La dernière Grande Idée de Trump,
qui est opérationnalisée par son gendre Kushner [1],
c’est le transfert de capacités nucléaires vers les amis de l’Arabie Saoudite.
Un certain nombre d’articles à ce propos ont été publiés, notamment sur CounterPunch le 20
février 2019. Cette question du “nucléaire saoudien” ainsi posée de façon
très “opérationnelle” si l’on a l’esprit le rôle important de négociateur
secret pour Trump que Kushner tient en général, devient pour de nombreux
commentateurs la question de “l’Arabie armée de nucléaire
éventuellement pour frapper l’Iran”.
Dans son texte de CounterPunch, Charles Pierson rappelle que MbS (Mohammed ben Salman) déclarait le 18 mars 2018 dans une interview sur CBS, dans l’émission 60 Minutes :
« L’Arabie Saoudite ne veut
pas acquérir de bombe nucléaire, mais sans aucun doute si l’Iran développait
une bombe nucléaire, nous suivrions la même voie aussi vite que possible. »
RT-com a
rencontré notamment Lew Rockwell, l’une des personnalités les
plus influentes du mouvement libertarien aux USA, dont le jugement rend compte
de courants d’importance dans les milieux dissidents très structurés que
constituent les libertariens :
« “C'est très alarmant.
C’est une chose terrible de diffuser ce type de technologie dans un État
totalitaire comme l’Arabie saoudite”, a déclaré à RT, le consultant politique
Lew Rockwell. “C’est une démarche extrêmement imprudente...” “Ils
veulent produire du plutonium pour pouvoir produire des armes nucléaires. Ils
veulent que l'Arabie saoudite possède des armes nucléaires pour pouvoir menacer
l’Iran, – et éventuellement aller jusqu’à les
utiliser contre l'Iran, afin qu'Israël ne soit pas obligé d'utiliser ses armes
nucléaires.”
» “Cela pourrait conduire à
une guerre terrible. Donc, pour que les États-Unis prennent ce risque… je
suppose qu’il y a l’espoir, sinon la perspective
d’en tirer des sommes d’argent considérables.[...] Tout
cela fait partie du plan de Trump/Netanyahou ... pour détruire l'Iran”.
“C'est un risque énorme car Mohammed bin Salman sera très capable de
neutraliser l'Iran. L’idée qu’ils armeraient Mohammed bin Salman d’armes
nucléaires est certainement une conception qui pourrait avoir l’air de venir
d’un film de science-fiction ou de politique-fiction. C’est une situation comme
‘Docteur Folamour’, de Kubrick.” »
D’une façon assez significative,
volontairement ou pas, l’article de RT-com commence par cette phrase :
« Les relations commerciales entre Donald Trump et l’Arabie
Saoudite, qui chercherait à présent à acquérir le savoir-faire nucléaire
des États-Unis, mettent le monde en danger, ont averti des analystes interrogés
par RT... » La phrase parle de “Donald Trump” et non des USA, tandis
que l’autre partie est désignée normalement et logiquement comme une nation.
Cela recouvre une situation qu’on pourrait qualifier d’“explosive”
essentiellement par les positions, les pouvoirs, la culture des différents
participants au pouvoir US en général, et dans ce cas dans la question des relations
avec l’Arabie Saoudite. C’est donc “Trump”, ou disons “la famille Trump” qui traite directement avec l’Arabie.
Les seuls intérêts
stratégiques qu’elle prend en compte sont ceux d’Israël, le
seul but stratégique qu’elle poursuit est la
destruction de l’Iran ; le reste se mesure pour elle au
volume de business qu’elle
parvient à établir dans ses discussions avec les Saoudiens.
C’est dire, au travers de ce
désordre et de ses actions incontrôlables si cette nouvelle concernant l’Arabie
devrait agiter fortement ceux qui sont partie prenante dans la question des
relations avec l’Iran, et notamment dans le maintien du traité JCPOA
que les USA ont quitté en 2017. Nous parlons donc là essentiellement des
Européens qui, sur cette question, présentent une position assez unie
et tout de même assez ferme. Les dernières nouvelles d’Arabie n’ont fait
qu’aggraver une situation déjà extrêmement grave pour les relations entre les
USA et l’Europe (l’UE), d’une gravité qui ne se dément pas et même ne
cesse de se renforcer depuis mai 2017 (date du retrait US du JCPOA).
On s’en est aperçu à la conférence
annuelle de Munich (dite “le Davos de la défense”), il y a une grosse semaine.
Pour la première fois depuis longtemps, les Russes s’y sont sentis mieux à
l’aise que les délégués de l’américanisme tonitruant, – et
encore, pour ces derniers dans la mesure où ils sont capables de percevoir les
nuances révélatrices, mais il s’agit dans notre chef d’une observation
objective qui se passe de la connaissance des humeurs d’un Pence ou d’un
Pompeo. On prendra comme exemple de ce climat inattendu l’appréciation
générale du ministre russe Lavrov, qui n’a jamais eu depuis de très,
très longues années une telle couleur et une aussi bonne humeur, et qui,
littéralement, a dit tout haut ce que pensent assez bas la plupart des
Européens...
« “[La communauté
internationale] a commencé à mieux écouter [la Russie]”, a
observé Sergueï Lavrov, ce 17 février, devant des journalistes, ajoutant :
“Nous sommes des gens patients... au sens stratégique du terme.” A [Munich...],
la délégation russe a enchaîné les rencontres bilatérales, y compris avec des
États européens très critiques à l'encontre de l'action internationale de la
Russie. La veille, Londres et Moscou avaient renoué un dialogue
diplomatique rompu depuis l'éclatement de l'affaire Skripal, il y a onze mois.
» [Lavrov] a exprimé la
conviction que les tentatives répétées de Washington d'imposer sa volonté
“menaçaient le système économique international”, alimentant un “sentiment
d’incertitude” dans le monde. Les “mesures coercitives unilatérales des
États-Unis qui tentent d’appliquer leur législation de manière extraterritoriale
et d’obliger les autres pays à se conformer aux lois d’un État étranger” ne
font que contribuer à la “confusion” entre ses propres alliés, a-t-il encore
estimé. »
Effectivement, l’accueil fut
notablement froid, parfois glacial, lors du discours du vice-président
Pence à Munich, comme le
précise Tom Luongo : « Le silence qui s’abattit sur la salle à
Munich lors du discours de Mike Pence devrait être un signal d’alarme pour tous
ceux qui se trouvent à Washington DC, pour qu’ils comprennent que le monde tel
que nous l’avons connu n’existe plus... [...] Bolton, Pence et
Pompeo furent ignorés et le ministre russe des affaires étrangères Lavrov fut
la vedette de la conférence... »
Il y eut même une riposte en règle
au discours de Pence, qui venait demander fermement, d’enjoindre aux Européens
de se conformer aux consignes et de n’entraver en rien les innombrables
sanctions US contre l’Iran, – ou gare... Ce fut la Haute Représente de l’IE, Federica
Mogherini, qui lui répondit indirectement en affirmant qu’il
n’était pas question pour l’Europe de laisser aller à vau l’eau le
traité JCPOA, et par conséquent les relations restaurées avec l’Iran.
Mogherini, qui s’est bien entendu depuis longtemps avec son collègue iranien,
tout au long des négociations du traité, est la plus farouche
défenderesse du JCPOA. Pour cela, elle s’est placée, et elle y a été
poussée par les États-Membres, comme rempart de l’UE contre les entreprises
délétères des USA.
(Les États-Membres jurent que
Mogherini les représente en évitant de se mettre eux-mêmes trop en valeur, en
cas de retour de bâton. On connaît : la souveraineté en balance entre eux
et l’UE permet aisément de se défausser de certaines responsabilités... On ne
fera pas trop de procès là-dessus malgré l’absence de gloire de la posture,
l’enjeu étant largement au-dessus de ces manœuvres habituelles.)
Le fait est que des sources assez
pures et profondes auxquelles nous avons déjà étanché notre soif de
savoir nous confirment sans la moindre ambiguïté que cette affaire iranienne reste plus que jamais la pierre
de touche des relations transatlantiques. On en remet et on
insiste : « L’on peut même dire que si jamais une très grave
dissension doit éclater entre l’Europe et les USA, ce sera sur cela, et même
plus encore, qu’au vu de l’affaire telle qu’elle est engagée, avec l’entêtement
et l’hubris US, on irait jusqu’à penser que cet affrontement est
inévitable... »
Dans son texte, Luongo développe
l’idée qu’à Munich, c’est plutôt Merkel qui, par son discours, a
signifié aux USA que “l’époque a changé” : « La chancelière
allemande Angela Merkel a tourné la page des relations avec les États-Unis. Son
discours à la Conférence sur la sécurité à Munich devrait être considéré comme
une déclaration de divorce de l’Allemagne du système mis en place
par les USA à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. » On peut sans
aucun doute discuter ce jugement, la chancelière Merkel ayant montré sa
capacité d’avaler des couleuvres en nombre considérable, mais il s’agit ici
de reconnaitre une convergence de dynamiques et de pressions, – et plutôt
qu’opposer Merkel à Mogherini pour savoir qui fait quoi mieux ou moins bien que
l’autre, les ajouter pour conclure que la course des choses est réglée
par la puissance d’événements colossaux, – auxquels d’ailleurs, il faut
s’empresser de le dire, l’équipage américaniste contribue bien plus que les
autres par son entêtement, son aveuglement, sa quasi-certitude de figurer dans
l’agenda des dieux comme étant d’essence divine.
... C’est impérativement
dans ce contexte qu’il faut 1)
continuer à considérer l’affaire Iran-JCPOA à la mesure de sa réelle
importance, et 2) apprécier que les
entreprises du type “crime
organisé” de “la famille Trump” avec MbS contribuent notablement
à pourrir ce dossier de la façon la plus inquiétante qui soit...
L’interminable crise iranienne (depuis 1979 et dans sa séquence
actuelle depuis 2003) pourrait enfin justifier la patience qu’elle a exigé
si elle parvenait à s’imposer comme l’événement extérieur et supérieur
à toute nos ambitions de servilité capable de soumettre l’axe
transatlantique à son épreuve ultime de rupture. Elle est la mieux placée pour
cela.
Source : http://www.dedefensa.org/article/plus-quejamais-liran-entre-usa-et-europe
Mis en ligne le 24 février 2019 à
20H23
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