samedi 22 juin 2019

Lettre inédite de Sigmund Freud à la Fondation pour la réinstallation des Juifs en Palestine


En août 1929, deux ans après la publication en langue arabe des Protocoles des Sages de Sion [1], des émeutes survinrent à Hébron. C’est dans ce contexte que Chaim Koffler, membre viennois du Keren Ha Yesod [2], s’adressa à Freud pour lui demander, comme à d’autres intellectuels de la diaspora, de soutenir la cause sioniste en Palestine. Il reçut aussitôt de celui-ci la lettre publiée ici pour la première fois en allemand et en français. À l’évidence, la missive du fondateur de la psychanalyse déplut aux membres du Keren Ha Yesod.

La promesse qu’aucun œil humain ne verrait cette missive, jugée désastreuse pour la cause sioniste, fut respectée pendant environ soixante ans.
Ainsi, le même jour – 26 février 1930 – Freud envoyait à Albert Einstein une autre lettre qui reprenait point par point la même argumentation
En conséquence, il acceptait difficilement l’idée qu’un état juif pût être viable précisément parce qu’un tel état, en se réclamant d’une sorte « d’être juif », ne pourrait nullement, à ses yeux, devenir laïc.
En un mot, Freud assimilait le mouvement sioniste dans son ensemble à une entreprise de rejudaïsation des Juifs, à une sorte de nouveau messianisme, plutôt qu’à une utopie socialiste ou à une entreprise politique. Aussi préférait-il sa position de Juif de diaspora, universaliste et athée, à celle de guide spirituel attaché à une nouvelle terre promise.
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Lettre manuscrite de Freud
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Vienne, le 26 /2/1930
Monsieur le docteur,
Je ne peux pas faire ce que vous souhaitez. Ma réticence à intéresser le public à ma personnalité est insurmontable et les circonstances critiques actuelles ne me semblent pas du tout y inciter. Qui veut influencer le grand nombre doit avoir quelque chose de retentissant et d’enthousiaste à lui dire et cela, mon jugement réservé sur le sionisme ne le permet pas. J’ai assurément les meilleurs sentiments de sympathie pour des efforts librement consentis, je suis fier de notre université de Jérusalem et je me réjouis de la prospérité des établissements de nos colons . Mais, d’un autre côté, je ne crois pas que la Palestine puisse jamais devenir un État juif ni que le monde chrétien, comme le monde islamique, puissent un jour être prêts à confier leurs lieux saints à la garde des Juifs. Il m’aurait semblé plus avisé de fonder une patrie juive sur un sol historiquement non chargé ; certes, je sais que, pour un dessein aussi rationnel, jamais on n’aurait pu susciter l’exaltation des masses ni la coopération des riches. Je concède aussi, avec regret, que le fanatisme peu réaliste de nos compatriotes  porte sa part de responsabilité dans l’éveil de la méfiance des Arabes. Je ne peux éprouver la moindre sympathie pour une piété mal interprétée qui fait d’un morceau de mur d’Hérode une relique nationale et, à cause d’elle, défie les sentiments des habitants du pays.
Jugez vous-même si, avec un point de vue aussi critique, je suis la personne qu’il faut pour jouer le rôle de consolateur d’un peuple ébranlé par un espoir injustifié.
Source :  Cairn.info le 01/10/2005
NOTES
[2] Le Keren Hayessod , appelé aussi « Appel unifié pour Israël », est le fonds national de construction en Terre d'Israël, et l'organisme central financier du mouvement sioniste mondial, ainsi que celui de l'Agence juive.
Il est fondé par décret du Comité exécutif sioniste à Londres en 1920 et se constitue comme « société » britannique en 1921.
Hannibal GENSÉRIC

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