La plupart des gens ne
savent pas que la pire organisation terroriste du monde est en cours de
recentrage vers l’Afrique, où elle revendique des attentats dans les régions
Ouest, Centre, et Sud du continent, signe infaillible que cette organisation,
loin d’être vaincue, est en train de muter vers une forme très différente de
celle que l’on a connue. Mais la Russie pourrait être en mesure de déjouer
cette menace avant qu’il ne soit trop tard, si plus de pays font appel à ses
services de « sécurité
démocratique ».
Le retour du « Califat » africain
L’observateur inattentif peut croire que Daech aurait
été vaincue après les victoires proclamées par la Russie et par les USA face à
l’organisation terroriste la pire du monde, mais le fait est que le groupe
terroriste est en train de se recentrer vers l’Afrique ; l’organisation
revendique désormais des attaques dans les régions Ouest, Centre, et Sud du
continent africain. Daech avait commencé par faire son apparition dans la Libye
et la Somalie, ravagées par la guerre, mais l’on signale à présent sa présence
dans le
triangle ouest-africain Mali-Burkina Faso-Niger. On signale également
qu’elle a mené
un attentat dans la région orientale de la République Démocratique du
Congo, déjà touchée par
le virus Ebola et ravagée elle aussi par la guerre (RDC, ou plus simplement
Congo) ; et il apparaît désormais que la même organisation agirait derrière
un attentat récent au nord du Mozambique.
Tous ces éléments démontrent que Daech s’est répandue dans toute l’Afrique sans
que le reste du monde n’y prenne garde. Il est vrai que les alliés locaux
(supposés, ou déclarés) de Daech ont pu être les responsables des derniers
incidents au Congo et au Mozambique, mais même dans ce cas, ils en disent
beaucoup sur la volonté de Daech de s’étendre dans ces pays largement
anarchiques, suffisamment en tous cas pour revendiquer être derrière ces
attentats.
Cynisme et enjeux
Ce développement dérangeant pourrait constituer le
dernier cygne noir catalysant une spirale de chaos dans le fragile espace
interconnecté Ouest-Centre-Sud de l’Afrique, surtout si l’on garde à l’esprit
les potentiels de conflits propres à chacun d’entre eux, et le risque de voir
se propager toute instabilité vers l’ensemble du continent. Au delà des
conséquence humanitaires immédiates que cela aurait immédiatement, un tel
scénario pourrait également déclencher une
nouvelle crise migratoire vers l’Europe, sans parler de l’approfondissement
à prévoir du « printemps
africain« en cours et qui a déjà donné lieu à quelques changements de
régime sans urnes un peu partout en Afrique au cours des dix
dernières années. Pour cynique que cela puisse apparaître, si ce continent ne
présentait pas l’importance économique que l’on connaît au niveau mondial, la
plupart des pays non-africains préféreraient sans doute se borner à y confiner
ces menaces, plutôt que les empêcher de se matérialiser pro-activement.
Quelques unes des matières
premières parmi les plus importantes dans les sociétés de hautes technologies
où nous vivons proviennent précisément du Congo, au beau milieu de cette zone
d’instabilité, et les autres matières premières et marchés africains rendent
l’Afrique indispensable à la montée de la Chine vers son statut de prochaine
superpuissance.
La solution russe
Pour ces raison, et d’autres, une nouvelle « ruée
vers l’Afrique » a commencé ces toutes dernières
années, au cours de laquelle de nombreux pays ont développé un enjeu
stratégique à voir ce continent stable. Cela signifie que le possible
effondrement africain catalysé par Daesh contreviendrait à certaines de leurs
intérêts principaux. C’est pour cette raison que ce scénario serait si
dérangeant mondialement s’il devait jamais se manifester. En l’état, le seul acteur en mesure de mettre fin à l’expansion de
Daech en Afrique est la Russie, résultat de ses réussites surprises
en matière de « sécurité démocratique », récemment
décrits par le même auteur dans son article sur la finalisation de la « traverse
africaine » , par suite d’un nouvel accord militaire
avec la République du Congo (le Congo-Brazzaville, voisin de la République
Démocratique du Congo), qui accorde à Moscou une sphère d’influence
militaro-stratégique traversant le continent d’une côte à l’autre. Les
bombardements épisodiques par les USA et la France d’éléments terroristes ne
suffisent pas : un entraînement sur le terrain et un soutien consultatif sont
nécessaire à consolider ces victoires aériennes ponctuelles : c’est pour cela
que le modèle de « sécurité
démocratique » porté par la Russie constitue une
réussite — il conjugue la présence de mercenaires de manière à la fois peu
onéreuse et donnant lieu à un faible niveau d’engagement, en échange d’accords
d’extractions tout à fait rentables.
La ruée anti-terroriste vers l’Afrique
Mais quoi qu’il en soit, Daech est devenu un mot
émotif à la mode, capable de rallier les opinions du monde entier à accorder
leur soutien à toute mesure suggérée par les gouvernements pour l’éliminer (de
nouveau), et donc, l’on ne peut pas exclure que l’expansion du groupe profitera
géopolitiquement à divers acteurs peu scrupuleux, surtout du fait des matières
premières et des enjeux commerciaux en présence. La Russie joue la course en tête et
travaille à étendre son influence en Afrique de par sa « diplomatie
militaire » — au sens où elle propose à la vente des armes
conventionnelles ainsi que l’avant-garde de son modèle de « sécurité
démocratique » — mais elle va devoir monter en volume au niveau
de ses partenariats aux participants à ses opérations anti-terroristes, si elle
veut sécuriser sa position dans cet environnement compétitif en ouverture.
Daech constitue donc à la fois une menace évidente pour la stabilité de
l’Afrique, mais également, et de manière paradoxale, une « opportunité »
pour la Russie de prendre un rôle irremplaçable en matière d’anti-terrorisme
dans la stabilité du continent ; cela ne sera bien entendu rendu possible que
si la Russie l’emporte sur ses nombreux rivaux en la matière. Mais si aucune
partie ne parvient à garantir cette stabilité, l’Afrique sera sans doute
condamnée à des décennies de conflits, et n’atteindra probablement jamais son
potentiel de développement.
Par Andrew Korybko − Le 8 juin 2019 −
Source le Saker Francophone
Source le Saker Francophone
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou,
spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en
Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
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