Note du Saker Francphone :
Cet
article connaît une forte diffusion et un vif intérêt dans le monde de la
réinformation anglosaxonne sans parler du monde russophone. C'est semble-t-il
un texte majeur, attendu qui fera date. Nos chères zélites ont donc du soucis à
se faire. Les différentes formes de dissidences qui commencent à devenir
visibles, n'en sont qu'à leurs débuts.
Note de Dmitry Orlov :
Nous
interrompons notre programmation régulière pour vous apporter cette traduction
d'un article très important qui décrit la nature de la gouvernance russe
moderne. Il est rédigé par l'un des proches conseillers de Vladimir Poutine,
qui est un expert politique d'une stature considérable. La presse occidentale -
ainsi que la presse libérale russe outrageusement pro-occidentale - l'a
largement diabolisé, bien que d'une manière inoffensive, mais sans en citer la
source, que je n'ai traduite qu'hier. L'auteur a définitivement touché un nerf
en démolissant le système démocratique occidental "des dessous de tables
et des fripouilles" avec son illusion d'avoir le choix et son État Profond
toujours vigilant.
« Ce n’est seulement qu’en
apparence que nous avons le choix. » Apophtegme frappant par
sa profondeur et son audace. Exprimé il y a une décennie et demi, il est
aujourd’hui tombé dans l’oubli sans être plus jamais cité. Mais selon les lois
de la psychologie, l’oubli affecte bien davantage que le souvenir. Et cette
expression, s’étant propagée bien au-delà du contexte qui la vit naître, est
devenue par conséquent le premier axiome du nouvel État Russe, au fondement de
toutes les théories et les pratiques de la politique réelle.
Note de l'éditeur de Russia Insider :
Vladislav
Surkov a été surnommé « l'idéologue du Kremlin », et en
partie à cause de sa formidable puissance de frappe intellectuelle – comme le
montre cet article - il est écouté en Russie, quel que soit le poste qu'il
occupe actuellement.
Ancien
vice-premier ministre et chef de cabinet adjoint de Poutine, Surkov
excelle dans le domaine des relations publiques, de la propagande, de la
propagande électorale - qu'il dénonce dans cet article, lui plus que tout autre
sait la fraude qu'est devenue la démocratie moderne. Cet article a été publié
lundi en russe à Moscou et immédiatement, de manière prévisible, les médias russophobes ont
braillé. « La Russie joue avec les esprits occidentaux, déclare le
conseiller de Poutine », ironise
The Independant. Surkov est une sorte d’obsession pour la petite
opposition libérale, son compagnon de voyage l’Université et les experts, qui
haïssent la Russie. On a beaucoup écrit sur lui, des films ont été tournés sur
lui, etc. Voici un bon exemple récent par Whitney
Malam sur Medium. Il est toujours décrit comme une sorte de Prince Noir
du mensonge, ce qui est leur façon de dire qu'il est plus intelligent
qu'eux.
Surkov
n'est plus sous les feux de la rampe, mais il lance parfois ses foudres
rhétoriques. Ce qu'il dit est toujours intéressant et parfois profond,
et nous pensons que cet essai est bien le dernier. Il fait valoir que le système qui a évolué en
Russie au cours des 18 dernières années est extrêmement durable et pourrait
fort bien durer des siècles. Il est plus honnête et beaucoup plus
crédible que le spectacle de clowns en Occident.
Eh
bien, jugez par vous-même. La traduction est brillante, car elle a été réalisée
par notre contributeur régulier Dmitry
Orlov, que vous devriez lire si ce n'est déjà fait. On ne voit pas souvent
de traduction de ce calibre, car les personnes capables de le faire n'ont pas
tendance à être des traducteurs.
Charles Bausman, rédacteur en
chef, RI
L’illusion du choix est la plus
prégnante des illusions, c’est la cerise sur le gâteau du mode de vie
occidental en général, et de la démocratie occidentale en particulier,
longtemps déjà plus sensible au cirque de P.T. Barnum,
qu’à la lutte unificatrice contre la tyrannie de Clisthène. Le
rejet de cette illusion, en faveur du réalisme de la prédestination, a conduit
notre société [russe] dans un premier temps à réfléchir sur sa propre version
souveraine et originale du développement démocratique, puis à une perte totale
d’intérêt pour les discussions au sujet de ce que la démocratie devrait être,
et sur la nécessité de son existence par principe.
Vladislav Surkov – RIA Novosti photo |
Le peuple profond a toujours
l’esprit alerte, inaccessible qu’il est aux sondages sociaux, à l’agitation,
aux menaces et aux autres moyens d’étude directe et d’influence.
Les voies de la construction d’un
État libre, en suivant, non pas les règles de chimères importées, mais la
logique des processus historiques, et ce même «art du possible» ont été
ouvertes. La désintégration impossible, contre nature et anti-historique de la
Russie, a été fermement enrayée, certes tardivement. Tombant du niveau de
l’URSS à celui de la Fédération de Russie, la Russie a cessé de s’effondrer,
elle a initié son rétablissement et le retour à son état naturel, et seul possible,
à sa condition de grande terre, qui croît et qui réunit une communauté de
peuples. Ce rôle significatif, qui a été imparti à notre pays par l’histoire du
monde, ne lui permet pas de quitter la scène ni de se taire dans la foule ; ce
rôle, qui n’est pas de tout repos, pré-détermine le caractère complexe de notre
gouvernance étatique.
Et ainsi l’État russe poursuit son
existence, maintenant comme un nouveau type d’État qui n’a jamais existé ici
auparavant. Il a pris forme principalement au milieu des années 2000 et,
jusqu’à présent, il a été peu étudié, mais son caractère unique et sa viabilité
sont maintenant apparents. Les tests de résistance qu’il a passés et passe
actuellement ont montré que ce modèle de fonctionnement politique spécifique,
conçu de manière organique, fournit un moyen efficace de survie et d’ascension
de la nation russe non seulement pour les années à venir, mais aussi pour les
prochaines décennies et très probablement pour tout le prochain siècle.
Ainsi, l’histoire de la Russie a
connu quatre grands modèles de gouvernance pouvant être nommés d’après leurs
créateurs : L’État d’Ivan III, dit le Grand, (Grand-Duché/Royaume
de Moscou et de toutes les Russies, XV-XVIIe siècle) ; l’État de
Pierre le Grand (Empire russe, XVIII-XIXe siècle) ; l’État
de Lénine (URSS, XXe siècle) ; et l’État de Poutine (Fédération
de Russie, XXIe siècle). Créés par des personnages qui, pour
reprendre les termes de Lev Gumilev, possédaient une « volonté
longue », ces grandes machines politiques se sont réparées, adaptées aux
circonstances, permettant l’ascension sans relâche du monde russe.
La grande machine politique de Poutine
ne fait que monter en régime et se préparer à un travail long, difficile
et intéressant. Son engagement à pleine puissance est encore loin devant et la Russie restera pour de nombreuses années l’État de
Poutine, de même que la France contemporaine se nomme toujours la
cinquième République de De Gaulle, la Turquie – bien que dirigée par des
anti-kémalistes – repose toujours sur l’idéologie des « Six flèches »
d’Atatürk, et les États-Unis font toujours appel aux images et aux valeurs
de leurs « Pères fondateurs » presque légendaires.
Ce qu’il faut, c’est une
compréhension et une description du système de gouvernance de Poutine et de
l’ensemble des idées et des dimensions du poutinisme en tant qu’idéologie de
l’avenir, en particulier de l’avenir, car l’actuel Poutine peut difficilement
être considéré comme poutiniste, juste comme Karl Marx n’était pas
un marxiste et nous ne pouvons pas être sûr qu’il l’aurait accepté s’il avait
découvert ce que c’était. Mais nous avons besoin de cette explication pour le
bien de tous ceux qui ne sont pas Poutine mais qui voudraient être comme
lui – et avoir la possibilité d’appliquer ses méthodes et approches dans
les temps à venir.
Cette description ne doit pas
prendre la forme de propagandes face-à-face – la nôtre contre la
leur – mais celle d’un langage perçu comme modérément hérétique par
les personnes officielles en charge, russes et anti-russes. Un tel
langage peut être rendu acceptable à un public suffisamment large, ce qui
est exactement ce dont nous avons besoin, car le système politique mis en place en Russie est apte à
répondre non seulement aux besoins nationaux futurs, mais a aussi un
potentiel d’exportation considérable. La demande pour ce modèle et
pour certains composants spécifiques existe déjà, son expérience est à l’étude
et partiellement adoptée, et elle est imitée par les groupes au pouvoir et
par l’opposition dans de nombreux pays.
Les politiciens étrangers dénoncent
l’ingérence de la Russie dans les élections et les référendums à travers la
planète. Mais en réalité, la situation est encore plus grave : la Russie interfère avec
leur psychisme et ils ne savent pas quoi faire de leurs propres
consciences altérée. Après les désastreuses années 1990, une fois que la
Russie s’est détournée de toutes les idéologies empruntées, elle a commencé à
produire du sens, en portant une contre-offensive de l’information à l’Ouest.
Depuis lors, les experts européens et américains errent de plus en plus
fréquemment dans leurs prédictions. Ils sont surpris et irrités par les
préférences paranormales des électeurs. Confus, ils ont tiré la sonnette
d’alarme au sujet d’une flambée de populisme. Ils peuvent appeler ça comme
ça, s’ils sont à court de mots.
Pendant ce temps, l’intérêt des
étrangers pour la méthode politique russe est facile à comprendre : il
n’y a pas de prophètes chez eux mais tout ce qui leur arrive
aujourd’hui a été prophétisé par la Russie il y a longtemps.
Alors que tout le monde était encore
féru de mondialisation, tambourinant les hymnes d’un monde plat sans
frontières, Moscou a
clairement rappelé que la souveraineté et les intérêts nationaux comptaient.
À cette époque, beaucoup de gens nous incriminaient à cause d’un attachement «naïf»
à ces vieilles choses, supposément caduques et passées de mode. La leçon nous
fut faite qu’il n’y avait rien à retenir des valeurs du XIXème siècle, et que
nous devions hardiment entrer dans l’ère du XXIème siècle, où il n’y aurait
plus de nations souveraines ni d’États nationaux. Cependant, le XXIe
siècle est en train de dévier comme nous l’avions annoncé. Le Brexit
anglais, le #GreatAgain américain, la forteresse européenne anti-immigrés, ne
sont que les premiers jalons d’une longue liste de manifestations
omniprésentes de démondialisation, de renaissance souveraine et de nationalisme.
Quand, à chaque coin de rue,
quelqu’un vantait Internet comme un espace inviolable de liberté
illimitée, auquel tout le monde avait le droit d’accéder et où tous
étaient égaux, c’était spécifiquement de la Russie qu’est venue
la question simple qui faisait réfléchir une humanité grisée par
Internet : « Qui
sommes-nous sur la toile du Web, les araignées ou les mouches ? ». Et maintenant, tout le monde,
y compris la bureaucratie qui aime le plus la liberté, essaie de démêler le Web
en incriminant Facebook de connivence avec les
interventions étrangères. La cyber-police et les cyber-criminels, les cyber-armées
et les cyber-espions, les cyber-terroristes et les cyber-moralistes ont saisi
et verrouillé cet espace virtuel autrefois libre, présenté comme un prototype
du paradis sur terre.
Alors que personne ne contestait
plus le pouvoir de l’« hégémon », le
grand rêve américain de domination mondiale fut sur le point de se réaliser et
de nombreuses personnes ont halluciné la fin de l’histoire avec comme
point final que “les peuples étaient silencieux”. En 2007, dans
ce silence a surgi le discours de Munich de Poutine. Il parut
d’abord émaner de la dissidence, mais aujourd’hui, tout semble aller de
soi : personne
n’est heureux avec l’Amérique, y compris les Américains eux-mêmes.
Le terme politique turc précédemment
peu connu, « derin
devlet », a été popularisé par les médias américains. Traduit en
anglais par État profond, il a ensuite été repris par les médias russes
sous le terme d’«État abyssal». Le terme désigne une organisation en réseau, rigide,
absolument non démocratique, de véritables structures autoritaires cachées
derrière l’exposition d’institutions démocratiques. Ce mécanisme, qui
exerce en pratique son autorité par des actes de violence, de corruption et de
manipulation, reste caché au plus profond d’une société civile tout en
condamnant hypocritement et inexorablement, la manipulation, la corruption et
la violence. [1]
Face à la découverte désagréable, au
milieu d’eux, d’un État profond, les Américains ne furent pas particulièrement
surpris, car ils soupçonnaient depuis longtemps son existence. S’il existe
un réseau profond [Deep Web,
ndT] et un réseau sombre [Dark
Web, NdT], alors pourquoi pas un État profond ou même un État sombre ?
Des profondeurs et des ténèbres de ce pouvoir, non exposé et non
annoncé, s’échappent les mirages brillants d’une démocratie spécialement
conçue pour la consommation de masse, caractérisée par l’illusion du choix, le
sentiment de liberté, le délire de supériorité, etc. [2]
La méfiance et l’envie, que la
démocratie utilise comme sources prioritaires d’énergie sociale, conduisent
inévitablement à une intensification de la critique et à un niveau d’anxiété
accru. Les haineux, les trolls, et les robots maléfiques qui les ont rejoints
ont formé une majorité stridente, frappant d’ostracisme la vénérable classe
moyenne, hors de sa position dominante.
Personne ne croit plus aux bonnes intentions des
politiciens en façade. Ils sont enviés et sont donc considérés comme corrompus,
astucieux, ou simplement scélérats. Des séries télévisées politiques
et populaires, telles que « The Boss » et « House
of Cards », brossent pertinemment le portrait naturel du quotidien
trouble de cet establishment.
“Un crapule ne doit pas être
autorisée à aller trop loin pour la simple raison qu’elle est une crapule”.
Mais quand vous supposez qu’autour de vous il n’y a que des
scélérats, vous êtes obligés d’utiliser des scélérats pour contenir
d’autres scélérats. Un coin chasse l’autre, canaille est abattue par une autre
canaille … Il y a un large choix de canailles et de règles obscures conçues
pour que leurs batailles mènent à une sorte de match nul. C’est ainsi
que se crée un système de freins et contrepoids avantageux : un équilibre
dynamique de la bassesse, une balance de la cupidité et une harmonie de
l’escroquerie. Mais si quelqu’un oublie qu’il s’agit simplement d’un jeu et
commence à se comporter de manière dissonante, l’État profond toujours vigilant
se précipite à la rescousse et une main invisible entraîne l’apostat dans les
profondeurs glauques.
Il n’y a rien de particulièrement
effrayant dans cette image proposée de la démocratie occidentale. Tout ce que vous avez à faire est
de changer un peu votre point de vue, alors cela ne semble plus effrayant.
Mais cela laisse un sentiment amer et un citoyen occidental commence
à regarder ailleurs à la recherche d’autres modèles et d’autres manières
d’être. Et … il regarde vers la Russie.
Notre système, comme en général tout ce qui nous
appartient, n’est pas plus gracieux, mais il est en revanche plus honnête.
Et bien que l’expression « plus honnête » ne soit pas synonyme de « meilleure »
pour tout le monde, l’honnêteté a ses charmes.
Notre État n’est pas
divisé en un état profond et un état visible, il est construit dans son ensemble, avec toutes
ses parties et ses manifestations tournées vers la visibilité.
Les ornements les plus brutaux de son cadre autoritaire sont
affichés sur la façade et non dissimulés par des embellissements
architecturaux. La bureaucratie, même quand elle essaie de faire quelque chose
en cachette, n’essaye pas trop de couvrir ses traces, comme si elle supposait
que « tout le monde comprend tout, de toute façon ».
La grande tension interne provoquée
par la nécessité de contrôler d’immenses superficies géographiques hétérogènes
et la présence constante, au plus profond, de la lutte géopolitique, fait des
fonctions militaires et de police du gouvernement les plus importantes et les
plus décisives. Conformément à la tradition, elles ne sont pas cachées mais, au
contraire, exposées. Les
hommes d’affaires, qui considèrent que les activités militaires ont un statut
inférieur à celui des activités commerciales, n’ont jamais dirigé la Russie –
presque jamais, les exceptions ont été quelques mois en 1917 et quelques temps
dans les années 1990. Ni les libéraux d’ailleurs – compagnons de
route des hommes d’affaires – dont les enseignements sont basés sur la
négation de tout ce qui ressemble, tant soit peu, à une police.
Ainsi, aucun responsable n’était en mesure de dissimuler la
vérité par des illusions, d’escamoter discrètement l’arrière-plan, et
d’obscurcir autant que possible la principale prérogative de tout
gouvernement : être une arme de défense et d’attaque.
Il
n’existe pas d’État profond en Russie – tout est exposé – mais il existe
un peuple profond.
Sur sa surface brillante, scintille
l’élite qui, siècle après siècle – rendons-lui ce qui est dû – a
impliqué le peuple dans ses diverses entreprises : conférences de partis,
guerres, élections, expériences économiques. Le peuple profond participe
à ces entreprises, mais reste quelque peu distant et n’apparaît pas à la
lumière, il suit sa propre vie, une vie complètement différente dans sa propre
profondeur. La nation mène deux vies, une à la surface et une dans les
profondeurs, qui vont parfois dans des directions opposées, parfois dans la
même direction, mais ne se confondent jamais.
Le peuple profond est toujours aussi discret que possible, inaccessible aux
enquêtes sociologiques, à l’agitation, aux menaces ou à toute autre forme d’influence
directe. La
compréhension de ce qu’il est, de ce qu’il pense, et de ce qu’il veut, arrive
souvent soudainement et bien tard, et pas à ceux qui peuvent y faire quelque
chose [pensons au gilets jaunes, NdT].
Rare est le sociologue qui
s’aventurerait à définir si le peuple profond est équivalent à sa population ou
en fait partie, et s’il en fait parti, à laquelle ? À différents moments,
on a supposé que c’était le prolétariat, les paysans, les non-membres du
parti, les hipsters, les
employés du gouvernement. On allait à sa recherche. On l’appelait théophore. Parfois,
on décidait qu’il était fictif, et qu’en réalité il n’existait pas, pour
initier le cours galopant de quelque réforme, sans plus tourner les yeux vers
lui, mais pour se heurter rapidement le front, et enfin conclure qu’«il y avait
quand même là encore quelque chose». A plusieurs reprises il fit retraite sous
la pression de ses propres envahisseurs ou d’autres, mais il revenait toujours.
Avec sa gigantesque super-masse, le
peuple profond crée une force insurmontable de gravitation culturelle qui unit
la nation, entraîne et enracine l’élite à sa terre natale lorsqu’elle
tente périodiquement de la subvertir par les vapeurs cosmopolites.
La nation, quelle que soit sa signification,
est un précurseur de l’État. Elle prédétermine sa forme, limite les fantasmes
des théoriciens et oblige les praticiens à accomplir certains actes. C’est un
aimant puissant, et toutes les trajectoires politiques sans exception y
retournent. En Russie, vous pouvez partir de n’importe quelle
position – conservatisme, socialisme, libéralisme – mais vous finirez
toujours par avoir à peu près la même chose. C’est-dire si la chose existe
réellement.
La capacité d’entendre et de comprendre la nation, de
la voir dans toute sa profondeur et d’agir en conséquence, est la vertu
unique et la plus importante de l’État de Poutine. Il est en adéquation avec le
peuple, ce qui signifie qu’il n’est pas à la merci des fardeaux destructeurs
des contre-courants de l’Histoire. Cela le rend efficace et durable.
Dans ce nouveau système, toutes les
institutions sont subordonnées à la tâche principale : la communication
basée sur la confiance et l’interaction entre le chef de l’État et les
citoyens. Les différentes branches du gouvernement émanent de la personne du
chef et sont considérées comme utiles non pas en tant que telles mais
uniquement dans la mesure où elles permettent de créer un lien avec lui. En
outre, des moyens informels de communication sont aussi à l’œuvre, en dehors
des structures formelles et des groupes d’élite. Lorsque la bêtise, le
l’arriération ou la corruption créent des interférences dans les lignes de
communication avec le peuple, des mesures énergiques sont prises pour restaurer
la liaison.
Les institutions politiques
multicouches que la Russie a adoptées de l’Occident sont parfois perçues comme
partiellement rituelles et établies pour vouloir faire « comme tout le
monde », de sorte que les particularités de notre culture politique
n’attirent pas trop l’attention de nos voisins, ne les irrite et ne les effraie
pas. Elles sont comme un costume du dimanche, mis lors des visites à
l’étranger, mais chez nous, quand nous sommes à la maison, chacun sait à quoi
s’en tenir.
En substance, la société ne fait confiance qu’au chef
de l’État. Il est
difficile de dire si cela a à voir avec la fierté d’un peuple jamais conquis,
ou avec le désir d’accéder directement à la vérité, mais c’est un fait et ce
n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que l’État ne l’ignore pas, mais
en tient compte et l’utilise comme point de départ de ses actions.
Ce serait une simplification
excessive de réduire ce thème à la tristement célèbre « foi dans le
bon tsar ». Le peuple profond n’est pas le moins du monde naïf et ne
considère absolument pas la bonté d’âme du tsar comme une vertu. Plus près de
la vérité, elle pense d’un bon leader est ce que
Einstein pensait de Dieu : “sophistiqué, mais sans mauvaises
intentions”.
Le modèle contemporain de l’État russe commence par la confiance et repose
sur la confiance. C’est sa principale distinction par rapport au modèle
occidental, qui cultive la méfiance et la critique. Et c’est là, la source de son
pouvoir.
Notre nouvel État aura une longue et
glorieuse histoire en ce nouveau siècle. Il ne se brisera pas. Il agira seul,
en gagnant et en conservant des positions gagnantes dans la plus haute ligue de
lutte géopolitique. Tôt ou tard, tout le monde sera obligé de l’accepter, y
compris tous ceux qui exigent actuellement que la Russie « change de
comportement ». Car ce n’est seulement qu’en apparence qu’ils ont le
choix.
Par Vladislav Surkov – Le
13 février 2019 – Source Russia
Insider via Club
Orlov
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Hannibal GENSERIC
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