En août
1929, deux ans après la publication en langue arabe des Protocoles
des Sages de Sion [1],
des émeutes survinrent à Hébron. C’est dans ce contexte
que Chaim Koffler, membre
viennois du Keren Ha Yesod [2], s’adressa à Freud pour lui demander, comme à
d’autres intellectuels de la diaspora, de soutenir la cause sioniste en
Palestine. Il reçut aussitôt de celui-ci la lettre publiée ici pour la première
fois en allemand et en français. À l’évidence, la missive du
fondateur de la psychanalyse déplut aux membres du Keren Ha Yesod.
La promesse qu’aucun œil humain ne
verrait cette missive, jugée désastreuse pour la cause sioniste, fut respectée
pendant environ soixante ans.
Ainsi, le même jour – 26 février
1930 – Freud envoyait à Albert Einstein une autre lettre qui reprenait point
par point la même argumentation
En conséquence, il acceptait
difficilement l’idée qu’un état juif pût être viable précisément parce qu’un
tel état, en se réclamant d’une sorte « d’être juif », ne pourrait
nullement, à ses yeux, devenir laïc.
En un mot, Freud assimilait le
mouvement sioniste dans son ensemble à une entreprise de rejudaïsation des
Juifs, à une sorte de nouveau messianisme, plutôt qu’à une utopie socialiste ou
à une entreprise politique. Aussi préférait-il sa position de Juif de diaspora,
universaliste et athée, à celle de guide spirituel attaché à une nouvelle terre
promise.
Lettre manuscrite de Freud |
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Vienne, le 26 /2/1930
Monsieur le docteur,
Je ne peux pas faire ce que vous
souhaitez. Ma réticence à intéresser le public à ma personnalité est
insurmontable et les circonstances critiques actuelles ne me semblent pas du
tout y inciter. Qui veut influencer le grand nombre doit avoir quelque chose de
retentissant et d’enthousiaste à lui dire et cela, mon jugement réservé sur le
sionisme ne le permet pas. J’ai assurément les meilleurs sentiments de
sympathie pour des efforts librement consentis, je suis fier de notre
université de Jérusalem et je me réjouis de la prospérité des établissements de
nos colons . Mais, d’un autre côté, je ne crois pas que la Palestine puisse
jamais devenir un État juif ni que le monde chrétien, comme le monde islamique,
puissent un jour être prêts à confier leurs lieux saints à la garde des Juifs.
Il m’aurait semblé plus avisé de fonder une patrie juive sur un sol
historiquement non chargé ; certes, je sais que, pour un dessein aussi
rationnel, jamais on n’aurait pu susciter l’exaltation des masses ni la
coopération des riches. Je concède aussi, avec regret, que le fanatisme peu
réaliste de nos compatriotes porte sa part de responsabilité dans l’éveil de
la méfiance des Arabes. Je ne peux éprouver la moindre sympathie pour une piété
mal interprétée qui fait d’un morceau de mur d’Hérode une relique nationale et,
à cause d’elle, défie les sentiments des habitants du pays.
Jugez vous-même si, avec un point de
vue aussi critique, je suis la personne qu’il faut pour jouer le rôle de
consolateur d’un peuple ébranlé par un espoir injustifié.
Source : Cairn.info le 01/10/2005
NOTES
[2] Le Keren Hayessod ,
appelé aussi « Appel unifié pour Israël », est le fonds national de
construction en Terre d'Israël, et l'organisme central financier du mouvement sioniste
mondial, ainsi que celui de l'Agence juive.
Il est fondé par décret du Comité
exécutif sioniste à Londres en 1920 et se constitue comme « société »
britannique en 1921.
Hannibal GENSÉRIC
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