Les derniers mois ont considérablement éclairci les
dynamiques d’intégration qui se mettent lentement en place sur le continent
eurasiatique, que ce soit sous impulsion de l'Union européenne d'une part, ou
sous impulsion russe d'autre part. Le no man's land entre les deux projets a
peu à peu rétréci, faisant même apparaître des points de friction comme
on a pu le constater en Ukraine par exemple, ou en Moldavie.
La
formidable extension de l'Union européenne (6 États en 1958, 3 en 1973,
1 en 1981, 2 en 1986, 3 en 1995, 10 en 2004 et 2 en 2007) s'est ensuite
ralentie puisque la seule adhésion des neuf dernières années a été
celle de la Croatie en 2013. En parallèle, l'Union européenne poursuit des discussions d'adhésion
avec la Turquie et quatre pays des Balkans que sont la Serbie, la
Macédoine, l'Albanie et le Monténégro. Deux autres pays des Balkans, le
Kosovo et la Bosnie, sont également pressentis pour adhérer, ainsi que
trois pays du Caucase (Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan) et trois pays
d'Europe de l'est: la Biélorussie, l'Ukraine et la Moldavie. Les derniers évènements géopolitiques en Ukraine et la politique des
sanctions anti-russes déployée par Bruxelles ont troublé cette logique de
l'intégration sans fin, et amené un certain nombre de questions et
d'inquiétudes nouvelles. Parmi les pays qui sont déjà membres de l'Union
européenne, et parmi ceux qui pourraient le devenir, certains sont très
dépendants de la Russie sur le plan énergétique et sur le plan
économique. Sans surprise, on a pu constater que lors du dernier sommet européen
qui s'est tenu à la fin du mois de mai 2015, les représentants
européens ont tenu un double discours destiné à ne pas décourager les États candidats, ne pas augmenter la tension avec la Russie mais aussi
et surtout à masquer les difficultés que connaît la zone Euro
actuellement comme la récente tragédie grecque l'a confirmé. On a aussi
constaté que par exemple l'Autriche, Chypre, l'Italie et la Grèce ne se
pressent pas pour ratifier le traité d'association avec l'Ukraine,
provoquant le courroux de l'administration ukrainienne. Il y a sans
doute un lien direct avec la situation en Ukraine qui s'est détériorée
récemment, et aussi avec le fait que le nouveau projet de gazoduc
Turquish Stream pourrait créer une situation nouvelle dans la région.
Contrairement au projet South Stream qui allait directement de Russie en
Bulgarie, le nouveau projet prévoit des pays de transit qui ne font pas
partie de l'Union européenne (Turquie, Macédoine et Serbie). Dans la
région, la situation n'inspire, il est vrai, pas beaucoup d'optimisme.
L'Ukraine ne sait plus vraiment où sont ses frontières, et le pays
pourrait, au mieux, se retrouver à terme géographiquement encastré entre
deux conflits gelés: Transnistrie et Donbass.
De son côté, l'Union douanière eurasiatique comprend désormais cinq
pays (Russie, Kazakhstan, Biélorussie, Kirghizstan et Arménie) et elle
étend son intégration sur le plan régional mais aussi avec des pays
beaucoup plus éloignés. Elle vient de lancer des accords de libre-échange
avec le Vietnam tandis que justement la Moldavie, l'Inde, le Chili,
Israël et la Nouvelle-Zélande se sont déclarés intéressés pour se
rapprocher ou rejoindre l'union douanière. Dernier Etat de la liste,
l'Arménie vient de rejoindre l'Union douanière douchant ainsi les
espoirs ce ceux qui imaginaient que ce pays du monde russe choisisse de
s'en éloigner.
De la même façon que l'extension de l'UE vers l'est et la Russie s'est longtemps superposée avec l'extension de l'OTAN, l'extension de l'union douanière se fait en parallèle avec l'extension de l'Organisation de Shanghai. Fondée en 2001, l'organisation (OCS) comprend désormais huit membres puisqu'aux 6 membres d'origine (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan et Ouzbékistan) viennent de se rajouter l'Inde et le Pakistan dont le statut a été validé lors du sommet exceptionnel qui s'est tenu début juillet 2015 dans la République musulmane russe de Bachkirie.
Ce
sommet regroupait l'Union économique eurasiatique, l'Organisation de
Shanghai mais aussi les BRICS et a traduit les volontés de ces
organisations de coordonner et harmoniser leur développement alors que
les trois principaux BRICS sont désormais membres de l'Organisation de
Shanghai. Le sommet a également confirmé que le fort rapprochement
de l'Inde avec la Russie concerne non seulement le plan économique mais
également le plan militaire. Enfin le sommet aura aussi permis à la
Russie de montrer au monde entier ce qu'il en est de son soi-disant
isolement diplomatique et économique et de confirmer que le pays est non
seulement parfaitement accepté mais surtout plébiscité au sein du monde
non-Occidental.
Cette restructuration de l'espace Asie-Eurasie s'effectue sous
impulsion dominante du binôme Russie/Chine. Si la Chine n'est que
partenaire de l'Union douanière eurasiatique, Pékin a un projet propre
qui se superpose et complète les architectures eurasiatiques en développement et qui est la réanimation d'une gigantesque route de la soie
visant à relier l'est et l'ouest du continent eurasiatique. La Chine a
depuis plusieurs années des projets de prises de contrôles
d'infrastructures existantes (sources ici, la et ici)
sur le flanc est de l'Europe, au cœur des Balkans. Cette impulsion
chinoise vient récemment de prendre une nouvelle dimension, puisque
c'est une puissance moyenne de l'Europe centrale, la Hongrie, qui vient
de signer un accord de coopération sur les développements ultérieurs de la route de la soie.
Peu à peu, une nouvelle architecture mondiale semble se dessiner autour de deux ordres qui établissent des structures et mécanismes qui leurs sont propres (sur les plans politiques, économiques, sécuritaires, militaires ou financiers…) et concernant leurs aires géographiques propres et proches.
Ces
deux ordres ont des conceptions et visions opposées de l'ordre
international puisque l'un est à dominante unipolaire et occidental et
l'autre plus multipolaire. Ce second et nouvel ordre en émergence est
poussé par le binôme Chine-Russie, binôme par ailleurs membres des principales structures de l'ordre concurrent.
Deux ordres ayant également chacun des modèles civilisationnels et sociétaux propres et largement incompatibles.
De la même façon que l'extension de l'UE vers l'est et la Russie s'est longtemps superposée avec l'extension de l'OTAN, l'extension de l'union douanière se fait en parallèle avec l'extension de l'Organisation de Shanghai. Fondée en 2001, l'organisation (OCS) comprend désormais huit membres puisqu'aux 6 membres d'origine (Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan et Ouzbékistan) viennent de se rajouter l'Inde et le Pakistan dont le statut a été validé lors du sommet exceptionnel qui s'est tenu début juillet 2015 dans la République musulmane russe de Bachkirie.
Peu à peu, une nouvelle architecture mondiale semble se dessiner autour de deux ordres qui établissent des structures et mécanismes qui leurs sont propres (sur les plans politiques, économiques, sécuritaires, militaires ou financiers…) et concernant leurs aires géographiques propres et proches.