mardi 6 avril 2021

Les 10 premières erreurs de Joe Biden en politique étrangère

Biden marche dans les pas d’Obama et de Trump, qui avaient tous deux promis des approches nouvelles en matière de politique étrangère, mais ont pour l’essentiel livré davantage de guerres sans fin.

La présidence Biden n’en est qu’à ses débuts, mais il n’est pas trop tôt pour pointer du doigt les domaines de la politique étrangère dans lesquels nous, progressistes, avons été déçus, voire exaspérés.

On trouve une ou deux évolutions positives, comme le renouvellement du traité New START d’Obama avec la Russie et l’initiative du secrétaire d’État Blinken pour un processus de paix mené par l’ONU en Afghanistan, où les États-Unis optent enfin pour la paix en dernier recours, après 20 ans perdus dans le cimetière des empires.

Dans l’ensemble, cependant, la politique étrangère de Biden semble déjà engluée dans le bourbier militariste des vingt dernières années, bien loin de sa promesse électorale de revitaliser la diplomatie comme principal outil de la politique étrangère américaine.

À cet égard, Biden suit les traces d’Obama et de Trump, qui ont tous deux promis de nouvelles approches en matière de politique étrangère, mais qui, pour l’essentiel, ont livré davantage de guerres sans fin.

À la fin de son second mandat, Obama avait obtenu deux résultats diplomatiques significatifs avec la signature de l’accord sur le programme nucléaire iranien et la normalisation des relations avec Cuba. Les Américains progressistes, qui ont voté pour Biden, avaient donc quelques raisons d’espérer que son expérience en tant que vice-président d’Obama l’amènerait à rétablir et à développer rapidement les acquis d’Obama avec l’Iran et Cuba comme base de la diplomatie plus ambitieuse qu’il avait promise.

Au lieu de cela, l’administration Biden semble fermement retranchée derrière les remparts hostiles que Trump a construits entre l’Amérique et nos voisins, allant de sa nouvelle Guerre froide contre la Chine et la Russie jusqu’aux sanctions brutales contre Cuba, l’Iran, le Venezuela, la Syrie et des dizaines de pays dans le monde, et il n’y a toujours pas de message quant à des réductions d’un budget militaire qui a augmenté de 15% depuis l’exercice fiscal 2015 (ajusté à l’inflation).

Malgré les condamnations sans fin de Trump par les démocrates, la politique étrangère de Biden ne montre jusqu’à présent aucun changement notable par rapport aux politiques des quatre dernières années. Voici dix de ses points faibles :

1. Se révéler incapable de rejoindre rapidement l’accord sur le nucléaire iranien. L’échec de l’administration Biden à rejoindre immédiatement le PAGC, comme Bernie Sanders avait promis de le faire dès son premier jour en tant que président, a transformé une victoire facile qui aurait satisfait à l’engagement de Biden en faveur de la diplomatie en une crise diplomatique totalement évitable.

Le retrait de Trump du PAGC et sa décision d’imposer des sanctions brutales de « pression maximale » à l’Iran ont été largement condamnés par les démocrates et les alliés des États-Unis. Mais aujourd’hui, Biden impose de nouvelles exigences à l’Iran pour apaiser les faucons qui se sont toujours opposés à l’accord, risquant ainsi de ne pas réussir à rétablir le PAGC et de voir la politique de Trump devenir sa propre politique. L’administration Biden devrait réintégrer l’accord immédiatement, sans conditions préalables.

2. Poursuivre la guerre des bombardements américains – même si désormais en secret. En se mettant également dans les pas de Trump, Biden a aggravé les tensions avec l’Iran et l’Irak en attaquant et en tuant les forces irakiennes soutenues par l’Iran qui jouent un rôle essentiel dans la guerre contre l’Etat Islamique en Irak et en Syrie. La frappe aérienne américaine du 25 février de Biden n’a, comme on pouvait s’y attendre, pas réussi à mettre fin aux tirs de roquette contre les bases américaines extrêmement impopulaires en Irak, alors qu’une résolution visant à les fermer a été adoptée il y a plus d’un an par l’Assemblée nationale irakienne.

L’attaque américaine en Syrie a été condamnée comme illégale par de propres membres du parti de Biden, ce qui a relancé les efforts visant à abroger les autorisations de 2001 et 2002 pour l’utilisation de la force militaire que les présidents utilisent à mauvais escient depuis 20 ans. D’autres frappes aériennes menées par l’administration Biden en Afghanistan, en Irak et en Syrie sont entourées de secret, car celle-ci n’a pas repris la publication des synthèses mensuelles sur les opérations aériennes que toutes les autres administrations ont publiées depuis 2004, mais que Trump a abandonnées il y a un an.

3. Refuser de tenir MBS pour responsable du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Les militants des Droits humains ont été reconnaissants envers le président Biden pour avoir publié le rapport des services de renseignement sur le meurtre macabre du chroniqueur du Washington Post, Jamal Khashoggi, rapport qui a confirmé ce que nous savions déjà : le prince héritier saoudien Mohammad Bin Salman (MBS) a approuvé le meurtre. Pourtant, lorsqu’il s’est agi de tenir MBS pour responsable, Biden s’est dégonflé.

À tout le moins, l’administration aurait dû imposer à l’encontre de MBS les mêmes sanctions, y compris le gel des avoirs et l’interdiction de voyager, que celles imposées par les États-Unis aux personnalités de rang inférieur impliquées dans le meurtre. Au lieu de cela, tout comme Trump, Biden apparait asservi à la dictature saoudienne et à son diabolique prince héritier.

4. S’accrocher à la politique absurde de Trump consistant à reconnaître Juan Guaidó comme président du Venezuela. L’administration Biden a raté l’occasion d’établir une nouvelle approche à l’égard du Venezuela lorsqu’elle a décidé de continuer de reconnaître Juan Guaidó comme « président par intérim », d’exclure tout dialogue avec le gouvernement Maduro et de sembler vouloir bloquer l’opposition modérée qui participe aux élections.

L’administration a également déclaré qu’elle n’était « pas pressée » de lever les sanctions de Trump malgré une étude récente du Government Accountability Office détaillant leur impact négatif sur l’économie, et un rapport préliminaire cinglant d’un rapporteur spécial de l’ONU, qui a noté leur « effet dévastateur sur la population entière du Venezuela. » L’absence de dialogue avec tous les acteurs politiques du Venezuela risque de conforter une politique de changement de régime et de guerre économique pour les années à venir, à l’instar de la politique américaine défaillante envers Cuba qui dure depuis 60 ans.

5. Suivre Trump plutôt qu’Obama au sujet de Cuba. L’administration Trump a mis un terme à tous les progrès obtenus par le président Obama en faveur de relations normales, en sanctionnant les industries du tourisme et de l’énergie de Cuba, en bloquant les envois d’aide liée au coronavirus, en restreignant les envois de fonds aux membres des familles, en plaçant Cuba sur une liste des « États soutenant le terrorisme » et en sabotant les missions médicales internationales de Cuba, qui étaient une source importante de revenus pour son système de santé.

Nous nous attendions à ce que Biden commence immédiatement à démanteler les politiques de confrontation de Trump, mais la complaisance envers les exilés cubains en Floride à des fins électorales intérieures prend de toute évidence, pour Biden comme pour Trump, le pas sur une politique humaine et rationnelle vis à vis de Cuba.

Biden devrait plutôt commencer à travailler avec le gouvernement cubain pour permettre le retour des diplomates dans leurs ambassades respectives, lever toutes les restrictions sur les envois de fonds, faciliter les voyages et travailler avec le système de santé cubain dans la lutte contre la COVID-19, entre autres mesures.

6. Relancer la Guerre froide avec la Chine. Biden semble, comme Trump, s’engager avec la Chine dans une Guerre froide vouée à l’échec et la course aux armements, en tenant un discours musclé et en augmentant les tensions qui ont conduit à des crimes de haine racistes contre les personnes originaires d’Asie de l’Est aux États-Unis. Mais ce sont les États-Unis qui encerclent et menacent militairement la Chine, et non l’inverse. Comme l’ancien président Jimmy Carter l’a patiemment expliqué à Trump, alors que les États-Unis sont en guerre depuis 20 ans, la Chine a plutôt investi dans les infrastructures du XXIe siècle et dans sa propre population, sortant 800 millions d’entre eux de la pauvreté.

Le plus grand danger de ce moment de l’histoire, à moins d’une guerre nucléaire totale, est que cette posture militaire agressive des États-Unis justifie non seulement des budgets militaires américains illimités, mais qu’elle forcera progressivement la Chine à convertir son succès économique en puissance militaire et à suivre les États-Unis sur la voie tragique de l’impérialisme militaire.

7. Ne pas lever des sanctions douloureuses et illégales pendant une pandémie. L’un des héritages de l’administration Trump est la pratique dévastatrice de sanctions américaines à l’encontre de pays du monde entier, notamment l’Iran, le Venezuela, Cuba, le Nicaragua, la Corée du Nord et la Syrie. Les rapporteurs spéciaux de l’ONU les ont condamnées, les qualifiant de crimes contre l’humanité et les ont comparées à des sièges médiévaux. La plupart de ces sanctions ayant été imposées par décret, le président Biden pourrait facilement les lever. Avant même de parvenir au pouvoir, son équipe en avait annoncé un examen approfondi, mais, trois mois plus tard, elle n’a toujours pas bougé.

Les sanctions unilatérales qui affectent des populations entières sont une forme illégale de coercition, au même titre que les interventions militaires, les coups d’État et les opérations secrètes, qui n’ont pas leur place dans une politique étrangère légitime fondée sur la diplomatie, l’État de droit et la résolution non violente des conflits. Elles sont particulièrement cruelles et criminelles en temps de pandémie et l’administration Biden devrait prendre des mesures immédiates en levant les sanctions sectorielles générales afin de garantir que chaque pays puisse répondre de manière adéquate à la pandémie.

8. Ne pas en faire assez pour soutenir la paix et l’aide humanitaire au Yémen. Biden a semblé remplir partiellement sa promesse de mettre fin au soutien américain à la guerre au Yémen lorsqu’il a annoncé que les États-Unis cesseraient de vendre des armes « offensives » aux Saoudiens. Mais il n’a pas encore expliqué ce que cela signifie. Quelles ventes d’armes a-t-il annulées ?

Nous pensons qu’il devrait arrêter TOUTES les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, en appliquant la loi Leahy qui interdit toute assistance militaire à des forces qui commettent des violations flagrantes des Droits humains, et la loi sur le contrôle des exportations d’armes (Arms Export Control Act), selon laquelle les armes américaines importées ne peuvent être utilisées que pour la légitime défense. Il ne devrait y avoir aucune exception à ces lois américaines pour l’Arabie saoudite, les EAU, Israël, l’Égypte ou d’autres alliés des États-Unis dans le monde.

Les États-Unis devraient également accepter leur part de responsabilité dans ce que beaucoup ont appelé la plus grande crise humanitaire du monde aujourd’hui, et fournir au Yémen les fonds nécessaires pour nourrir son peuple, restaurer son système de santé et reconstruire son pays dévasté. Une récente conférence des donateurs n’a permis de recueillir que 1,7 milliards de dollars de promesses, soit moins de la moitié des 3,85 milliards de dollars nécessaires.

Biden devrait rétablir et étendre le financement de l’USAID [L’Agence des États-Unis pour le développement international est l’agence du gouvernement des États-Unis chargée du développement économique et de l’assistance humanitaire dans le monde. L’agence travaille sous la supervision du président, du département d’État et du Conseil de sécurité nationale,NdT] et le soutien financier des États-Unis aux opérations de secours de l’ONU, de l’OMS et du Programme alimentaire mondial au Yémen. Il devrait également faire pression sur les Saoudiens afin qu’ils ré-ouvrent les lignes aériennes et les ports maritimes et renforcer le poids diplomatique des États-Unis pour soutenir les efforts de l’envoyé spécial de l’ONU, Martin Griffiths, pour négocier un cessez-le-feu.

9. Ne pas soutenir la diplomatie du président Moon Jae-in avec la Corée du Nord. L’échec de Trump à assurer un allègement des sanctions et des garanties de sécurité explicites à la Corée du Nord a condamné sa diplomatie et est devenu un obstacle au processus diplomatique en cours entre les présidents des deux Corées Kim Jong-un et Moon Jae-in, qui est lui-même un enfant de réfugiés nord-coréens. Jusqu’à présent, Biden poursuit cette politique de sanctions et de menaces draconiennes.

L’administration Biden devrait relancer le processus diplomatique avec des mesures pouvant restaurer la confiance telles que l’ouverture de bureaux de liaison, l’assouplissement des sanctions, la simplification pour réunir les familles coréo-américaines et nord-coréennes, l’autorisation pour les organisations humanitaires américaines de reprendre leur travail lorsque les conditions de la COVID le permettront, et l’arrêt des exercices militaires entre les États-Unis et la Corée du Sud ainsi que des vols de B-2 porteurs de la bombe nucléaire.

Les négociations doivent amener à des engagements concrets de non-agression du côté des États-Unis et à un engagement à négocier un accord de paix pour mettre officiellement fin à la guerre de Corée. Cela ouvrirait la voie à une péninsule coréenne dénucléarisée et à la réconciliation que tant de Coréens souhaitent – et méritent.

10. Ne prendre aucune initiative pour réduire les dépenses militaires américaines. À la fin de la Guerre froide, d’anciens hauts responsables du Pentagone ont déclaré à la commission du budget du Sénat que les dépenses militaires américaines pouvaient, sans aucun risque, être diminuées de moitié au cours des dix années suivantes. Cet objectif n’a jamais été atteint et, au lieu des « dividendes de la paix » de l’après-Guerre froide, le complexe militaro-industriel a exploité les crimes du 11 Septembre 2001 pour justifier une extraordinaire course unilatérale aux armements. Entre 2003 et 2011, les États-Unis ont engagé 45 % des dépenses militaires mondiales, dépassant de loin leur propre pic de dépenses militaires du temps de la Guerre froide.

Aujourd’hui, le complexe militaro-industriel compte sur Biden pour relancer une nouvelle Guerre froide avec la Russie et la Chine, seul prétexte plausible pour justifier de nouveaux budgets militaires record qui préparent le terrain pour une troisième guerre mondiale.

Biden doit mettre un terme aux conflits des États-Unis avec la Chine et la Russie, et s’atteler à la tâche essentielle de transférer l’argent du Pentagone vers les besoins nationaux urgents. Il devrait commencer au moins par la réduction du budget de 10 % que 93 représentants et 23 sénateurs ont déjà votée. À plus long terme, Biden devrait travailler à des réductions plus importantes des dépenses du Pentagone, comme dans le projet de loi de la député Barbara Lee visant à réduire de 350 milliards de dollars par an le budget militaire américain, afin de libérer des ressources dont nous avons cruellement besoin pour investir dans les soins de santé, l’éducation, les énergies propres et des infrastructures modernes.

Une approche progressiste pour aller de l’avant

Ces politiques, communes aux administrations démocrates et républicaines, non seulement infligent douleur et souffrance à des millions de nos voisins dans d’autres pays, mais provoquent aussi délibérément une instabilité qui peut à tout moment dégénérer en guerre, plonger dans le chaos un État qui était fonctionnel ou engendrer une crise secondaire dont les conséquences humaines seront encore pires que la crise initiale.

Toutes ces politiques entraînent des efforts délibérés pour imposer unilatéralement la volonté politique des dirigeants américains à d’autres personnes et pays, par des méthodes qui ne font que causer plus de dommages et de souffrances aux personnes qu’ils proclament – ou prétendent – vouloir aider.

Biden devrait se débarrasser des pires politiques d’Obama et de Trump, et tout au contraire choisir les meilleures d’entre elles. Trump, reconnaissant la nature impopulaire des interventions militaires américaines, a entamé le processus de rapatriement des troupes américaines d’Afghanistan et d’Irak, ce à quoi Biden devrait donner suite.

Les succès diplomatiques d’Obama concernant Cuba, l’Iran et la Russie ont démontré que négocier avec les ennemis des États-Unis pour faire la paix, améliorer les relations et rendre le monde plus sûr, est une alternative parfaitement viable plutôt que d’essayer de les forcer à obéir à la volonté des États-Unis en bombardant, affamant et assiégeant leurs populations. C’est en fait le principe fondamental de la Charte des Nations Unies, et ce devrait être le principe fondamental de la politique étrangère de Biden.

Medea Benjamin, cofondatrice de Global Exchange et de CODEPINK : Women for Peace, est l’auteure du livre « Inside Iran: The Real History and Politics of the Islamic Republic of Iran » ( L’Iran de l’intérieur : véritable histoire et politique de la République islamique d’Iran). Ses précédents ouvrages comptent : « Kingdom of the Unjust: Behind the U.S.-Saudi Connection » (Le Royaume de l’injustice : derrière la connexion USA-Arabie saoudite) (2016) ; « Drone Warfare: Killing by Remote Control » (La guerre par drones : tuer à distance) (2013) ; « Don’t Be Afraid Gringo: A Honduran Woman Speaks from the Heart »(N’aie pas peur gringo : une femme hondurienne parle avec son coeur) (1989), et (avec Jodie Evans) « Stop the Next War Now (Inner Ocean Action Guide) » ( Arrêtons la prochaine guerre dès maintenant ) (2005). On peut la suivre sur Twitter : @medeabenjamin

Nicolas J. S. Davies est l’auteur de « Blood On Our Hands: the American Invasion and Destruction of Iraq » (Du sang sur nos mains : l’invasion américaine et la destruction de l’Irak) (2010). Il a également écrit les chapitres concernant « Obama at War » (Obama en guerre) dans « Grading the 44th President: a Report Card on Barack Obama’s First Term as a Progressive Leader » ( Evaluation du 44e président : un bilan du premier mandat de Barack Obama en tant que leader progressiste ) (2012).

Source : Common Dreams, Medea Benjamin, Nicolas J. S. Davies, 12-03-2021

Via Les Crises

 

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