La
nouvelle est stupéfiante, mais plusieurs sources sérieuses la confirment. La
voici, livrée telle quelle en attendant d’en savoir plus.
Le projet des Émirats Arabes Unis de rouvrir sous peu leur
ambassade à Damas argue d’un étonnant nouvel alignement sur la carte du
Moyen-Orient.
Au
niveau le plus évident, il signale que les États du Golfe ont pris acte de la
fin de la guerre brutale pour renverser le gouvernement syrien. Mais leur
pragmatisme est stupéfiant. Il n’y aura même pas de délai de réflexion !
Qu’est-ce
qui explique cette urgence ? Les analystes diront peut-être que c’est pour
contrer l’influence de l’Iran. Après tout, les Saoudiens, avec le soutien des
Émirats Arabes Unis, ont essayé une approche similaire en Irak au cours de
l’année écoulée — pour contrer l’influence multiforme de l’Iran en Irak.
Mais les
EAU ne peuvent ignorer le lien exceptionnellement fort entre Damas et Téhéran.
La Syrie peut sûrement faire bon usage de billets verts pour faire avancer son
programme de reconstruction, mais son alliance avec l’Iran a des dimensions
existentielles.
Les
analystes occidentaux ont tendance à considérer le facteur Iran comme le
leitmotiv des développements au Moyen-Orient. Toutefois, dans la cacophonie au
sujet de l’Iran, nous négligeons généralement le fait que des divergences entre
les principaux États sunnites se sont également fait jour ces derniers temps.
Au cours
des deux ou trois dernières années, un alignement turco-qatari s’est
cristallisé. Pour le Qatar, le soutien de la Turquie est nécessaire à sa
résistance aux pressions exercées sur son autonomie stratégique par les régimes
d’Arabie Saoudite et des Émirats Arabes Unis. L’établissement d’une base
militaire turque au Qatar renforce ce nouvel axe. Dernièrement, le Qatar
est devenu un des piliers majeurs du soutien financier à l’économie
turque.
Ni le
Qatar, ni la Turquie ne s’inquiètent la montée en puissance de l’Iran. Ils ne
cherchent pas non plus à isoler l’Iran. Washington a récemment
« accordé » une dérogation à la Turquie pour qu’elle continue
d’acheter du pétrole à l’Iran, mais Ankara a riposté en disant qu’elle s’opposait de toute façon aux
sanctions américaines, en les qualifiant « d’impérialistes ».
Pour la
Turquie aussi, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis sont aujourd’hui
les principaux adversaires régionaux. La Turquie est préoccupée par le soutien
des Émirats Arabes Unis à des groupes terroristes en Libye, au Yémen et en
Syrie. En Syrie voisine, les Saoudiens et les Émiratis ont ouvertement soutenu
Daech et les affiliés d’Al-Qaïda. Des cercles proches de l’élite dirigeante
turque ont affirmé que les Émirats Arabes Unis ciblent délibérément
Erdogan.
De plus,
une « ligne rouge » a été franchie lorsque les deux oligarchies du
Golfe ont apporté leur soutien au coup d’État manqué de 2016 en Turquie, qui a
failli assassiner le président Recep Erdogan. (Après l’échec du coup d’État, il
a fallu 16 heures à Riyad pour faire une déclaration !) La Turquie a estimé que
les Émirats Arabes Unis avaient fourni une escale aux auteurs du coup d’État.
Selon la
Turquie, les Émirats Arabes Unis appliquent un projet occidental pour
l’affaiblir. Entre-temps, des rapports ont également révélé que les deux
oligarchies du Golfe ont financé les groupes militants kurdes (qui sont les
alliés des États-Unis en Syrie).
Sans
aucun doute, c’est un mélange détonant. Mais ce qui le rend vraiment explosif,
c’est la perception d’Abou Dhabi et de Riyad selon laquelle la Turquie et le
Qatar considèrent les Frères musulmans comme un puissant véhicule pour la
transformation démocratique du Moyen-Orient musulman.
Les deux
régimes (l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis) considèrent les FM comme
une menace existentielle. Leur haine viscérale des Frères est telle qu’ils ont
financé le coup d’État contre le président égyptien élu Mohamed Morsi en 2013,
à hauteur de plusieurs milliards de dollars.
Aujourd’hui,
la Syrie entre en scène. Compte tenu de ce qui précède, les Émirats Arabes Unis
et l’Arabie Saoudite sont enclins à souhaiter une convergence avec le régime
syrien pour étouffer les aspirations d’Erdogan au « néo-ottomanisme »
en général, et son soutien aux FM comme vecteurs de changement en particulier.
Une
question intéressante sera : Quelle position les États-Unis adopteront-ils à
l’égard des Frères Musulmans ? L’administration Barack Obama avait vu beaucoup
de potentiel dans les FM pour conduire le printemps arabe vers une
« démocratie islamique » au Moyen-Orient. Les États-Unis avaient des
relations avec les Frères d’Égypte, parce qu’ils estimaient pouvoir traiter
avec eux et même les influencer pour démocratiser le Moyen Orient musulman.
Bien sûr, la fin prématurée de la transition en Égypte en 2013 a tout changé.
Erdogan
a toujours espéré que les États-Unis (et l’Occident dans son ensemble)
comprendraient que la Turquie est dans une position unique pour jouer un rôle
de leader dans la transition vers un nouveau Moyen-Orient. L’affaire Khashoggi
a ravivé ces espoirs. (A noter : les porte-parole du renseignement
américain, qui se sont beaucoup exprimés sur l’affaire Kahshoggi, se sont
soudainement radoucis envers Erdogan).
Or, ce
changement subtil de la part de « l’État profond » des USA en faveur
d’Erdogan n’est pas passé inaperçu à Riyad et Abou Dhabi. Cela les a
probablement incités à se rapprocher de Damas aussi vite que possible.
Reste à
voir comment cette valse va se danser, car il y a beaucoup trop de variables.
Les élections de mi-mandat américaines étant passées, le président Trump
pourrait être contraint de « faire quelque chose » dans l’affaire Khashoggi.
En
attendant, la présence saoudienne et émiratie en Syrie sera un sujet de préoccupation
pour la Turquie dans la politique de « post-vérité » de
« l’après-meurtre » de Khashoggi.
Par M.K Bhadrakumar
Paru sur Indian Punchline sous le titre UAE, Saudi sense convergence with Syria
Traduction
et note d’introduction Entelekheia
M.K.
Bhadrakumar a travaillé au sein du corps diplomatique indien pendant 29 ans. Il
a été ambassadeur de l’Inde en Ouzbékistan (1995-1998) et en Turquie
(1998-2001). Il tient le blog Indian Punchline et contribue régulièrement aux
colonnes d’Asia Times, du Hindu et du Deccan Herald. Il est basé à New Delhi.
Vous avez raison.Des deux côtés une ambiguëté.Comme pour aAfganistan, tentant à piller ce pays riche de ressources.Comme on dit toujours : A qui profite ke crime ? ", et nous avons la clé de la solution.Sachant que la religion n'a rien voir, c'est juste le dollar.
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