Les pirates ne
ressemblent pas forcément à Johnny Depp dans Pirates des Caraïbes. Ils peuvent
naviguer sous pavillon britannique plutôt qu’avec le crâne et les os
entrecroisés. Ils peuvent s’appeler Banque d’Angleterre plutôt que Jolly Roger.
Pour toutes sortes de
pays, la « Vieille dame de la rue Threadneedle » * est un havre où
amarrer leur richesse nationale dans un monde orageux. Même si ce n’est pas
nécessairement de leur propre volonté.
Après la chute du
régime communiste en Albanie, j’avais brièvement occupé le poste de coprésident
de la Britain-Albania Society (Société albano-britannique) avec le député
conservateur Steve Norris. Lui et moi avions dû déplacer des montagnes
pour persuader le gouvernement britannique (qui contrôlait alors entièrement la
Banque d’Angleterre) de rendre aux Albanais leur or, qui
avait été saisi par les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le brigandage de cette
semaine — passé inaperçu auprès des commentateurs médiatiques que j’ai lus — a
eu lieu à une époque où la Banque d’Angleterre est officiellement indépendante
du gouvernement. Et pourtant, il a été déclenché par un appel téléphonique
d’un représentant d’un gouvernement étranger.
La décision de la
banque de saisir — un mot poli pour voler — plus d’un milliard de
dollars d’or vénézuélien aurait été ordonnée par le gouverneur de la banque
après un appel du conseiller américain à la sécurité nationale John Bolton
et du secrétaire d’État, Mike Pompeo — pas même du président Trump
lui-même.
Si c’est bien cela,
alors cette décision de saborder — irrémédiablement, je l’espère — la sécurité
des dépôts à la Banque d’Angleterre a été prise par un citoyen canadien non élu
et sans comptes à rendre (il n’a obtenu sa citoyenneté britannique qu’en
novembre dernier). Il est là aujourd’hui, mais demain, il sera parti de son
poste de gouverneur de la Banque d’Angleterre. La politique étrangère de l’État
britannique — dont c’est la banque — a été donc été au moins prise de vitesse,
et peut-être même usurpée par Bolton, un fonctionnaire mineur d’un pays
étranger.
Était-ce ce que les
partisans conservateurs du Brexit avaient à l’esprit lorsqu’ils ont fait campagne
pour que la Grande-Bretagne « reprenne son contrôle » ?
Bien sûr, le gouverneur
actuel de la Banque d’Angleterre, le canadien Mark Carney, savait que
Bolton enfonçait une porte de coffre-fort bancaire grande ouverte et que la
Grande-Bretagne n’est pas plus indépendante des États-Unis que la Banque
d’Angleterre n’est indépendante du gouvernement britannique.
De plus, aucun
crocodile des Caraïbes ne pourrait verser de larmes plus hypocrites que celles
actuellement versées par les politiciens britanniques pour le « pauvre
peuple qui souffre » du Venezuela. Après tout, quel genre de monstre pourrait
saisir un milliard de dollars à « des pauvres gens qui souffrent »
?
En 72 heures environ,
la semaine dernière, le président vénézuélien Nicolas Maduro, dont
presque personne en Grande-Bretagne n’avait entendu parler jusque-là, s’est
transformé en nouvel « Hitler sur le Nil ». ** Cette
appellation avait été donnée, pour la première fois dans la Grande-Bretagne
d’après-guerre, au président Nasser d’Égypte lorsqu’il avait nationalisé
le canal de Suez. Malheureusement pour l’imperium, le canal se situait en
Égypte, le pays dont il était le président.
Après tout, pour
paraphraser Donald Rumsfeld, ce n’est pas la faute de la
Grande-Bretagne si Dieu a mis les canaux britanniques dans les pays des autres.
Et il y a eu beaucoup
d’autres Hitler depuis : Yasser Arafat, Mouammar Kadhafi, Bachar el-Assad,
Slobodan Milosevic, Vladimir Poutine, etc.
La transformation a été
sidérante à suivre, même pour moi, qui suis actif en politique depuis 50 ans.
Toutes les ONG, les « journalistes
indépendants » et les experts manucurés ont envahi les médias, avec
leurs récits soigneusement préparés sur la perfidie de la révolution Chavez
au Venezuela sous le bras. Ils ont cependant tous souffert de deux handicaps :
aucun d’entre eux ne pouvait même prononcer le nom de l’homme de la rue de
Caracas dont ils reconnaissaient la présidence autoproclamée. Et aucun d’entre
eux ne semblait savoir que les États-Unis avaient imposé un siège médiéval
de sanctions, de sabotage et de subversion au Venezuela. Du moins,
aucun d’entre eux n’en a parlé.
Aucun d’entre eux,
comme dans toutes les autres opérations étrangères de changement de régime
qu’ils ont soutenues, n’avait la moindre idée de ce qui se passerait au
Venezuela s’ils réussissaient, notamment comment les millions de partisans
armés de Chavez le prendraient si leur gouvernement était renversé par des
étrangers. Il est difficile de déterminer si ces journalistes et politiciens qui
réclament une guerre civile sur les plus grands gisements de pétrole du monde
sont des fous criminels, juste des criminels, ou s’ils peuvent plaider les
circonstances atténuantes au motif qu’ils ne savent pas à quoi ces choses ont
abouti en Afghanistan, en Irak, au Yémen, en Syrie, en Ukraine, etc.
La diabolisation du
Venezuela, même dans les pays occidentaux qui ont un gouvernement à peine
fonctionnel, a été un raz-de-marée. Les ressources pitoyables que le Venezuela
a investies dans la solidarité avec la Grande-Bretagne — ou s’il a investi,
personne ne peut expliquer où – ont été résumées par le refus total de la
Campagne de solidarité avec le Venezuela d’envoyer quelqu’un à mon émission sur Sputnik la semaine dernière, me
renvoyant à la Campagne de solidarité avec Cuba, juste à côté.
Cette dernière a
suggéré l’Anglais qui édite avec talent un journal britannique, le Morning
Star. Rarement un aussi grand et important pays pétrolier – et vulnérable à
l’invasion occidentale, comme on pouvait s’y attendre – ne s’était encore moins
fatigué à se faire des amis.
Les événements sur le
terrain au Venezuela décideront cependant de ce qui se passera. À mon avis, il
y aura beaucoup pleurs et de grincements de dents avant que ce soit fini. Et
comme dans tous les autres cas auxquels j’ai fait référence, le résultat sera l’opposé de ce que
les mercenaires de l’imperium imaginent maintenant.
Par George Galloway
George Galloway a été
membre du Parlement britannique pendant presque trente ans. Il présente des
émissions de radio et de télévision (y compris sur RT). C’est un célèbre
réalisateur, écrivain et tribun.
Paru sur RT sous le titre Mystery of the Venezuelan
gold: Bank of England is independent of UK govt – but not of foreign govt
Traduction Entelekheia
Notes de la traduction
:
* La « Vieille
dame de la rue Threadneedle », littéralement « la vieille dame de la
rue du fil d’aiguille à tricoter » est le surnom de la Bank of England
(Banque d’Angleterre), qui se situe dans le périmètre de la City de Londres.
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