samedi 21 septembre 2019

Iran, un Etat dans l’Etat en Irak ?


Aux questions posées par l’IIACSS (Independent Institute for Administration and Civil Society Studies), institut de sondage irakien privé, lié à l’organisation Gallup, 73% de la population irakienne répondent que leur gouvernement est soumis à l’influence de l’Iran. Les Irakiens estiment aussi, à 79%, que leur pays est également soumis à celle des États-Unis.

Cette photographie de l’opinion publique irakienne, publiée en juillet dernier (1), vaut ce que valent tous les sondages, mais confirme ce que pensent nombre d’observateurs de la situation en Irak. Reste à savoir ce qu’ont répondu les échantillons représentatifs des différentes communautés ethniques et religieuses irakiennes. Cette partie de l’enquête est sans doute réservée à la CIA qui a de quoi payer pour s’en réserver l’exclusivité.
Un Premier ministre de consensus, sans réel pouvoir
Adel Abdel Mahdi, actuel Premier ministre et chef des forces armées, ne convainc évidement personne lorsqu’il dit vouloir rétablir la souveraineté de l’Irak ou la faire respecter. Début juillet, pressé par le secrétaire d’État américain Mike Pompéo, il a donné un mois aux milices confessionnelles regroupées dans les Unités de mobilisation populaire – Hachd al-chaabi, majoritairement chiites et pro-iraniennes – pour intégrer l’armée, menaçant de considérer comme « hors–la-loi » celles qui refuseraient. A une exception près – le Hezbollah irakien - elles ont accepté, mais n’ont rien fait pour s’exécuter. Et, lorsqu’Abdel Mahdi a ordonné à la Brigade 30 des Hachd, stationnée dans la plaine de Ninive, de se retirer: son chef a refusé. Composée de Shabaks - une minorité religieuse opprimée par les Kurdes – elle a bloqué la circulation dans la région, déclarant être là pour défendre son peuple.
Engins volants « non identifiés »
Dans un communiqué diffusé fin août, Abou Mahdi al-Mohandis, chef du Hezbollah irakien et n°2 des Hachd révélait que les États-Unis espionnaient les Hachd, qu’ils collectaient des informations sur leurs campements et leurs dépôts d’armes et de munitions et brouillaient les récepteurs des avions irakiens (3).
Radio Farda, une station anti-iranienne financée par les États-Unis et émettant de Prague, annonçait qu’Al-Mohandis avait décidé, début septembre, de créer une force aérienne pour répondre aux bombardements par les drones israélo-américains (4). Selon les sources, ces engins volants « non-identifiés », décollaient d’Israël, d’Azerbaïdjan, de bases américaines en Irak ou kurdes en Syrie.
Le Premier ministre et Falih al-Fayyadh, président des Hachd en conflit de pouvoir avec Al-Mohandis, ont eu beau dire que les forces de l’air irakiennes étaient là pour défendre le pays contre les intrusions étrangères, et rien n’y a fait. Alors Muqtada al-Sadr qui joue les modérés depuis sa rencontre avec Mohamed ben Salmane (MBS) en août 2017, a twetté qu’il fallait à tout prix empêcher la mise en œuvre du projet (5). Il est même allé à Téhéran courant septembre 2019 pour s’entretenir de cette question avec Ali Khameneî, Guide de la Révolution iranienne, et le général Suleimani, chef de la Brigade al-Qods.
Les dernières péripéties de la lutte pour le pouvoir en Irak, sur fond d’ingérences étrangères, ne vont ni dans le sens d’une réconciliation entre chiites et sunnites en Irak, ni d’une relation de bon voisinage entre un État irakien, redevenu souverain et stable, et l’Iran.
La « guerre des cassettes »
Dans le passé, les affrontements armés entre les deux pays avaient pour origine, ou prétexte,  la démarcation de la frontière sur le Chatt al-Arab et la liberté de navigation. Du temps des empires ottoman et perse et jusqu’à l’Accord d’Alger signé le 6 mars 1975 entre le Chah d’Iran et Saddam Hussein -  les conflits étaient réglés, temporairement, par des traités plus ou moins respectés.
A Alger, le Chah s’était engagé - avec l’approbation du secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger - à ne plus soutenir la rébellion kurde en Irak. Mustapha Barzani, son chef légendaire, dut se réfugier aux États-Unis où il mourut.
Un des articles du Traité de limites et de bon voisinage signé trois ans plus tard à Bagdad, entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays, stipulait que les deux parties s’engageaient à contrôler strictement leurs frontières « afin d’empêcher toute pénétration de nature subversive, quelle qu’en soit l’origine ». La clause permit au Chah, effrayé par l’audience remportée par les cassettes envoyées clandestinement en Iran par l’ayatollah Khomeiny - réfugié à Nadjaf et Karbala depuis 1964 – à réclamer son expulsion d’Irak. Saddam ne demandait pas mieux. L’ayatollah s’installa en France à Neauphle-le-Château… et 112 jours plus tard, son avion spécial atterrissait à Téhéran.
Conséquences collatérales de la guerre Iran-Irak
Par sa nature hybride, la guerre sans merci entre l’Irak et l’Iran (1980-1988), a laissé des traces quasiment indélébiles dans le mental des deux peuples. Elle a instrumentalisé l’islam, exacerbé des haines ancestrales, des rancœurs et l’esprit de vengeance : 300.000 morts et blessés irakiens et de 800 à 1 million de morts et disparus iraniens
La propagande baasiste a baptisé le conflit « Qadissiya de Saddam », en référence à la bataille gagnée en 636 par les musulmans sur l’Empire perse des Sassanides et a appelé à la rescousse les grands ancêtres de l’ère préislamique : Hammourabi (1810 à 1750 av. J-C) et Nabuchodonosor (605 à 683 av. J-C)…
Pour répondre aux anathèmes lancés par Khomeiny qui répétait « La route de Jérusalem passe par Kerbala », les médias irakiens rappelaient que Saddam Hussein était né à Tikrit comme Salah Eddine al-Ayoubi (Saladin), et affirmaient qu’il descendait de l’imam Ali, gendre du prophète Muhammad et 4éme calife. Tandis que Khomeiny accusait les baasistes d’être des mécréants, ces derniers dénigraient le chiisme iranien en le qualifiant systématiquement de safavide, c’est-à-dire un islam anti-arabe mêlé à des croyances zoroastriennes (6).
Jeux troubles
Dans l’immédiat après-guerre, les plaies ouvertes de part et d’autre se seraient peut-être refermées si le régime baasiste, pragmatique à ses heures, n’avait pas été renversé par les Américains en 2003.
En effet, Tarek Aziz, victime d’une tentative d’attentat en 1980 à l’université Al-Moustansiriyah de Bagdad, organisée par Al-Dawa (7), s’est rendu à Téhéran le 10 septembre 1990 pour rétablir un climat de confiance entre l’Iran et l’Irak. Sa visite fut suivie en novembre par celle du ministre iranien des Affaires étrangère à Bagdad, et par le rétablissement effectif des relations diplomatiques entre les deux pays.
Pendant l’embargo international, l’organisation des visites de pèlerins iraniens aux lieux saints du chiisme, rétablie, était présidée par Odaï, fils ainé de Saddam Hussein.
Après l’invasion américaine, les résistances chiite et sunnite sont venues à bout du gros de l’occupation. Mais le confessionnalisme à outrance du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, le jeu trouble des Occidentaux et du parti Bass clandestin d’Izzat Ibrahim al-Douri (8) lors de la prise de Mossoul par Daech, la création des Hachd al-Chaabi, ont fait basculer le pays dans une sanglante guerre civile. L’Irak ne s'’en est pas encore relevé.
Des ponts entre les communautés
La réconciliation entre les communautés chiite et sunnite irakiennes passe de toute évidence aujourd’hui par l’Iran.
La direction des Hachd a eu l’intelligence de créer des bataillons représentant des communautés religieuses et tribus autres que chiites : chrétiennes, kurdes, sunnites, shabaks et yézidies. Au nom de la lutte contre l’ennemi commun américain, on dit que des contacts seraient en cours pour enrôler d’anciens partisans de l’État islamique. Mais, aucune autorité ne se préoccupe de la montée des ressentiments parmi les dizaines de milliers de déplacés sunnites des provinces d’Al Anbar et de Ninive parqués dans des camps, ou transférés de force dans leur villes et villages détruits par les bombardements occidentaux.
Dans le camp sunnite, laminé par 15 ans d’adversité, le cheikh Jamel al-Dhari (9) milite pour l’établissement de ponts entre adversaires d’hier et d’aujourd’hui. Depuis la tentative de réconciliation lancée en 2006, rien de sérieux n’a été noté dans ce domaine. A l’époque, Nouri al-Maliki avait gelé les travaux de son ministère pour le Dialogue national.
L’organisation Iraqi National Project (ex Ambassadeurs de la paix) créée par Jamal al-Dhari a ouvert un bureau européen permanent à Paris (10). Le cheikh ira-t-il jusqu’à établir un dialogue avec les Iraniens ? Trop tôt sans doute.
Notes
(6) La dynastie safavide régna sur la Perse de 1501 à 1736 et imposa le chiisme comme religion d’État. Son origine remonte à Safi ad-Din, cheikh d’une confrérie soufie.
(7)Al-Dawa Al-Islamiya (L’Appel de l’Islam) a été créée après la chute de la monarchie pro-britannique (1958) avec pour objectif ultime la prise du pouvoir. Son mode de fonctionnement est inspiré de celui des Frères musulmans. Deux de ses membres, Nouri al-Maliki et Haïdar al-Abadi, ont dirigé l’Irak après la chute de Saddam Hussein.
(8) Numéro 2 du parti Baas sous Saddam Hussein.
(9) Le cheikh Jamal al-Dhari est un des chefs de la tribu sunnite irakienne Al-Zoba. Il est le neveu de Harith al-Dhari, président de
l'Association des savants musulmans irakiens (AMSI) considéré comme le chef spirituel de la résistance irakienne (décédé à Istanbul en mars 2015). Dans le monde arabe, la famille Al-Dhari est célèbre pour sa participation à la Révolution de 1920 contre l’occupation britannique de l’Irak.

*Texte pour la revue italienne EURASIA

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