On l’avait
découverte dans le Livre des Merveilles de Marco Polo… Depuis, la Route
de la Soie fait partie de ces mythes qui accompagnent l’Histoire du monde.
Aujourd’hui, les anciennes cités de Samarcande, Bakou, Tachkent et Boukhara
enflamment à nouveau l’imagination. La Chine
vient de lancer le projet de développement et de construction le plus
ambitieux, le plus fou jamais entrepris : la Nouvelle Route de la Soie. Ce
projet vise rien moins qu’une révolution radicale de l’économie mondiale. Il
est d’ailleurs ressenti comme une déclaration de guerre dans la lutte pour la
domination de l’Eurasie.
Tout part de
cette vision de recréer la Route de la Soie, comme un corridor économique et
commercial moderne, qui irait de Shanghai à Berlin. La Route traversera
la Chine, la Mongolie, la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne,
s’étendant sur environ 13 000 kilomètres, créant ainsi une zone économique
qui couvrira le tiers de la circonférence de la Terre.
Il est prévu
de tracer des voies ferrées à grande vitesse, des routes et des autoroutes, un
réseau électrique et un réseau de fibre optique. On financera le développement
des villes et des ports situés le long de la Route.
La Route
maritime de la Soie, quant à elle, sera le pendant indispensable de ce
projet sur mer. Tout aussi ambitieux que le volet terrestre [on l’appelle
aussi la Ceinture, NdT], reliera la Chine au golfe Persique et à la
Méditerranée via l’océan Indien.
Une fois
terminée, tout comme l’ancienne Route, cette voie reliera entre eux
trois continents : l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Tous ces projets
d’infrastructure vont créer la plus grande zone économique mondiale, avec une
population de 4,4 milliards d’habitants et une production annuelle de
$21 000 Mds.
Le financement, une arme politique
C’est M. Xi
Jinping, le Président chinois, qui a annoncé lui-même cette
idée de Nouvelle Route de la Soie en 2013. L’année suivante, M. Xi a lancé officiellement
la Banque internationale des infrastructures de l’Asie (AIIB), y apportant les
premiers fonds : $47 Mds.
La Chine a
invité la communauté internationale à jouer un rôle important comme actionnaire
de cette banque et partenaire du projet. On attend des fonds privés et des investissements
de groupes publics, des fonds internationaux, y compris ceux de la Banque
mondiale.
Quelque 58
pays se sont déjà engagés à rejoindre la banque, et notamment presque tous les
pays européens, en plus des pays directement traversés par la Route. Il
y a 12 membres de l’Otan parmi les États fondateurs (Grande-Bretagne,
France, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Luxembourg, Danemark, Islande, Espagne,
Portugal, Pologne et Norvège), et également trois alliés importants des
États-Unis sur la façade du Pacifique (Australie, Corée du Sud et
Nouvelle-Zélande).
Après les
tentatives infructueuses de Washington pour empêcher ses alliés de se joindre à
cette banque, les Américains ont changé leur fusil d’épaule, et disent
maintenant qu’ils soutiennent le projet – un mensonge qui ne trompe
personne ; leur opposition n’était pas un secret. Le Wall Street
Journal écrit en novembre 2014 que
«les États-Unis ont jeté tout leur poids dans la balance pour contrer ce
projet chinois de banque de développement… notamment lors des conférences du G7».
Alastair
Crooke, du Huffington Post, écrit à ce sujet : «Pour
toutes sortes de raisons, les États clés du Moyen-Orient (Iran, Turquie, Egypte
et Pakistan) se sont tournés vers l’Est. On ne saisit pas toute l’importance,
en Occident, de la Ceinture et de la Route ouvertes par la Chine (et par la
Russie, entièrement intégrée au projet). Les États de la région voient que la
Chine est un partenaire très sérieux qui crée des infrastructures considérables
de l’Asie vers l’Europe. Ils voient aussi que tout le monde investit dans la
Banque de développement des infrastructures de l’Asie (AIIB) – à la grande
inquiétude de l’Amérique. Ces États veulent monter dans le train.»
Soutenant
cet effort, la Chine prévoit d’injecter au moins $62 Mds dans trois banques engagées dans le
projet : la Banque chinoise de développement (CDB) va recevoir $32 Mds, la
Banque chinoise pour l’import-export (EXIM), $30 Mds, et le gouvernement
chinois injectera aussi des fonds dans la Banque chinoise de développement
agricole (ADBC).
Les États-Unis, partenaire improbable de la Route de la Soie
Les
États-Unis vont-ils se joindre au projet ? Si le nouveau Partenariat
trans-Pacifique (qui clairement laisse de côté la Russie et la Chine, deux
acteurs majeurs de la région) est un début de réponse, la participation
américaine semble incertaine, et son opposition évidente.
Mais,
rationnellement, Washington ne peut sacrifier son propre leadership dans
la région au profit de la Chine. Un projet aussi vaste et complexe que la Route
de la Soie aura besoin de la technologie américaine, de l’expérience et des
ressources américaines pour minimiser les risques, lever les réticences des
autres alliés de l’Amérique, comme le Japon, tout en maintenant l’influence de
Washington sur la région. La Route de la Soie pourrait favoriser les objectifs
américains, et l’appui américain pourrait en améliorer les résultats.
Un éditorial du Wall Street Journal
reprend l’idée que les accords commerciaux proposés par Washington à Pékin et
la Route de la Soie sont complémentaires. Le but de ces accords est d’écrire
noir sur blanc les règles pour le commerce international, tandis que le but des
Chinois est de développer les infrastructures, elles-mêmes nécessaires pour
développer le commerce.
Le projet initial
Un coup
d’œil au projet initial, toujours en développement, montre comment les Chinois
s’organisent.
Le premier
effort de développement se fera au Pakistan, où les Chinois travaillent depuis
des années, créant et finançant un port stratégique en eaux profondes à Gwadar,
sur la mer d’Arabie, qui sera géré par la Chine en tant que locataire à long
terme.
Gwadar
deviendra la tête de pont du pipeline de gaz naturel Iran–Pakistan, depuis si
longtemps dans les cartons, et qui sera finalement étendu à la Chine, la
section iranienne étant déjà construite et la section Chine-Pakistan déjà
largement financée et construite par la Chine.
Il est prévu
que le pipeline traverse le pays, longeant l’autoroute du Karakoram vers le
Tibet, et franchissant la frontière chinoise dans la province du Xinjiang.
L’autoroute sera aussi élargie et modernisée, une voie ferrée la reliera à
Gwadar.
Au départ,
ce plan devait étendre le pipeline à l’Inde, et le Qatar aurait rejoint l’Iran
comme fournisseur de gaz naturel, créant ainsi ce que certains voyaient comme
un pipeline de la paix entre l’Inde et le Pakistan, mais
l’Inde s’est rétractée, suite aux pressions des États-Unis et aux inquiétudes
venant du fait qu’elle serait approvisionnée par son principal adversaire, le
Pakistan.
Les blocages viennent de l’Inde
Ce n’est pas
une surprise, l’Inde, un allié de Washington, a contrecarré l’initiative
chinoise en mettant en avant son propre projet, annonçant à son tour un accord
pour construire un port en Iran, sur le débouché de la mer d’Arabie, à
seulement quelques centaines de kilomètres de Gwadar.
Bien que ce
pourrait être une alternative au port de Gwadar sponsorisé par la Chine, les
États-Unis ont demandé à l’Inde de ne rien faire tant que l’accord nucléaire
actuellement négocié entre l’Iran et les Occidentaux n’aboutit pas.
Ces projets,
tant indiens que chinois, passent ouvertement outre les sanctions internationales
contre l’Iran, et ces deux pays ne s’en soucient guère. La Chine pourrait même
être doublement accusée d’aller contre les sanctions, au vu des contrats
pharaoniques qu’elle ne cesse de signer avec la Russie.
Les milieux
d’affaires du monde entier vont certainement suivre, pour ne pas risquer de
perdre leur place dans cette nouvelle ruée vers l’or en Asie,
alors que le monde est toujours en proie à la récession. New Delhi n’a pas
hésité à dire cette vérité crue : les compagnies américaines sont en train
de négocier des contrats avec l’Iran. Avec, sur leurs talons, les Allemands qui
sont attendus à Téhéran, eux-mêmes coiffés au poteau par les Français, qui ont
une longueur d’avance.
Alors, qu’en
est-il des sanctions? Les sanctions ne peuvent fonctionner que dans un monde
uni derrière elles. Si une bonne partie du monde choisit de les ignorer, on ne
peut pas les imposer.
Pour conclure
La Chine et
une grande partie du monde s’apprêtent à lancer le projet de développement
économique le plus gigantesque de toute l’Histoire; un projet qui pourrait
changer complètement l’économie mondiale.
Cela prendra
des décennies, et des centaines de milliards de dollars seront dépensés, voire
des milliers de milliards. Tout ce que cela signifie pour l’économie et le
commerce mondiaux reste inimaginable. Essayez d’imaginer que les plus grands
fonds spéculatifs du monde, comme Goldman Sachs et Blackstone, se précipitent
pour commercialiser un nouveau fonds d’investissements internationaux pour les
infrastructures, fonds disposant de plusieurs milliards de dollars?
Bien sûr, un
projet aussi énorme et complexe comporte certainement des failles, et il devra
faire face à des tentatives de sabotage de la part des Occidentaux. Le Grand
jeu continue. Notez ces propos de Barack Obama, qui sait que le temps
lui est compté. «Si nous n’écrivons pas les règles, c’est la Chine qui le
fera pour toute la région», a-t-il rappelé aux membres du Partenariat
Trans-Pacifique.
Dans un
monde où la croissance est atone, avec une Europe engluée dans les suites de la
récession générale, avec une Chine qui voit sa croissance ralentir, où
pourrions-nous trouver un projet avec de telles perspectives?
On peut
parier que les grandes compagnies minières comme Vale [brésilienne, NdT],
qui n’ont pas vu leur chiffre d’affaires tomber aussi bas depuis treize ans,
sont en train de calculer les quantités d’acier nécessaires à cette ligne à
grande vitesse longue de 13.000 kilomètres. Si ce projet aboutit, ce sera
très certainement un Eldorado pour tout le secteur minier, pour celui
des infrastructures et de la construction, secteurs aujourd’hui en plein
marasme.
Imaginez
combien d’emplois pourraient être créés par des projets de construction qui
s’étendraient sur des décennies et sur d’immenses régions du monde. Dans
pratiquement tous les secteurs d’activité, il y aura des opportunités
incroyables pour un redémarrage du commerce.
L’ancienne
Route de la Soie a augmenté le commerce dans l’ensemble du monde connu, mais
c’était bien plus qu’une route commerciale. Par elle, transitaient la
connaissance, l’apprentissage, la découverte, les idées.
Au-delà des
richesses matérielles – les soieries, les épices, les pierres précieuses – on
peut penser que la chose la plus importante que Marco Polo a rapportée de Chine
est une carte nautique du monde, carte qui sera à la base de l’une des plus
fameuses cartes publiées plus tard en Europe, une de celles qui ont provoqué
les grandes découvertes. Christophe Colomb s’est guidé avec cette carte et on
sait qu’il avait emporté le livre de Marco Polo, longuement annoté, lors de sa
première expédition sur la route des Indes.
Pour le
monde dans son ensemble, les décisions concernant la Route sont tout
simplement essentielles. Cet énorme projet peut impulser une Renaissance pour
le commerce, l’industrie, la recherche, la pensée et la culture, comme l’avait
fait l’ancienne Route de la Soie. Mais il est clair aujourd’hui que les
conflits géopolitiques réveillés par ce projet peuvent mener à une nouvelle guerre
froide entre l’Est et l’Ouest pour la domination de l’Eurasie.
L’avenir est
loin d’être écrit.
La Route de la Soie : trois projets pour changer
l’Eurasie
Il est important
de comprendre que la nouvelle Route n’est pas un plan formel, mais
plutôt un cadre général pour des programmes à long terme, un processus en
cours, qui se développe au gré des projets et des négociations entre les
différents pays concernés. La Route n’est pas non plus une création sortie du
néant, mais elle prend forme à partir de nombreux programmes lancés avec les
partenaires de la Chine.
Le projet
Iran-Pakistan-Chine (ci-dessus) est le plus détaillé,
mais il en est encore à l’état d’ébauche. Le deuxième, rendu public il n’y a
pas longtemps, se tourne vers la Russie. Enfin, la Chine propose un partenariat
à l’Inde pour le troisième projet.
Le projet
avec le Pakistan est un programme ambitieux de développement qui viendrait se
greffer à la Route de la Soie, tandis que la branche sino-russe pourrait
devenir l’épine dorsale de l’ensemble du projet, le partenariat avec l’Inde
devenant alors la clé de voûte qui donne toute sa cohérence à l’ensemble.
Russie et Chine, un partenariat qui prend de l’ampleur
Qu’est-ce
qui rend la Russie si importante pour la réalisation de ce plan? Ou, mieux
encore : comment serait-il possible de laisser de côté le plus grand pays
de toute l’Eurasie, alors que la Route concerne l’ensemble du continent?
Lors d’une
rencontre à Moscou, dans le cadre de la célébration de la victoire alliée de
1945 qui a vu les troupes indiennes, chinoises et russes défiler sur la place
Rouge, la Chine et la Russie ont signé de nombreux protocoles d’accord pour
lier le projet chinois de la Route de la Soie au projet russe de l’Union
économique eurasienne (UEE).
L’UEE est
l’établissement, par le Kremlin, d’un marché commun entre la Russie, le
Kazakhstan, le Kirghizstan, la Biélorussie et l’Arménie. Une initiative que les
médias occidentaux se sont empressés de blâmer, l’assimilant à une tentative de
rétablir l’Union soviétique. En incluant la Russie, la Route de la Soie
relierait ainsi Pékin à la frontière polonaise. On ne peut négliger la
coopération, en pleine expansion, entre la Russie et la Chine, comme le répète M. Bhadrakumar, un ancien diplomate
indien :
« Les
cris d’orfraie de la propagande occidentale contre l’UEE n’ont pas pu dissuader
la Chine… L’intégration de la Chine dans cet ensemble signifie en effet qu’une
véritable locomotive économique vient de s’accrocher au projet russe. La Chine
est clairement le futur de l’Union. La preuve : M. Xi – le président chinois –
a prolongé sa visite à Moscou par un détour en Biélorussie et au Kazakhstan,
les deux autres membres fondateurs de l’UEE… C’est essentiel pour la mise en
œuvre de la Route de la Soie vers la Russie et l’Asie centrale. »
Les accords
Chine-Russie couvrent huit projets différents, notamment la prolongation de la
ligne transsibérienne à grande vitesse Moscou–Kazan (République du Tatarstan),
qui ira ainsi jusqu’à la Chine, via le Kazakhstan. Les Chemins de fer chinois
ont signé un contrat de $390 M pour construire cette ligne, la Chine
contribuant pour un premier versement de $5,8 Mds à un montant total estimé à
$21,4 Mds. Finalement, les signataires espèrent lier leur projet à la ligne
russe à grande vitesse vers l’Europe.
La province
chinoise de Jilii a proposé de construire une ligne transfrontière à grande
vitesse entre les deux pays, reliant le principal port russe sur le Pacifique,
Vladivostok. En plus, les deux pays ont renforcé leur partenariat énergétique
avec de nombreux projets. Comme Oilprice le rapportait dans un article du 12 mai,
«la compagnie russe d’énergie hydroélectrique RusHydro et le groupe chinois
des Trois Gorges ont signé un contrat pour un projet de 320 mégawatts dans
l’Extrême-Orient russe… juste à côté de la frontière russo-chinoise.» Ce
serait donc le plus grand barrage, tant en Chine qu’en Russie, déjà en
construction, et il devrait fournir 1,6 milliards de kilo-watts par an,
pour un coût estimé à $400 Mds.
La Chine a
également proposé de développer un corridor économique – une zone franche pour
les échanges commerciaux – entre la Russie, la Mongolie et la Chine, un projet
susceptible d’accueillir des membres de l’Union économique eurasienne et le
premier pas dans la mise en place d’un des principaux composants de la Route de
la Soie.
D’autres
projets plus petits associés ont été également signés, notamment un fonds de
financement pour l’agriculture de $2 Mds.
La géopolitique à l’aide de la Route de la Soie
Jusqu’à très
récemment, il était généralement admis que les États-Unis entraîneraient leurs
alliés occidentaux dans leur campagne contre l’établissement de la Route de la
Soie entre la Chine et la Russie, mais un retournement complet vient de se
produire.
Avec un
Barack Obama tentant désespérément d’empêcher les guerres au Yémen, en Syrie et
en Irak de s’étendre à toute la région, la politique américaine au Moyen-Orient
est à la croisée des chemins, et rien ne sera résolu, quelles que soient ses
décisions, avant la fin de son mandat. Clairement, le président américain veut
se concentrer sur l’Asie et réduire la présence américaine au Moyen-Orient, une
région qui a toujours porté malchance aux présidents US depuis plus de 20 ans.
Une porte de sortie ?
Et voilà,
après plus de deux années sans mettre les pieds en Russie, John Kerry et ses
proches collaborateurs ont sollicité une entrevue avec MM. Poutine et Lavrov,
réunion qui a été accordée par le Kremlin.
Serait-ce la
raison de la position de l’Arabie saoudite sur l’approvisionnement en pétrole?
Il y a un
développement de l’énergie incroyable dont nous avons gardé la trace
pour vous au cours de la dernière année … C’est la raison pour laquelle
l’Arabie saoudite agit en désespoir de cause … baisser les prix du pétrole … et
même risquer des troubles internes. Leur survie (et celle de l’OPEP) même
est menacée.
Et nous
croyons que nous avons mis en place une incroyable vidéo révélant comment cela
fonctionne.
Les spéculations
n’ont pas cessé de s’exciter sur ce qui s’est passé entre les murs du Kremlin
ce 8 mai. En fait, le simple fait qu’il y ait eu une réunion est en soi plus
important que ce qu’on y a décidé, parce que cela montre clairement que les
relations entre ces différents pays sont en train d’avancer.
Hors de
Russie, la rumeur veut que John Kerry ait demandé l’aide de Vladimir Poutine
pour résoudre les conflits au Moyen-Orient et en finir avec le dossier du
nucléaire iranien. En échange, les Américains calmeraient la situation en
Ukraine. On ne semble pas avoir reparlé du statut de la Crimée, alors que la
visite de John Kerry s’est conclue sur un appel pour que Kiev applique les
accords de Minsk 2 et observe la trêve dans les régions de l’Est.
La plupart
des médias se demandent si les États-Unis ne sont pas en train d’abandonner
leurs présomptions à l’encontre du Kremlin. Que ce soit vraiment un rameau
d’olivier tendu à la Russie est une hypothèse, mais même si cela se confirmait,
on ne sait pas jusqu’où les Américains seraient prêt à aller. Stratfor,
la lettre d’information bien connue sur le renseignement, spécule sur le fait
que Washington voudrait commencer à sortir de la logique des sanctions contre
la Russie.
Des pays inquiets : Israël et les monarchies du Golfe
Pour les
Israéliens, tout apaisement des tensions entre la Russie et l’Iran est une très
mauvaise nouvelle. Au Moyen-Orient, Israël est une sentinelle avancée,
toujours le premier pays à sentir les moindres signes avant-coureurs d’orages.
Il ne faut
pas se tromper sur la réaction d’Israël à l’accord États-Unis–Iran sur le
nucléaire et à la coordination américaine avec l’Iran et la Russie sur la Syrie
et l’Irak. Israël a toujours tout misé sur sa capacité à interdire de tels
accords, et là, il a perdu, en endommageant peut-être gravement sa relation
avec son meilleur allié, l’Amérique.
Maintenant,
tous les médias israéliens sont vent debout contre ces accords, criant à la
trahison, et il n’y a pas qu’Israël qui s’inquiète. L’Arabie Saoudite, elle
aussi, se sent abandonnée dans cet accord avec l’Iran.
La Chine et l’Inde finiront-ils par devenir des
partenaires ?
S’il était
possible de mettre la politique de côté, il n’y a pas de doute que le meilleur
partenaire de la Chine pour la Route serait l’Inde, son voisin de plus d’un
milliard d’habitants, mettant ainsi en relation les deux plus importants
marchés mondiaux avec l’ancienne Route de la Soie. Comme l’écrit l’agence Associated
Press, le 14 mai :
«Les deux pays
sont membres des BRICS, qui viennent de créer un système de crédit, la Banque
du nouveau développement, qui sera basée à Shanghai et dirigée par un grand
banquier indien. L’Inde est également membre fondateur de la future Banque des
infrastructures de l’Asie, une institution lancée par la Chine.»
La
coopération entre les deux se développe peu à peu, leurs besoins sont
compatibles, comme le rappelle Associated Press :
«La Chine
compte sur le marché indien pour ses productions de haute technologie, depuis
ses trains à grande vitesse jusqu’à ses réacteurs nucléaires, tandis que l’Inde
tient absolument à attirer les investissements chinois pour ses productions et
ses infrastructures. Avec une croissance qui décélère, des capacités en
surproduction et près de 4 000 milliards de réserves, la Chine est disposée à
répondre à la demande indienne pour de grands projets d’infrastructures –
aéroports, routes, ports et voies ferrées – un marché estimé à $1 000
Mds. »
Si l’Inde
choisit le partenariat avec la Chine pour la Route de la Soie, cela pourrait
occuper la Chine pour le reste du siècle, dans un projet qui allierait les deux
pays les plus peuplés du monde, avec plus de 2,6 milliards d’habitants.
Avec la Russie déjà partie prenante, et l’Iran prêt à se joindre au projet,
cela amènerait encore 250 millions de personnes – soit au total le tiers de la
population mondiale. Difficile de trouver plus prometteur.
Seulement,
il y a un contentieux historique entre l’Inde et la Chine, des disputes
frontalières non résolues depuis 50 ans; les relations entre la Chine et le
Pakistan – l’ennemi héréditaire de l’Inde – sont au beau fixe;
et l’Inde entretient des liens étroits avec le Japon et les États-Unis, tous
deux opposés aux revendications de la Chine en mer de Chine Méridionale.
Lors d’une
entrevue récente à Pékin, la Chine et l’Inde ont signé des accords économiques
d’un montant de $22 Mds – décevant de nombreux observateurs qui les comparaient
aux $47 Mds signés entre la Chine et le Pakistan. L’ancien diplomate indien déjà
cité, M. Bhadrakumar, explique que «la méfiance stratégique ne s’efface pas
du jour au lendemain», et que «l’Inde n’est pas encore prête à renoncer
à l’Occident comme partenaire de son développement».
Il semble
que l’influence américaine freine encore les espoirs de recruter l’Inde comme
partenaire majeur de la Route de la Soie. Mais ce n’est pas si simple de
prédire vers où penchera la balance : tant de pays sont dépendants des
accords commerciaux avec la Chine – des centaines de milliards de dollars par
an – et sont aussi des partenaires actifs de la Russie et de l’Iran.
Durant toute
la guerre froide, l’Inde a adopté un non-alignement scrupuleux entre l’Union
soviétique et les États-Unis, ce qui lui permettait de jouer sur deux tableaux.
Pour ce pays pragmatique, les choix de partenariats économiques peuvent
dépendre de cette simple formule «suivez l’argent». Or, la Chine est
l’un des rares pays à avoir les capacités financières de reconstruire les
infrastructures indiennes.
La ruée des
Occidentaux, y compris l’Inde, pour rejoindre la Banque des infrastructures de
l’Asie – un projet impulsé par la Chine – montre clairement que les milieux
d’affaires de l’Ouest sont impatients de prendre part aux projets de la Route.
Il y a sans doute peu de banques dans le monde qui hésiteraient à financer les
éléments majeurs du projet Route de la Soie.
Les
États-Unis eux-mêmes pourraient-ils s’impliquer dans les projets de la Route de
la Soie? Après les derniers changements de rapports de forces navals entre eux
et la Russie… C’est pour le moment une question sans réponse.
Par Robert
Berke – Le 21 mai 2015 – Source : Oilprice.com
Robert Berke
est un analyste financier spécialisé dans le secteur de l’énergie. Il a
notamment conseillé l’État d’Alaska.
Source : le Saker Francophone
A suivre… Et si la Nouvelle Route de la Soie
apportait la paix à toute l’Eurasie? [2/3]