Dans son
essai, « Après DAECH, la guerre idéologique continue » (préface de
François-Bernard Huyghe, VA Press éditions, 2018, 165 p.), Edouard VUIART
contribue à éclairer l’entreprise idéologique qui anime le discours et l’action
djihadiste. Le jeune analyste a répondu aux questions de Chronik.fr
- Pensez-vous que le terrorisme islamiste s’inscrit d’abord dans le cadre d’une bataille culturelle et idéologique ? Dans ce cas, comment les Etats peuvent-ils faire face ?
L’Islamisme (Daech, Frères Musulmans, salafistes, etc.) propose à ses
disciples une vision théologico-politique du monde. Sa doctrine réfute
la pensée des Lumières qu’elle définit comme un crime contre « la loi
d’Allah » ; il désavoue les communautés musulmanes ayant choisi « l’apostasie
» ou la sécularisation, et prétend rétablir le temps de Médine où primaient « céleste
», « religion » et « communauté fraternelle » [1]. Le problème n’est donc pas que les
islamistes perdent leur sens moral dans la poursuite de leur utopie, mais c’est
justement qu’ils y trouvent du sens. Ils considèrent que chacun de leurs actes
a vocation à démontrer la vérité de leurs idées et à offrir à d’autres la
révélation de cette vérité. Donc bien évidemment, le terrorisme islamiste
s’inscrit dans le cadre d’une bataille à la fois idéologique et culturelle. Lorsque
la propagande islamiste qualifie les Occidentaux de « Croisés », elle
inscrit sa guerre dans un processus historique de temps long et elle nous y
inscrit directement. Peu importe nos croyances (ou notre absence de croyances),
nous n’en sommes pas moins « mécréant », et surtout quand le « Croisé
» lui-même crédibilise ce millénarisme en multipliant ses interventions
militaires et en usant des expressions « croisade contre le terrorisme »
ou « choc des civilisations ». C’est en refusant de se faire
imposer par la peur des options politiques nationales et internationales que
nos sociétés pourront protéger leurs principes et ainsi relever le défi
terroriste de notre temps.
Il nous faut donc parvenir à comprendre la part de rationalité qui pousse
ces individus à avoir foi dans l’idéologie djihadiste, mais également affirmer
collectivement que le fait d’expliquer n’amène pas à excuser, mais à maîtriser
la situation. Une autre piste pourrait également venir des institutions
islamiques classiques, mais elles peinent à dépasser la double-impasse
représentée par ceux qui d’un côté, proposent un islam « modéré » sans
comprendre que cela conforte les salafistes dans leur prétention à représenter
le « vrai » islam ; et par ceux qui d’autre part, réclament que l’islam procède
à son aggiornamento sans voir que sur le plan historique, celui-ci a
déjà eu lieu avec le mouvement Salafiyya. Reste la question du
financement, mais si l’instrumentalisation des mouvements djihadistes par le wahhabisme
pragmatique est avérée depuis plus de deux siècles, il semble pour le moment
plus confortable de regarder ailleurs pour des raisons d’opportunités
économiques ou diplomatiques.
- Quels sont les ressorts et la structure du discours idéologique de L’Islamisme ? Son efficacité ne réside-t-elle pas d’abord dans les moyens utilisés ?
La littérature djihadiste fournit à ses partisans une dogmatique à base de
sourates, de hadiths et de commentaires théologiques, pour les convaincre que
toute déviance par rapport à la doctrine du djihad islamiste est synonyme de
traîtrise à « l’islam véritable » et que le sang versé est dès lors « licite
». Il s’agit d’un véritable édifice idéologique dont les argumentations
théologiques constituent le soubassement justificatif de son recours à la
violence. Et les processus de « radicalisation éclair » ne peuvent avoir lieu
que parce que cette doctrine s’avère complexe, structurée et surtout
disponible. Certes, on trouve des djihadistes qui n’ont presque jamais lu le
Coran et qui ne parlent que très peu – voire pas du tout – l’arabe. Mais il
serait erroné de tous les considérer comme incultes, car certains ont forgé
leur engagement autour de ce corpus. Il ne s’agit donc pas d’un simple « lavage
de cerveau » qui engendrerait des êtres barbares, mais bien d’une vision de
l’Histoire, d’une « mission » à l’échelle mondiale et d’une interprétation des
textes sacrés, conçues par une « avant-garde » autoproclamée dont
l’objectif est, dans l’intérêt de leur vision du « Bien commun »,
d’imposer la « véritable » orthodoxie sunnite et de purger l’humanité de
ses éléments « impurs » afin d’affronter la Fin des Temps dans les
meilleures conditions. Cette imposition du « Bien » se fait avant tout au nom
de ce que le linguiste allemand Victor Klemperer nomme la « théorie
du Un », soit la conviction profonde que l’on détient la seule et
unique vérité et que toute altérité constitue un dangereux mensonge. L’Islamisme
ordonne ainsi à ces disciples de dédier leur vie au djihad du sabre en
propageant la charia et en combattant les « mécréants » dont la mort est
« purificatrice » et même « morale » au sens où elle est – selon eux –
réclamée par Dieu lui-même. Il est donc essentiel de comprendre que
l’intolérance et la violence proviennent non pas d’une barbarie sans nom, mais
d’une idéologie à prétention universelle dont l’objectif est de s’imposer de
force au reste du monde et de ne laisser aucune place à la diversité.
- Peut-on imaginer et concevoir une « fin » à la « guerre contre le terrorisme » ?
Historiquement, on dénombre quatre issues possibles à tout phénomène
terroriste : (1) les terroristes sortent vainqueurs ; (2) leur organisation se
mue en une formation politique capable de négocier ; (3) la répression les
élimine ; (4) le mouvement dépérit par découragement ou par manque de visée
historique. Il est très difficile d’imaginer les terroristes islamistes
désireux de négocier avec leurs adversaires, puisque la base de leur idéologie
est d’anéantir tous les « mécréants » et les « apostats ». On imagine encore
moins la victoire des djihadistes, puisque cela signifierait l’extension de
leur doctrine à la planète entière et la conversion de tous ses habitants. La
répression, si elle est nécessaire, n’apparaît quant à elle pas suffisante
contre des individus parfois imprévisibles, et dont les attaques dépendent bien
moins d’une coordination centralisée que d’une idéologie à toute épreuve. Reste
donc la piste du renoncement. S’il est désormais évident que nous n’y
parviendrons pas via les centres de déradicalisation — qui ont largement prouvé
leur totale inefficacité — nos tentatives de contre-discours n’ont pour le
moment révélé que leur incompatibilité avec l’idéologie djihadiste dont la
doctrine et les valeurs restent parfaitement imperméables à notre rhétorique.
À ce sujet, il faut bien comprendre que notre vision d’une défaite
militaire de l’EI sur le théâtre syro-irakien est loin d’être partagée par les
djihadistes. À leurs yeux, la chute du Califat s’inscrit dans l’histoire d’un
crime occidental séculaire qu’ils finiront tôt ou tard par venger. Non
seulement leur idéologie leur permet de gagner les esprits au fur et à mesure
qu’ils subissent des revers, mais l’ancien porte-parole de Daech, Abu
Muhammad al-Adnani affirmait lui-même que le fait d’être tué constituait en
soi une victoire [2]. La plus grande
erreur serait donc de croire qu’une défaite militaire de l’Islamisme pourrait
permettre de régler la question de la « guerre contre le terrorisme ». Les
enseignements de la défaite de son prédécesseur (l’État Islamique d’Irak) nous
montre bien qu’un éventuel retour de Daech – sur le théâtre syro-irakien ou
même en Afghanistan – n’est pas à exclure. Sans compter les nombreuses
métastases djihadistes que le groupe a produit au-delà cette zone. Dès lors,
l’Islamisme suivrait à la lettre le paradoxe des violences politiques de notre
temps, à savoir « proliférer partout,
triompher nulle part et partout renaître ».
« Après Daech, la guerre idéologique continue » (VA Press Éditions),
disponible en librairie ou via :
– Site éditeur : https://bit.ly/2kzkOPa
NOTES
[1] Dans « Le Califat ou l'assassinat comme règle de succession»
nous avions écrit:
" durant ce premier âge d’or du califat, trois califes
sur quatre meurent assassinés (soit 75%). De même, ces quatre califes sont, par
leur mariage, de la famille du Prophète : en politique, on appelle cela du
népotisme. Ils sont aussi tous qoraïchites : on appelle cela du tribalisme….. Durant trois siècles (7ème au 10ème), il y a eu
39 califes (4 rachidoun, 14 omeyades et 21 abbassides), qui ont gouverné durant
308 ans. Durant ces califats, le règne dure en moyenne 7,9 ans. Treize des 39
califes meurent de mort violente ou suspecte, c'est-à-dire qu’un calife a une
« chance » sur trois de mourir assassiné. Voilà un âge d’or dont on se
serait bien passé."
"Pendant que d’aucuns, ivres de pouvoirs,
« troussent des soubrettes » ici-bas, d’autres rêvent de déflorer à
la chaine de jeunes vierges en l’Au-delà ! Le Paradis devient ainsi un
immense lupanar pour priapiques, une infinie orgie céleste entièrement dédiée
au plaisir des sens !
Ceux qui attentaient la contemplation de la
« Face de Dieu » sont priés de changer de lieu !
Toutes jeunes, toutes vierges, les Houris sont
condamnées à subir les assauts virils des bienheureux satyres et, pire encore –
l’imagination clinique de nos exégètes est ici sanglante – à se voir nanties
d’un hymen éternellement régénéré". Dr
Al 'Ajamî , dans « Que dit vraiment le Coran ?».
Lors des attentats du 9/11 contre le World Trade
Center, Mohamed Atta, le faux chef du faux commando, écrivait à ses
compagnons d’armes peu avant ces attentats «Les vierges vous appellent !». Il y a de quoi susciter les désirs les
plus fous chez de jeunes frustrés islamistes.
Hannibal Genséric
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