Comme ceux de Genève I (juin 2012) et II (janvier/février 2014), le
processus de Vienne concernant la crise syrienne risque d’être long.
Mais ce sommet « pour sortir de l’enfer », selon les propres termes du
secrétaire d’Etat américain John Kerry, a d’ores et déjà apporté un
grand changement diplomatique : la participation de la République
islamique d’Iran, principal allié de Damas.
Le retour de son ministre des Affaires étrangères – Mohammad Javad Zarif – dans la ville même où fut conclu l’accord sur le nucléaire iranien, le 14 juillet dernier, consacre la réintégration de l’Iran, dans le jeu international. En effet, tous les acteurs régionaux – y compris l’Arabie saoudite – reconnaissent désormais qu’aucune solution politique ne saurait être trouvée sans Téhéran qui avait été exclu de Genève I et II.
Le retour de son ministre des Affaires étrangères – Mohammad Javad Zarif – dans la ville même où fut conclu l’accord sur le nucléaire iranien, le 14 juillet dernier, consacre la réintégration de l’Iran, dans le jeu international. En effet, tous les acteurs régionaux – y compris l’Arabie saoudite – reconnaissent désormais qu’aucune solution politique ne saurait être trouvée sans Téhéran qui avait été exclu de Genève I et II.
Les Saoudiens détruisent systématiquement les hôpitaux au Yémen |
Ce retour se justifie d’abord par la prise en compte des réalités du terrain. Depuis le début du soulèvement en Syrie (mars 2011), la République islamique s’est rangée aux côtés de son allié syrien. La livraison de matériels militaires sophistiqués (missiles sol-sol, blindés et moyens de transmission) et l’engagement sur sol syrien de conseillers militaires iraniens n’ont pas fait défaut, montant en puissance avec la militarisation et la régionalisation du conflit à partir de l’hiver 2011/2012. Dans son discours du 25 mai 2013, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah – proche allié de Téhéran – officialisait l’engagement de ses combattants aux côtés des unités gouvernementales syriennes. Plus d’un millier d’hommes des forces spéciales du Hezbollah participaient ainsi à la bataille décisive de Qoussair, localité stratégique permettant de contrôler l’accès à Damas et à la bande territoriale jouxtant la province de Homs avec la frontière libanaise – par laquelle transitaient mercenaires et matériels à destination des groupes jihadistes menaçant la capitale syrienne.
Dans
le même temps commençait à filtrer la présence de conseillers de la
force d’élite Al-Qods des Gardiens de la révolution sur la plupart des
fronts syriens. Avec la mobilisation d’unités chi’ites irakiennes,
afghanes et pakistanaises, l’ensemble des forces pro-iraniennes en Syrie
est estimé entre 15 et 20 000 hommes. Sur le modèle des pasdarans,
Téhéran a également œuvré à une restructuration des groupes
paramilitaires syriens et des comités populaires en un contingent de
quelque 50 000 combattants sous le nom de Forces de défense nationale
(FDN), destinés à appuyer l’armée nationale.
L’engagement iranien
s’est aussi traduit par plusieurs milliards de dollars d’aides pour
soutenir l’économie syrienne, ainsi que par une présence de plus en plus
marquée d’acteurs économiques iraniens sur le marché syrien,
reconduisant la même méthode employée en Irak durant la dernière
décennie. Depuis le printemps dernier, Téhéran a déployé de nouvelles
troupes d’élite en Syrie. La mort du général Hossein Hamadani, l’un des
commandants de la Force Al-Qods des Pasdaran, le 8 octobre dernier,
alors qu’il effectuait une mission de conseil sur le front syrien
d’Alep, a eu un grand retentissement en Iran où ses obsèques nationales
ont été retransmises en direct par la télévision publique. Cette
reconnaissance nationale d’un engagement iranien sur sol syrien s’est
amplifiée avec l’officialisation d’un engagement militaire russe accru
depuis le 30 septembre avec le déclenchement d’une intense campagne de
bombardements aériens contre les positions jihadistes.
Le maintien
de l’intégrité territoriale et politique de la Syrie est considéré par
Téhéran comme un élément capital de sa propre sécurité, le territoire
iranien étant cerné de conflits où sont engagées des milices jihadistes
soutenues par l’Arabie saoudite, les Etats-Unis et leurs supplétifs
européens (prochetmoyen-orient du 18 octobre 2015) : Afghanistan,
Pakistan, Yémen, Turquie, Irak et Syrie. « La sécurité nationale de la
Syrie et de l’Iran sont intrinsèquement liées. Cette réalité est la
philosophie de notre présence en Syrie », vient de répéter avec force
Hossein Salami, commandant-adjoint du Corps des Pasdarans. La Syrie
constitue également une ligne de résistance au régime de Tel-Aviv qui
poursuit son occupation militaire et sa colonisation des territoires
palestiniens.
Dans ce contexte opérationnel, l’ouverture à Vienne
d’un espace de discussion entre Téhéran et Riyad constitue une avancée
positive sur la voie d’un apaisement entre les deux puissances
régionales rivales. Moscou autant que Washington poussent à la détente
entre les deux frères ennemis de l’Islam proche et moyen-oriental pour
l’instauration d’une espèce de « Yalta régional » sans lequel aucun des
conflits en cours ne pourra être durablement résolu.
Par ailleurs,
ce grand retour de l’Iran aggrave la marginalisation d’une diplomatie
française – absente du premier tour de table viennois – et qui continue à
ne rien comprendre à la nouvelle donne en acte… A l’évidence, François
Hollande et Laurent Fabius – qui s’entêtent à répéter que Bachar doit
partir – s’enferment dans une impasse à trois côtés : 1) cette question
de l’avenir politique de la Syrie n’est pas d’actualité tant que ne
seront pas neutralisés Dae’ch et les autres factions jihadistes engagées
en Syrie comme en Irak ; 2) en collant ainsi à la voix de Riyad, Paris
s’affirme comme partie liée au conflit et perd toute capacité de
médiation ; 3) enfin et surtout, en continuant à prôner des solutions de
« regime change » qui ont lamentablement échoué et tourné au chaos en
Afghanistan, en Irak, en Libye et au Yémen, Paris n’a visiblement rien
appris. Les experts du Quai d’Orsay ont-ils seulement compris que si
Dae’ch n’a pas réussi à investir Damas, c’est – que cela nous plaise ou
non ! – grâce aux sacrifices militaires de l’armée gouvernementale
syrienne et de leurs alliés iraniens, libanais et russes.
Le
malentendu, sinon le blocage central de cette crise régionale et
internationale nous ramènent à la jurisprudence libyenne du printemps
2011, lorsque Nicolas Sarkozy et David Cameron ont pris la très lourde
responsabilité de déclencher une guerre unilatérale contre Mouammar
Kadhafi. Ce faisant, ils ont outrepassé l’esprit et la lettre de la
résolution 1973 du Conseil de sécurité que la Russie et la Chine avaient
laissé passer. Celle-ci préconisait strictement deux choses :
l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne et l’acheminement d’aides
humanitaires aux populations civiles. En interprétant cette résolution
comme le feu vert à un changement de régime à Tripoli, Paris, Londres,
puis l’OTAN (donc Washington) se sont aliénés durablement Moscou et
Pékin, depuis toujours farouchement opposés à la remise en cause de
souverainetés nationales garanties par l’article 2 (paragraphe 5) de la
Charte de l’ONU !
Enfin, une autre dimension essentielle du grand
retour de l’Iran échappe – elle-aussi – à la compréhension de Laurent
Fabius et de son Président : la différence à faire entre une diplomatie
du court terme – la gestion immédiate des crises – et une diplomatie du
plus moyen et long termes devant miser sur l’influence, le soft, voire
le smart power, à savoir la formation des élites, le maintien des
contacts entre services spécialisés et experts, les échanges
académiques, scientifiques et culturels, les bourses d’étudiants, etc.
L’un des fondamentaux du métier diplomatique réside dans cette loi de
thermodynamique : quoiqu’il arrive et surtout si les relations
politiques se dégradent avec un pays quel qu’il soit, il s’agit de ne
jamais interrompre les canaux multiples, vecteurs de notre influence.
C’est un vrai métier !
Les Allemands l’ont parfaitement compris.
Dernièrement à Téhéran pour la préparation de la prochaine conférence de
Munich sur la défense et la sécurité, le chef de la diplomatie
allemande Frank-Walter Steinmeier a multiplié les initiatives allant
dans ce sens, insistant sur les échanges culturels, scientifiques et
universitaires entre l’Iran et son pays. Depuis qu’il est arrivé à la
tête du Quai d’Orsay, Laurent Fabius a fait justement le contraire en
donnant instructions aux diplomates français d’éviter soigneusement de
fréquenter les think-tanks et les centres de recherche iraniens et
d’isoler l’Iran jusque dans les débats d’idées ! Le remaniement
ministériel qui ne manquera pas de suivre la débâcle des prochaines
élections régionales françaises y changera-t-il quelque chose ? Rien
n’est moins sûr…
Richard Labévière
2 novembre 2015
2 novembre 2015
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