Le
malheur arabe s’est mis en marche en Syrie. Et il est prêt à tout faire
pour échapper à ses bourreaux. Tout faire, c’est-à-dire prendre la
fuite. Ce serait une lourde erreur que d’imaginer que les Syriens qui
frappent en rangs serrés à toutes les frontières de l’Europe, ne font
que tenter d’échapper provisoirement aux bombardements et à la guerre.
Et
si l’on arrêtait de se raconter des histoires ? Si les « réacs », Front
national en tête, arrêtaient de faire croire que l’on pourrait stopper
le flot montant des migrations vers l’Europe, à coups de frontières
fermées, de murs de barbelés et de troupes en armes ? Et si les
bien-pensants de la gauche morale arrêtaient de nous faire croire qu’un
tel afflux est en toutes circonstances une « chance pour la France » ?
Si les uns reconnaissaient qu’un tel barrage est impossible, les autres,
qu’un afflux massif coûterait très cher ? Je demeure stupéfait, et même
épouvanté, devant l’incapacité des milieux dirigeants face à une
situation nouvelle de faire autre chose que la répétition de leurs
rengaines et d’anticiper sur la situation qui se profile à l’horizon.
Le fait nouveau, c’est le malheur arabe. Ou plutôt, car ce malheur
date de plusieurs décennies, que ce malheur s’est mis en marche. Être
arabe aujourd’hui, à des degrés divers et sous des formes différentes,
c’est être dominé, manipulé, abêti, méprisé, formaté, embrigadé, écrasé,
et pour finir emprisonné, torturé, massacré par les deux dictatures qui
règnent à tour de rôle dans la même aire géographique, la dictature
militaire et la dictature islamiste. Elles se combattent à mort, mais
elles sont complices pour entretenir le peuple dans un état
d’infantilisme et de minorité perpétuel.
Excuser la dictature militaire parce qu’elle protégerait les
populations du fanatisme religieux, c’est oublier que c’est justement
cette dictature qui alimente les progrès de ce fanatisme. Traiter avec
indulgence l’islamisme radical sous prétexte qu’il serait la « religion
des pauvres », ce serait excuser le national-socialisme sous prétexte
qu’il était, parmi d’autres, le parti des ouvriers allemands. Je ne
sais, de ces deux dictatures, laquelle est la pire ; je ne sais où est
le moindre mal. Ou plutôt si : dans mon for intérieur, je pense que la
pire est la dictature religieuse ; d’abord parce qu’elle est la plus
longue, la plus difficile à éradiquer ; mais surtout parce qu’elle ne se
contente pas des horreurs de la contrainte étatique ; elle exige de ses
victimes un consentement actif, une adhésion de l’âme.
Le malheur arabe, disais-je, s’est mis en marche en Syrie.
Il est prêt à tout faire pour échapper à ses bourreaux. Tout faire,
c’est-à-dire prendre la fuite. Ce serait une lourde erreur que
d’imaginer que les Syriens qui frappent en rangs serrés à toutes les
frontières de l’Europe, ne font que tenter d’échapper provisoirement aux
bombardements et à la guerre. C’est la Syrie elle-même qu’ils fuient de
façon définitive. Voyez ces enfants, ces bébés parfois à qui leurs
mères ont mis leurs meilleurs habits avant d’affronter la mer, la
tempête, la boue des chemins qui mènent à l’exil et à la délivrance. Le
petit Aylan avait des baskets neuves. Écoutez les pères : ils ne parlent
guère de leur retour en Syrie, mais de leur volonté de refaire leur vie
en Europe et de donner une bonne instruction à leurs enfants. Il n’y a
pas de billet de retour sur les rafiots des boat people.
Si cette analyse est exacte, alors il faut considérer l’exode syrien
comme la première étape d’un processus appelé à durer des années et à
concerner toujours plus directement la France qu’il ne l’a fait
jusqu’ici. Que se passera-t-il le jour où Bouteflika, cette momie qui
prolonge en Algérie les incertitudes d’une veillée d’armes, passera de
la mort virtuelle à la mort déclarée ? Il est à craindre que la lutte
entre l’armée et les islamistes radicaux ne reprenne de plus belle, avec
une férocité redoublée. Cette lutte, que le pays a déjà connue une
première fois, faisant quelque 200.000 morts, se déroulerait à quelques
centaines de kilomètres de notre côte méridionale. Nous nous sommes
jusqu’ici assez bien accommodés du chaos libyen parce que les fugitifs
avaient pour première destination l’Italie, qui pourtant n’a cessé de
crier à l’aide dans le désert européen. Demain, c’est la France qui
serait en première ligne.
Encore n’ai-je rien dit de ce qui se passerait en Égypte si les
Etats-Unis et l’Arabie saoudite cessaient brusquement de soutenir à bout
de bras un pays exsangue de plus de 80 millions d’habitants. Je n’ai
pas de solution toute prête. Je voudrais seulement que l’on tire les
conséquences de ce qui se déroule sous nos yeux.
D’abord en cessant de faire de la question des migrations un instrument de politique intérieure
sans rapport avec la situation réelle et encore moins avec des
solutions concrètes. Aux politiques, c’est demander l’impossible, mais
la population française doit répondre par une sagesse indomptable à
l’imprévoyance et à la démission permanente de ses dirigeants.
Et à la jobardise de ses intellectuels. Le communautarisme,
c’est-à-dire la juxtaposition sur un même territoire de populations de
plus en plus diverses par l’histoire, la langue, la culture, la
religion, est lourd des guerres civiles de demain. Or, la politique
poursuivie à l’école depuis des années ne va pas dans le sens d’une
homogénéisation indispensable des diverses composantes de la population.
Oui, plus que jamais, la mission de l’école est d’intégrer. A force
d’insister sur l’identité de chacune de ses composantes, on a fini par
perdre de vue l’identité de la nation elle-même. De grâce, ne nous
racontons pas d’histoires : la seule garantie véritable de la paix entre
les citoyens, c’est l’existence d’une culture commune, voulue par tous et défendue par tous.
Samedi 07 Novembre 2015 à 19:45