Aux
questions posées par l’IIACSS (Independent Institute for
Administration and Civil Society Studies),
institut de sondage irakien privé, lié à l’organisation Gallup, 73% de la
population irakienne répondent que leur gouvernement est soumis à l’influence
de l’Iran. Les Irakiens estiment aussi, à 79%, que leur pays est également
soumis à celle des États-Unis.
Cette
photographie de l’opinion publique irakienne, publiée en juillet dernier (1),
vaut ce que valent tous les sondages, mais confirme ce que pensent nombre
d’observateurs de la situation en Irak. Reste à savoir ce qu’ont répondu les
échantillons représentatifs des différentes communautés ethniques et
religieuses irakiennes. Cette partie de l’enquête est sans doute réservée à la
CIA qui a de quoi payer pour s’en réserver l’exclusivité.
Un Premier ministre de consensus, sans réel pouvoir
Adel
Abdel Mahdi, actuel Premier ministre et chef des forces
armées, ne convainc évidement personne lorsqu’il dit vouloir rétablir la
souveraineté de l’Irak ou la faire respecter. Début juillet, pressé par le
secrétaire d’État américain Mike Pompéo, il
a donné un mois aux milices confessionnelles regroupées dans les Unités
de mobilisation populaire – Hachd al-chaabi, majoritairement chiites et
pro-iraniennes – pour intégrer l’armée, menaçant de considérer comme « hors–la-loi »
celles qui refuseraient. A une exception près – le Hezbollah irakien -
elles ont accepté, mais n’ont rien fait pour s’exécuter. Et, lorsqu’Abdel Mahdi
a ordonné à la Brigade 30 des Hachd, stationnée
dans la plaine de Ninive, de se retirer: son chef a refusé. Composée de Shabaks
- une minorité religieuse opprimée par les Kurdes – elle a bloqué la
circulation dans la région, déclarant être là pour défendre son peuple.
Engins volants « non identifiés »
Dans un
communiqué diffusé fin août, Abou Mahdi al-Mohandis, chef du Hezbollah
irakien et n°2 des Hachd révélait que les États-Unis espionnaient
les Hachd, qu’ils collectaient des informations sur leurs campements et
leurs dépôts d’armes et de munitions et brouillaient les récepteurs des avions
irakiens (3).
Radio
Farda, une station anti-iranienne financée par les
États-Unis et émettant de Prague, annonçait qu’Al-Mohandis avait décidé, début
septembre, de créer une force aérienne pour répondre aux bombardements par les drones israélo-américains
(4). Selon les sources, ces engins volants « non-identifiés »,
décollaient d’Israël, d’Azerbaïdjan, de bases américaines en Irak ou kurdes
en Syrie.
Le
Premier ministre et Falih al-Fayyadh, président des Hachd en
conflit de pouvoir avec Al-Mohandis, ont eu beau dire que les forces de l’air
irakiennes étaient là pour défendre le pays contre les intrusions étrangères,
et rien n’y a fait. Alors Muqtada al-Sadr qui joue les modérés depuis sa
rencontre avec Mohamed ben Salmane (MBS) en août 2017, a twetté
qu’il fallait à tout prix empêcher la mise en œuvre du projet (5). Il est même
allé à Téhéran courant septembre 2019 pour s’entretenir de cette question avec Ali
Khameneî, Guide de la Révolution iranienne, et le général Suleimani,
chef de la Brigade al-Qods.
Les
dernières péripéties de la lutte pour le pouvoir en Irak, sur fond d’ingérences
étrangères, ne vont ni dans le sens d’une réconciliation entre chiites et
sunnites en Irak, ni d’une relation de bon voisinage entre un État irakien,
redevenu souverain et stable, et l’Iran.
La « guerre des cassettes »
Dans le
passé, les affrontements armés entre les deux pays avaient pour origine, ou
prétexte, la démarcation de la frontière sur le Chatt al-Arab et
la liberté de navigation. Du temps des empires ottoman et perse et jusqu’à l’Accord
d’Alger – signé le 6 mars 1975 entre le Chah d’Iran et Saddam Hussein -
les conflits étaient réglés, temporairement, par des traités plus ou
moins respectés.
A Alger,
le Chah s’était engagé - avec l’approbation du secrétaire d’Etat américain
Henry Kissinger - à ne plus soutenir la rébellion kurde en Irak. Mustapha
Barzani, son chef légendaire, dut se réfugier aux États-Unis où il mourut.
Un des
articles du Traité de limites et de bon voisinage signé trois ans plus
tard à Bagdad, entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays,
stipulait que les deux parties s’engageaient à contrôler strictement leurs
frontières « afin d’empêcher toute pénétration de nature subversive,
quelle qu’en soit l’origine ». La clause permit au Chah, effrayé par
l’audience remportée par les cassettes envoyées clandestinement en Iran par
l’ayatollah Khomeiny - réfugié à Nadjaf et Karbala depuis 1964 – à
réclamer son expulsion d’Irak. Saddam ne demandait pas mieux. L’ayatollah
s’installa en France à Neauphle-le-Château… et 112 jours plus tard, son avion
spécial atterrissait à Téhéran.
Conséquences collatérales de la guerre Iran-Irak
Par sa
nature hybride, la guerre sans merci entre l’Irak et l’Iran (1980-1988),
a laissé des traces quasiment indélébiles dans le mental des deux peuples. Elle
a instrumentalisé l’islam, exacerbé des haines ancestrales, des rancœurs et
l’esprit de vengeance : 300.000 morts et blessés irakiens et de 800 à 1 million de morts et
disparus iraniens.
La
propagande baasiste a baptisé le conflit « Qadissiya de Saddam »,
en référence à la bataille gagnée en 636 par les musulmans sur l’Empire perse
des Sassanides et a appelé à la rescousse les grands ancêtres de l’ère
préislamique : Hammourabi (1810 à 1750 av. J-C) et Nabuchodonosor (605
à 683 av. J-C)…
Pour
répondre aux anathèmes lancés par Khomeiny qui répétait « La route de
Jérusalem passe par Kerbala », les médias irakiens rappelaient que Saddam
Hussein était né à Tikrit comme Salah Eddine al-Ayoubi (Saladin),
et affirmaient qu’il descendait de l’imam Ali, gendre du prophète
Muhammad et 4éme calife. Tandis que Khomeiny accusait les
baasistes d’être des mécréants, ces derniers dénigraient le chiisme iranien en
le qualifiant systématiquement de safavide, c’est-à-dire un islam anti-arabe
mêlé à des croyances zoroastriennes (6).
Jeux troubles
Dans
l’immédiat après-guerre, les plaies ouvertes de part et d’autre se seraient
peut-être refermées si le régime baasiste, pragmatique à ses heures, n’avait
pas été renversé par les Américains en 2003.
En
effet, Tarek Aziz, victime d’une tentative d’attentat en 1980 à
l’université Al-Moustansiriyah de Bagdad, organisée par Al-Dawa (7),
s’est rendu à Téhéran le 10 septembre 1990 pour rétablir un climat de confiance
entre l’Iran et l’Irak. Sa visite fut suivie en novembre par celle du ministre
iranien des Affaires étrangère à Bagdad, et par le rétablissement effectif des
relations diplomatiques entre les deux pays.
Pendant
l’embargo international, l’organisation des visites de pèlerins iraniens aux
lieux saints du chiisme, rétablie, était présidée par Odaï, fils ainé de Saddam
Hussein.
Après
l’invasion américaine, les résistances chiite et sunnite sont venues à bout du
gros de l’occupation. Mais le confessionnalisme à outrance du Premier ministre
chiite Nouri al-Maliki, le jeu
trouble des Occidentaux et du parti Bass clandestin d’Izzat
Ibrahim al-Douri (8) lors de la prise de Mossoul par Daech, la création
des Hachd al-Chaabi, ont fait basculer le pays dans une sanglante guerre
civile. L’Irak ne s'’en est pas encore relevé.
Des ponts entre les communautés
La réconciliation entre les communautés
chiite et sunnite irakiennes passe de toute évidence aujourd’hui par l’Iran.
La
direction des Hachd a eu l’intelligence de créer des bataillons
représentant des communautés religieuses et tribus autres que chiites :
chrétiennes, kurdes, sunnites, shabaks et yézidies. Au nom de la lutte contre
l’ennemi commun américain, on dit que des contacts seraient en cours pour
enrôler d’anciens partisans de l’État islamique. Mais, aucune autorité ne se
préoccupe de la montée des ressentiments parmi les dizaines de milliers de
déplacés sunnites des provinces d’Al Anbar et de Ninive parqués dans des camps,
ou transférés de force dans leur villes et villages détruits par les bombardements occidentaux.
Dans le
camp sunnite, laminé par 15 ans d’adversité, le cheikh Jamel al-Dhari
(9) milite pour l’établissement de ponts entre adversaires d’hier et
d’aujourd’hui. Depuis la tentative de réconciliation lancée en 2006, rien de
sérieux n’a été noté dans ce domaine. A l’époque, Nouri al-Maliki avait gelé
les travaux de son ministère pour le Dialogue national.
L’organisation
Iraqi National Project (ex Ambassadeurs de la paix) créée par
Jamal al-Dhari a ouvert un bureau européen permanent à Paris (10). Le cheikh
ira-t-il jusqu’à établir un dialogue avec les Iraniens ? Trop tôt sans
doute.
Notes
(6) La dynastie safavide régna sur la Perse de
1501 à 1736 et imposa le chiisme comme religion d’État. Son origine remonte à
Safi ad-Din, cheikh d’une confrérie soufie.
(7)Al-Dawa Al-Islamiya (L’Appel de l’Islam)
a été créée après la chute de la monarchie pro-britannique (1958) avec pour
objectif ultime la prise du pouvoir. Son mode de fonctionnement est inspiré de
celui des Frères musulmans. Deux de ses membres, Nouri al-Maliki et Haïdar
al-Abadi, ont dirigé l’Irak après la chute de Saddam Hussein.
(8) Numéro 2 du parti Baas sous Saddam Hussein.
(9) Le cheikh Jamal al-Dhari est un des chefs
de la tribu sunnite irakienne Al-Zoba. Il est le neveu de Harith al-Dhari,
président de
l'Association
des savants musulmans irakiens (AMSI) considéré comme le chef
spirituel de la résistance irakienne (décédé à Istanbul en mars 2015).
Dans le monde arabe, la famille Al-Dhari est célèbre pour sa participation à la
Révolution de 1920 contre l’occupation britannique de l’Irak.
*Texte pour la revue italienne EURASIA
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