Si l'on devait faire un classement des régions du
monde qui déçoivent rarement en terme d'événementiel géopolitique, le
Moyen-Orient serait assurément dans le peloton de tête. De la guerre syrienne
allumée en 2011 pour casser l'arc chiite à
la récente escalade, le grand bras de fer engagé entre Iran & alliés d'un
côté, système impérial américano-israélo-saoudien de l'autre, ne cesse de produire
son lot de rebondissements.
Dans ce monstrueux duel, les Iraniens ont très vite
compris que leur seule planche de salut était la
guerre asymétrique, comme nous l'expliquions dans un billet qui avait des airs prémonitoires il y a
quatre mois :
Ne donnant pas leur part au chien,
le Hezbollah et les milices chiites irakiennes entreront évidemment dans
la danse si Téhéran est attaqué, tandis que les Houthis du Yémen commencent à cartonner
les pipelines d'Aramco en Arabie saoudite même. Le rayon
d'action de leurs drones couvre la presque totalité du territoire saoudien et
ils peuvent maintenant toucher n'importe quelle installation pétrolière. Les
grassouillets cheikhs wahhabites semblent quelque peu paniqués de voir leur or
noir pris entre l'enclume du détroit d'Ormuz et le marteau houthi.
Devant la formidable guerre
asymétrique qui peut être déclenchée à tout moment par l'Iran, il n'est pas sûr
que l'empire franchisse le Rubicon. Comme le dit un proverbe persan,
"n'ouvrez pas la porte que vous serez incapable de refermer"...
Nous reviendrons plus bas sur les drones houthis, dont
on parle évidemment beaucoup depuis une semaine, mais attardons-nous un instant
sur les milices chiites. A travers le Moyen-Orient, celles-ci sont au nombre d'une centaine. Ces groupes,
fidèles proxies de Téhéran, compteraient environ 180.000
combattants et sont souvent cornaqués par les Gardiens de la Révolution et Qassem
Soleimani. Ils permettent à l'Iran de peser puissamment sur les affaires de
la région tout en ayant un budget militaire cinq
fois moins élevé que celui de l'Arabie saoudite. Cerise sur le gâteau, ils
s'intègrent intelligemment dans le processus politique local (Hezbollah au
Liban, UMP en Irak, Houthis au Yémen), rendant fous les stratèges impériaux qui
ne savent comment les contrer. La guerre asymétrique par excellence, comme le
détaille un excellent article du
New Yorker qui, s'il ne nous apprend rien de fondamental, a le mérite de
poser clairement et objectivement les bases de l'analyse.
D'encerclé il y une quinzaine d'années...
l'Iran est presque devenu l'encercleur...
Entre la présence de ses associés chiites en Irak, en
Syrie, au Liban, au Yémen, en Afghanistan voire même au Pakistan, les alliances
avec la Russie (R) et la Chine (C), et les bonnes relations avec l'Inde (I), la
Turquie, l'Arménie (A), Oman (O) ou le Qatar (Q), Téhéran a magnifiquement
retourné la situation. On comprend mieux pourquoi les petits génies de
Washington et leurs chers alliés israoudiens s'arrachent les cheveux...
Ce qui nous amène aux attaques sur les installations
pétrolières du royaume wahhabite, qui font encore couler beaucoup d'encre et
semblent même constituer un de ces moments-clé à partir duquel les acteurs
changent leur fusil d'épaule et redéfinissent leur politique à venir.
Le débat continue sur l'origine des attaques, y
compris parmi les lecteurs du blog. Houthis du Yémen, milices chiites
irakiennes, Iran, commando infiltré ? Les possibilités sont nombreuses et
attisent les interrogations passionnées. C'est le propre de la guerre
asymétrique que d'entretenir un tel flou et les rusés Perses sont passés
maîtres dans ce domaine.
La thèse des UMP pro-iraniennes d'Irak a très vite été
mise en avant et pourrait être confirmée par la double vague de frappes
aériennes dont elles ont été victimes le 17 et 18 septembre à Al Bukamal,
lieu stratégique d'entre tous comme le savent parfaitement les
habitués de nos Chroniques. Si la participation israélienne est évidente
(nous y reviendrons), la complicité saoudienne a été suspectée, bien que Riyad
ait vigoureusement démenti.
Cependant, l'hypothèse houthie reste solide et nous
avons vu, dans le billet de Mai cité plus haut, que les chiites yéménites n'en
sont pas à leur premier coup d'essai, ayant déjà touché le pipeline central
d'Aramco. La portée de
leurs drones couvre toute l'Arabie saoudite, dont les gisements
touchés la semaine dernière. L'origine houthie des attaques pourrait d'ailleurs
être validée par l'offre de paix
saoudienne en échange de l'arrêt des tirs de missiles/drones. Est-ce le début
de la fin de la désastreuse aventure wahhabite au Yémen ? A suivre...
Plus que les conséquences, somme toutes passagères,
sur le prix du baril, ce
sont les répercussions stratégiques de ces attaques qui sont saisissantes,
notamment sur la sacro-sainte alliance américano-saoudienne.
Le Saoud, habitué à acheter des "alliés" grâce à son pétrodollar, se
sent soudain bien seul, ce qui peut
expliquer l'étonnante ouverture faite aux Houthis. La mesure symbolique de
Washington consistant à envoyer quelques soldats supplémentaires ne trompe
personne et surtout pas Riyad. Pompeo a certes fait la tournée des popotes et
parlé d'"acte de guerre" mais, une fois dans l'avion, a vite refroidi les
éventuelles ardeurs guerrières des uns et des autres. En l'état des choses, pas question pour les États-Unis
de s'attaquer à l'Iran.
Les Américains sont empêtrés dans le labyrinthe qu'ils
ont eux-mêmes créé. En affirmant que les drones et missiles venaient d'Iran ou
d'Irak, ils ont indirectement remis en cause l'utilité de
leurs bases moyen-orientales et fait passer le CentCom pour un ramassis
d'amateurs. Déjà que le Pentagone n'était pas très chaud sur ce
dossier, ce genre de désaveu public ne fera rien pour arranger les choses.
De toute façon, l'intervention militaire n'a jamais
vraiment été une option et seuls
13% des États-Uniens y sont favorables.
L'image de plus en plus désastreuse de la Saoudie dans l'opinion publique y est
sans doute pour quelque chose...
Aussi, le panier de crabes de Washington apparaît pour
ce qu'il est de plus en plus : un chien qui aboie
mais ne mord pas, attitude assez suicidaire pour un empire en
déclin. Le Moyen-Orient a pris bonne note de la faiblesse américaine et, par
contraste, de la solidité des alliances russes,
particulièrement depuis l'entrée en guerre de Moscou en Syrie en 2015.
Au Kremlin, on l'a bien compris et Poutine apparaît une nouvelle
fois comme le faiseur de rois, au grand dam de
l'establishment impérial US. Lors du sommet tripartite Russie-Iran-Turquie sur
la Syrie, l’œil pétillant de malice, il a nargué les Américains sous
les yeux hilares de Rouhani et d'Erdogan, en conseillant aux Saoudiens d'imiter
les Iraniens et les Turcs et d'acheter des S-300/S-400, moquant en creux
l'inefficacité des systèmes US. Vidéo
La belle Maria, porte-parole du MAE russe en a rajouté une couche,
ironisant sur les superlatifs habituellement utilisés par Trump : « Nous
nous souvenons encore des "fantastiques" missiles américains qui ont
manqué leur cible il y a plus d'un an en Syrie. Et maintenant, leur
"brillant" système anti-aérien, incapable de repousser une attaque
». Aux dernières nouvelles, Donaldinho est parti jouer au golf...
Géopolitiquement parlant, le reflux américain et le retour russe sont les faits
marquants de la décennie au Moyen-Orient. Bases militaires,
diplomatie active, renouveau des alliances, ventes d'équipement dernier cri :
l'ours a posé sa patte et ne la retirera plus. Aux autres de s'adapter. Israël
par exemple, qui, pour la première fois de son histoire, se trouve face à un
environnement non permissif. Dans le dernier billet, nous expliquions :
En pleine campagne de réélection,
Bibi la Terreur a une nouvelle fois pris le chemin de Sotchi pour rencontrer
Poutine et montrer sa stature internationale à son électorat. Il a dû
déchanter... Vladimirovitch l'a fait attendre trois heures et lui aurait
opposé un niet abrupt aux futures incursions aériennes israéliennes en Syrie.
Le conditionnel reste de mise tant le Moyen-Orient est habitué aux
retournements de situation, mais l'info, d'abord donnée par l'édition en arabe de The
Independent avant d'être reprise par la presse israélienne puis
par Zero Hedge, semble solide.
Les Russes auraient d'ailleurs, à
trois reprises, empêché des frappes israéliennes sur des cibles
chiites/iraniennes. Cela fait d'ailleurs écho à ce qu'a rapporté un site russe
d'aviation il y a quelques jours : des Sukhois-35 déployés dans la province de
Deraa pour empêcher un bombardement israélien.
Toujours est-il que Poutine aurait remis (conditionnel toujours de mise)
les pendules à l'heure en traçant une ligne rouge devant Nétanyahou :
désormais, tout avion bombardant la Syrie sera abattu par les chasseurs russes
ou les S-400.
Apparemment, le maître du Kremlin est même allé, fait nouveau, jusqu'à condamner
"l'agression israélienne au Liban" (l'incident du drone la semaine
dernière, ndlr) et a prévenu son interlocuteur de se garder de renouveler la
chose.
La crédibilité de Moscou était effectivement en jeu et
le conditionnel semble un peu moins de mise. Si les Israéliens ont pu frapper
Al Bukamal en faisant le détour jordanien, ils en ont été empêchés ailleurs les
18 et 19 septembre, l'ours leur ayant fermé le ciel syrien. Selon
des sources généralement bien renseignées, les Russes auraient également donné le feu vert aux Syriens
pour utiliser les S-300 contre toute menace venant de Tel-Aviv (cela n'avait
donc pas été fait ?) et mis leurs propres S-400 en alerte. Pire, dans la
nuit de jeudi, un drone israélien aurait carrément été abattu par des Sukhoïs
!
Si certaines de ces informations sont encore à
confirmer, le fait qu'elles aillent toutes dans la même direction indique un
changement de ton au Kremlin, qui semble passer la vitesse supérieure.
Source : Chroniques du Grand Jeu
MERKEL : LA FILLE D’ADOLF HITLER ?, PAR LAURENT GLAUZY
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