Les décideurs de Washington appellent à la division, à la destruction et à l’occupation militaire de la Syrie.
À l’insu du grand public, ce ne sont pas les politiciens élus qui
sont à l’origine des politiques qui lient leur destinée à celui de la
nation ou à la sphère géopolitique. Ce sont plutôt les groupes de
réflexion financés par la grande entreprise et les grands financiers –
des équipes de décideurs non élus qui transcendent les élections et qui
produisent des documents servant ensuite de fondement aux dispositions
législatives qui reçoivent l’aval des « législateurs » et qui sont aussi
repris et répétés ad nauseam par les grands médias.
Un document de politique de ce genre a été récemment produit par le
tristement célèbre groupe de réflexion US Brookings Institution,
document intitulé Deconstructing Syria: Towards a regionalized strategy for a confederal country
[Déconstruction de la Syrie : vers une stratégie régionale pour la
création d’un pays confédéré]. Cette conspiration à découvert, signée et
datée, visant à diviser, à détruire, puis à occuper progressivement une
nation souveraine située à des milliers de kilomètres des rives de
l’Amérique illustre de manière peu rassurante à quel point
l’impérialisme moderne demeure dangereux et tenace, même en ce 21e siècle.
Le groupe armé État islamique (EI) comme prétexte : les USA ont versé des milliards de dollars à des « modérés » qui n’existent pas
Les auteurs de ce document admettent ouvertement que les USA ont
fourni des milliards de dollars pour armer et entraîner des militants
qui ont servi à alimenter un conflit dévastateur aux proportions de plus
en plus régionales. Ils admettent que les USA maintiennent des
opérations en Jordanie et en Turquie, membre de l’OTAN, afin d’injecter
encore plus d’armes, d’argent liquide et de combattants dans ce conflit
déjà catastrophique, et qu’ils devraient même élargir leurs opérations.
Ils relatent ensuite l’ascension du prétendu « État islamique » (EI),
sans toutefois expliquer la provenance de son financement et de ses
armes. Le lecteur comprendra sans peine que si les États‑Unis ont engagé
des milliards de dollars en argent comptant, en armement et en
entraînement pour soutenir sur de multiples fronts de prétendus
« modérés » qui, en somme, n’existent pas sur le champ de bataille, un
soutien étatique plus grand encore serait requis pour la création et le
maintien d’e l’EI et du Front al‑Nosra d’al‑Qaida qui, de l’aveu même de
la Brookings Institution, dominent sans conteste l’« opposition ».
En réalité, les lignes d’approvisionnement d’e l’EI conduisent tout droit aux zones opérationnelles US
en Turquie et en Jordanie, car c’est bien l’Ei et al‑Qaida que
l’Occident prévoyait utiliser avant même que le conflit n’éclate en
2011, et sur lesquels il a depuis fondé sa stratégie – y compris la plus
récente étape de la campagne.
Image : Au dire de tous, y compris des
groupes de réflexion et des grands médias occidentaux, le territoire du
groupe armé État islamique englobe des corridors qui vont jusqu’à la
Turquie, membre de l’OTAN, et jusqu’à la frontière de la Jordanie,
alliée des USA. Ces deux pays hébergent un personnel militaire US
considérable ainsi que des contingents de la CIA et des forces
spéciales. Il va de soi que l’EI est une création et un prolongement de
l’Occident qui subsiste grâce au flux constant de fournitures provenant
de ces deux bases d’opération.
L’invasion US de la Syrie
Après avoir armé et financé une armée de terroristes d’al‑Qaida
occupant littéralement la superficie d’une région entière, les
États‑Unis prévoient maintenant profiter du chaos qui en résulte pour
justifier ce qu’ils recherchent depuis le début du conflit, alors qu’il
était devenu évident que le gouvernement syrien n’allait ni capituler ni
s’effondrer – soit l’établissement de zones tampons aujourd’hui
qualifiées par la Brookings Institution de « zones sécuritaires».
Une fois créées, ces zones accueilleront des forces armées US, qui
occuperont littéralement des territoires syriens saisis, nettoyés par
des alliés interposés, dont des groupes kurdes et des bandes de
combattants d’al‑Qaida dans le Nord, et des milices terroristes
étrangères opérant le long de la frontière jordano‑syrienne dans le Sud.
La Brookings Institution va même jusqu’à admettre que plusieurs de ces
zones seraient créées par des extrémistes, mais que les critères de
« pureté idéologique » seraient en quelque sorte « abaissés ».
Image : L’Occident n’a que légèrement
voilé son soutien à al‑Qaïda et à l’EI / Daesh
à un grand public impressionnable. Dans les milieux politiques, les propos concernant l’utilisation d’al‑Qaïda pour diviser et détruire les ennemis de Wall Street partout dans le monde sont animés et enthousiastes.
à un grand public impressionnable. Dans les milieux politiques, les propos concernant l’utilisation d’al‑Qaïda pour diviser et détruire les ennemis de Wall Street partout dans le monde sont animés et enthousiastes.
Les États‑Unis supposent que lorsqu’ils se seront approprié ce
territoire et que des troupes US y seront stationnées, l’Armée arabe
syrienne n’osera pas attaquer de crainte de provoquer une réaction
militaire US directe contre Damas. Dans son document, la Brookings
Institution affirme ce qui suit (c’est nous qui soulignons) :
L’idée serait d’aider les éléments modérés à établir des zones
sécuritaires fiables à l’intérieur de la Syrie lorsqu’ils seraient en
mesure de le faire. Les forces étasuniennes, de même que les
forces saoudiennes, turques, britanniques, jordaniennes et autres forces
arabes, agiraient comme soutiens, non seulement à partir des airs, mais
par la suite au sol, et ce, par l’intermédiaire des forces spéciales.
La stratégie mettrait à profit le terrain désertique ouvert de la
Syrie, qui permettrait la création de zones tampons où serait surveillé
tout signe d’attaque ennemie au moyen d’outils technologiques, de
patrouilles et autres méthodes pour la mise en place desquelles les
forces spéciales externes pourraient venir en aide aux combattants
syriens locaux.
Si Assad était assez bête pour menacer ces zones, et même
s’il parvenait en quelque sorte à forcer le retrait des forces spéciales
externes, il perdrait sans doute sa puissance aérienne au cours des
frappes de représailles qui s’ensuivraient, menées par ces mêmes forces,
ce qui priverait ses militaires de l’un des seuls avantages dont ils
bénéficient par rapport à l’EI. Il serait donc peu probable qu’il le
fasse.
En un seul énoncé, la Brookings Institution admet que le gouvernement
syrien n’est pas engagé dans une guerre contre son peuple, mais contre
l’« Etat islamique » (EI). Il est évident que la Brookings Institution,
les politiciens et autres stratèges partout en Occident se servent de la
menace que représente l’EI combinée à celle d’une intervention
militaire directe comme levier devant finalement leur permettre
d’envahir le territoire syrien pour se l’approprier entièrement.
L’invasion pourrait réussir, mais pas au profit des alliés interposés des USA
Le plan tout entier suppose de la part des États‑Unis d’abord la
capacité de s’approprier ces « zones » et de s’y maintenir et, ensuite,
celle de les articuler en régions autonomes fonctionnelles. Des
tentatives similaires de « construction de nations » par les USA sont
aujourd’hui visibles en Afrique du Nord dans l’État en déroute qu’est
devenue la Libye, en Irak, en Afghanistan,
en Somalie… la liste est longue.
La folie de ce plan, tant par les tentatives de recourir pour le
mettre en œuvre à une crédibilité non existante et à la force militaire,
que du fait de ceux qui sont suffisamment bêtes pour faire confiance à
un pays qui a laissé dans son sillage à l’échelle de la planète une
bande de destruction et d’États en déroute allant du Vietnam du Sud à la
Libye, aller-retour, ne peut être qualifiée que de monumentale.
Il est presque certain que cette stratégie peut servir à achever la
destruction de la Syrie. Elle ne peut toutefois pas servir à réaliser
l’une ou l’autre des promesses que feront les États‑Unis, quelles
qu’elles soient, pour obtenir la coopération des divers acteurs
nécessaires à sa réussite.
Image : « Libérée » par les USA et par
l’OTAN, la Libye est sous la domination d’al‑Qaida, qui s’est récemment
rebaptisée elle‑même EI. Les allégations des décideurs US selon
lesquelles leur invasion progressive de la Syrie se traduira par quelque
chose de différent pour les Syriens sont à tout le moins malhonnêtes.
Il existe assurément des mesures que la Syrie, ses alliés l’Iran et
le Hezbollah, de même que la Russie, la Chine et d’autres nations qui
subissent les menaces hégémoniques occidentales peuvent prendre pour
empêcher les forces US de s’approprier et de conserver des parties du
territoire syrien et de réaliser ce qui constitue essentiellement une
lente invasion. Déjà, les USA ont utilisé comme prétexte la présence de
leurs propres hordes d’ISIS/Daesh pour se livrer à des opérations militaires
sur le territoire syrien, ce qui, comme prévu, a conduit à l’étape
suivante d’invasion progressive.
Une augmentation des forces de maintien de la paix non-OTAN en
Syrie pourrait en définitive faire échec aux plans de l’Occident. La
présence d’Iraniens, de Libanais, de Yéménites, d’Afghans ou d’autres
forces partout en Syrie, particulièrement en bordure de la « zone » que
les USA s’efforcent de créer, pourrait placer ces derniers devant
l’éventualité d’une confrontation multinationale pour laquelle ils n’ont
ni la volonté politique ni les ressources nécessaires.
En dernière analyse, la capacité de la Syrie et de ses alliés à
opposer une force de dissuasion suffisante à l’agression US en Syrie, et
ce, tout en coupant les lignes logistiques utilisées par les USA pour
approvisionner ISIS/Daesh et d’autres groupes terroristes actifs en Syrie et
en Irak, sera déterminante pour la survie de la Syrie.
Tony Cartalucci
Article original en anglais:
US To Begin the Invasion of Syria. Washington Policymakers Call for the Division, Destruction and Military Occupation of Syria, publié le 26 juin 2015
Source principale : New Eastern Outlook
Traduction par Jacques pour Mondialisation.ca
Tony Cartalucci, rédacteur et analyste en géopolitique basé à Bangkok. Il écrit surtout pour le magazine Web New Eastern Outlook.