Les jours se
ressemblent pour l'empire, apportant leur lot de nouvelles mauvaises ou
simplement irritantes. C'est dans cette dernière catégorie que se rangent les
récentes sorties du leader d'un pays dont on parle peu ici : la Malaisie.
Premier ministre de 1981 à 2003 puis, à nouveau, depuis 2018, le sémillant
Mahathir (93 ans !) n'a pas la langue dans sa poche et ne s'est jamais privé de
critiquer l'impérialisme US.
En quelques jours,
il vient de remettre en cause deux dogmes chers à Washington. D'abord en
critiquant assez fortement l'enquête hollandaise sur le MH17 abattu
au-dessus de l'Ukraine : "L'enquête est politisée. Ils
accusent la Russie mais où sont les preuves ? Pourquoi nos experts ont-ils été
empêchés d'écouter les enregistrements de vol ?"
Ce n'est pas la
première fois que Mahathir met en doute la version occidentale mais ce coup de
semonce, devant un panel de journalistes japonais à Tokyo, risque de faire du
bruit. Certes pas dans la presstituée occidentale,
totalement muette pour le coup. Aucune surprise pour le fidèle lecteur, nous
avons déjà expliqué la position de la journaloperie sur le MH17 :
Rarement la basse-cour
médiatique occidentale sera tombée aussi bas. Un barrage d'articles
délirants, d'accusations hystériques, allant toutes dans un sens et un seul. Le
prévenu est condamné avant même l'enquête ! Qu'en
2014, l'Europe soit le théâtre d'un climat digne des pires époques de
l'Inquisition laisse songeur... Mais après tout, quand on voit des
dirigeants occidentaux soutenir un gouvernement composé pour un tiers de
néo-nazis ou que ces mêmes dirigeants, pour ne pas indisposer leur allié
ukrainien, s'opposent à l'ONU à un vote condamnant la glorification du nazisme,
il faut s'attendre à tout :
http://www.politis.fr/ONU-lutte-contre-la-glorification,29095.html
Les journaux européens sont depuis longtemps noyautés par
la CIA, comme l'a montré le scandale Udo Ulfkotte en Allemagne
l'année dernière. L'un des plus grands éditorialistes allemands de l'un des
plus "sérieux" journaux (Frankfurter Allegemeine Zeitung) bossait en
fait depuis des années... pour la CIA ! Et c'est loin d'être un cas isolé en
Europe.
https://www.youtube.com/watch?v=sGqi-k213eE
Mais revenons à notre avion...
Ainsi donc, pour la volaille journalistique noyautée, c'est un coup des
séparatistes pro-russes, donc des Russes ! Et le grand méchant Poutine est
montré d'un doigt accusateur par les journaux dans un déferlement de rage
collective qui fait fortement penser aux deux minutes de la haine contre
Emmanuel Goldstein dans 1984, le fameux roman d'anticipation de George Orwell.
Nous y sommes, avec 30 ans de retard.
Sur quoi se basent nos féroces
procureurs ? Sur... et là, ne rigolez pas, je suis sérieux... sur :
1-
les accusations verbales des États-Unis [les mêmes que pour les bébés-couveuse
de 1990 ou la fiole de Colin Powell à l'ONU ?], Washington se gardant bien
d'apporter le moindre début de preuve alors que leurs satellites tournent
24h/24 au-dessus de l'Ukraine.
2-
la vidéo amateur d'un lanceur de missiles Buk, en réalité filmé dans une ville
tenue par l'armée ukrainienne comme le montre un panneau publicitaire dans le
fond.
3-
un commentaire Facebook effacé depuis [un énorme LOL. Est-il vraiment utile de
préciser que n'importe qui peut pirater un compte sur un réseau social...]
4-
une conversation téléphonique enregistrée entre "deux chefs
séparatistes", dont il a été prouvé depuis qu'elle a été trafiquée, Kiev
l'ayant même retirée de sa liste de "preuves".
Voilà Mesdames et Messieurs,
c'est tout... Et c'est sur ça que se base l'accusation.
Peu importe que le principal
journal malaisien (la Malaisie est quand même concernée au premier chef dans
cette affaire) titre, lui, sur la responsabilité de Kiev : http://www.nst.com.my/node/20925
Peu importe que le plus grand
journaliste d'investigation américain - Robert Parry, celui qui a mis au
jour le scandale des contras - pointe Kiev du doigt :
http://consortiumnews.com/2014/07/20/what-did-us-spy-satellites-see-in-ukraine/
Peu importe que des spécialistes
de la question s'interrogent ouvertement :
http://www.atlantico.fr/decryptage/crash-vol-mh17-trois-scenarios-techniquement-possibles-1670633.html#IxzyYhK9PFE7juOL.99
Peu importe que même les vétérans
du renseignement américain doutent ouvertement des accusations de leur
gouvernement :
https://consortiumnews.com/2014/07/29/obama-should-release-ukraine-evidence/
Peu importe que les services
secrets ukrainiens (les mêmes qui ont annoncé 72 "invasions russes"
de l'Ukraine depuis un an) aient étrangement confisqué les conversations entre
les contrôleurs du ciel et l'équipage du Boeing :
http://www.bbc.com/news/world-us-canada-28360784
Peu importe que les quatre pays
qui enquêtent sur le crash - Hollande, Belgique, Australie et Ukraine (tous
dans le même camp d'ailleurs) - aient curieusement signé un « accord de
non-divulgation » qui interdit à ces pays de divulguer les résultats de l’enquête
concernant le MH17 et leur donne un droit de veto les uns sur les autres.
Peu
importe tout cela... c'est Poutine on vous dit !
Faire la lumière sur ce qui s'est
vraiment passé est le cadet des soucis pour les accusateurs auto-proclamés.
Nous sommes dans le rapport de force géopolitique, dont la guerre de
l'information est une composante de plus en plus importante.
Quelques jours avant, Poutine
était au Brésil où il signait l'accord sur la création de la Banque des BRICS
qui risque de mettre à mal le système dollar permettant
aux États-Unis de vivre au-dessus de leurs moyens et de faire financer leurs
guerres par les autres pays. Pour nombre de pays émergents, il
représentait, et représente toujours d'ailleurs, une forme d'anti-système,
parfois une sorte de Che Guevarra des temps modernes, même dans les cas les
plus improbables (Haïti, communauté noire américaine) :
http://fr.sott.net/article/24115-Apres-Ferguson-les-manifestants-haitiens-demandent-l-aide-de-Poutine
Après la tragédie du MH17, les pays européens, fortement
pressés par Washington, décident de mettre en place des sanctions économiques
contre la Russie. A défaut de preuves (et pour cause !) de
l'implication russe dans le crash du Boeing, l'émotion suscitée par la campagne
de diabolisation médiatique fera l'affaire...
Le vice-président US, Joe
Biden, l'avouera : l'Amérique a forcé la main des pays européens qui
rechignaient à cette escalade suicidaire :
https://www.youtube.com/watch?v=D0zC4cxzszQ
Depuis, Ô divine coïncidence, à
chaque fois qu'arrive l'échéance des sanctions européennes et la question de
savoir si elles doivent être prolongées de six mois, une poussée de violence
éclate en Ukraine. Les forces de Kiev bombardent quelques quartiers de Donetsk,
entraînant évidemment la réaction des pro-russes, le tout pour le plus grand
bonheur de Washington.
L'Europe
a été fortement frappée par le régime des sanctions et contre-sanctions russes
et risque de perdre deux millions d'emplois :
http://internacional.elpais.com/internacional/2015/06/18/actualidad/1434654005_784654.html
Aux dernières
nouvelles, le gouvernement des Pays-Bas s'est contenté de "prendre note" des déclarations
de Mahathir, qui ne s'est pas fait que des amis à Washington. D'autant que le
Premier ministre malaisien vient d'en rajouter une couche, en préconisant d'établir pour le commerce de la région une
monnaie pan-asiatique gagée sur l'or, c'est-à-dire d'abandonner le
dollar. Or, on le sait, le billet vert a été l'alpha et l'oméga de la
domination américaine depuis la Seconde Guerre Mondiale :
Bretton Woods, 1944
Alors que la poussière du
débarquement de Normandie venait à peine de retomber et que la guerre contre
l’Allemagne était loin d’être terminée, les Etats-Unis réunirent une
quarantaine de pays à Bretton Woods pour préparer leur domination future.
Contrairement à la Première guerre, leur intervention dans le second conflit
mondial n’avait rien de débonnaire. C’était décidé, ils allaient s’intéresser
aux affaires du monde. Et pour ce pays pétri d’idéologie messianique, convaincu
d’être "la nation indispensable", s’intéresser au monde équivalait à
le dominer.
Ce 22 juillet 1944, les délégués
signèrent ni plus ni moins la domination universelle du dollar pour les
décennies à venir, organisant le système monétaire international autour du
billet vert. Parmi les nouveautés, un FMI et une Banque mondiale prêtant tous
les deux uniquement en dollars, obligeant ainsi les pays demandeurs à acheter
de la monnaie américaine, donc indirectement à financer les Etats-Unis. Le
dollar était la pierre angulaire de tout le système, intermédiaire unique et
indispensable pour demander un prêt, acheter de l’or et bientôt acheter du
pétrole (pétrodollar en 1973). De Gaulle s’élevait déjà contre cette capacité
inouïe de l’Amérique à "s’endetter gratuitement", donc à faire
financer sa domination sur les autres par les autres. Giscard,
qui n’avait pourtant rien d’un marxiste anti-impérialiste, parlait de
"privilège exorbitant". Nixon répondait : "notre monnaie, votre
problème".
On ne peut certes pas résumer les
causes de la domination états-unienne de l’après-guerre au seul statut de sa
monnaie, mais celui-ci a joué un rôle crucial. C’est ce que Washington est en
train de perdre…
Oufa, 2015
71 ans après Bretton Woods, la
position dominante du dollar commence à battre sérieusement de l’aile. Le
mouvement débuta il y a quelques années quand les puissances émergentes
commencèrent à dé-dollariser leurs échanges, rejoints par un nombre toujours
plus grand de pays. Chine, Russie, Brésil, Inde, Iran, Argentine, Turquie,
Pakistan, Afrique du Sud, Égypte et même maintenant Australie, Canada ou Corée
du Sud… tous ces pays commercent, à des degrés divers, en dehors du système
dollar ou sont en voie de le faire. Mais c’est la crise ukrainienne qui a été
l’accélérateur. Devant ce qu’il voyait comme une volonté hégémonique américaine
de contrôler l’Eurasie, Poutine s’est attaqué aux fondations de la domination US,
participant à la création d’un système financier entièrement nouveau,
parallèle, concurrençant les institutions de Bretton Woods. Chine, Inde ou
Brésil, qui réclamaient en vain depuis déjà plusieurs années une redistribution
des cartes au sein du FMI ou de la Banque mondiale, ont sauté sur l’occasion.
Le monde multipolaire se réunit
cette semaine à Oufa dans le silence assourdissant de nos petits soldats
médiatiques (ça nous gêne, donc on occulte). Un triple sommet monstrueux
OCS-BRICS-Union eurasienne a commencé en Bachkirie, regroupant les plus grandes
puissances de la planète hors bloc occidental. Le président de la "Russie
isolée" va prendre part à un record de 11 rencontres bilatérales en marge
des réunions officielles, tandis qu'une ribambelle d'entreprises signent déjà
des accords.
Parmi les principales décisions
prises ce premier jour:
·
le lancement
officiel de la banque des BRICS au capital de 100 milliards (soit, dès ses
débuts, un tiers déjà du FMI)
·
la création
d'un pool de stabilité financière de 100 milliards lui aussi.
·
le début du processus
d'intégration de l'Inde à l'Organisation de Coopération de Shanghai (pour
le Pakistan, ça sera annoncé dans deux jours).
Quand on sait à
quel point la puissance impériale est corrélée à celle de sa monnaie, quand on
sait à quel point les sanctions contre la Russie sont un moyen désespéré
d'enrayer l'inexorable montée de la multipolarité eurasienne, les déclarations
de Mahathir risquent de provoquer quelques crises d'urticaire du côté de DC la
Folle...
Publié le 4 Juin 2019 par Observatus
geopoliticus
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