plus graves que prévu
jusqu'à présent, rapporte le quotidien allemand Die Welt se référant à l'étude
du Wifo.
«Notre
hypothèse, à l'automne de l'année dernière, des pires baisses d'exportations
est devenue réalité (…). Si la situation ne change pas radicalement, nous
serons confrontés au scénario le plus pessimiste", a déclaré l'un des
auteurs de l'enquête, Oliver Fritz.
Selon les économistes du Wifo, l'Allemagne serait plus
touchée par les sanctions qu'aucune autre grande économie d'Europe occidentale.
Environ 500.000 emplois et 27 milliards d'euros de richesses produites sont
menacés. Ainsi, la crise persistante pourrait lui coûter un peu plus d'un point
de pourcentage de produit intérieur brut (PIB). Il n'y qu'à voir le désespoir et la colère des agriculteurs français.
Hannibal GENSERIC
- L’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) est un groupe de pression né aux États-Unis, soutenant Israël dans son conflit avec les États arabes de la région, et soutenant la colonisation des territoires palestiniens ainsi que l’idéologie sioniste. NdT
- Et puis, c’est Israël, point final, NdT