mercredi 18 septembre 2019

Le Glaive et le Bouclier…ou comment la Russie et l’Iran contrecarrent les stratégies agressives de leurs adversaires


Au cours des dernières décennies, la Russie et l’Iran ont tous deux dû se donner les moyens de se protéger contre une menace sans cesse croissante de la part des États-Unis et de leurs alliés. Tous deux ont trouvé des moyens uniques de créer une dissuasion adaptée à leur situation.

Ni les États-Unis ni leurs alliés n’ont réagi à ces développements en adaptant leurs stratégies ou leurs moyens militaires. Ce n’est que récemment que les États-Unis ont pris conscience de la situation réelle. La perte de la moitié de sa capacité d’exportation de pétrole pourrait finalement réveiller l’Arabie saoudite. La plupart des autres alliés américains dorment encore.

Lorsque l’OTAN s’est étendue à l’Europe de l’Est et que les États-Unis ont quitté le Traité antimissile balistique, la Russie a annoncé qu’elle élaborerait des contre-mesures pour empêcher les États-Unis de l’attaquer. Dix ans plus tard, la Russie a tenu sa promesse.
Elle a mis au point un certain nombre de nouvelles armes qui peuvent pénétrer la défense antimissile balistique installée par les États-Unis. Elle a également mis l’accent sur sa propre défense aérienne et antimissile, ainsi que sur les radars et les contre-mesures électroniques qui sont devenus si efficaces qu’un général américain les a qualifiées d’« épouvantables ».
Tout cela a permis à Poutine de taquiner Trump en lui offrant d’acheter des missiles hypersoniques russes. Comme nous l’avions analysé :
Trump a tort de prétendre que les États-Unis fabriquent leurs propres armes hypersoniques. Bien que les États-Unis en aient en développement, aucune ne sera prête avant 2022 et probablement beaucoup plus tard. Les armes hypersoniques sont une invention soviétique/russe. Celles que la Russie met en service aujourd'hui font déjà partie de la troisième génération. La mise au point de tels missiles par les États-Unis accuse un retard d'au moins deux générations par rapport à celle de la Russie.
On sait depuis 1999 que les radars russes peuvent voir les avions furtifs, c'est l'année où une unité de l'armée yougoslave a abattu un avion furtif américain F-117 Nighthawk. La défense aérienne et antimissile russe a prouvé en Syrie qu'elle peut vaincre les attaques massives de drones et de missiles de croisière. La défense aérienne et antimissile américaine en Arabie saoudite ne parvient même pas à détruire les missiles primitifs utilisés par les forces houthies.
Hier, lors d’une conférence de presse à Ankara avec ses collègues turcs et iraniens, Poutine s’est moqué de l’Arabie saoudite (vidéo @38:20) avec une offre similaire à celle qu’il avait faite à Trump :
Q : La Russie a-t-elle l'intention de fournir à l'Arabie saoudite une aide ou un soutien pour la remise en état de son infrastructure ?
Poutine : Quant à l'aide à l'Arabie saoudite, il est également écrit dans le Coran que toute forme de violence est illégitime, sauf pour protéger son peuple. Afin de les protéger et de protéger le pays, nous sommes prêts à fournir l'assistance nécessaire à l'Arabie saoudite. Tout ce que les dirigeants politiques de l'Arabie saoudite ont à faire, c'est de prendre une sage décision, comme l'Iran l'a fait en achetant le système de missiles S-300 et comme le président Erdogan l'a fait en achetant le dernier système antiaérien russe S-400 Triumph. Ils offriraient une protection fiable pour toutes les infrastructures saoudiennes.
Le Président de l'Iran, Hassan Rouhani : Doivent-ils plutôt acheter le S-300 ou le S-400 ?

Vladimir Poutine : C'est à eux de décider.
Erdogan, Rouhani et Poutine ont bien ri de cet échange.
Les alliés américains, qui doivent acheter des armes américaines, ont suivi une stratégie d’investissement de défense similaire à celle des États-Unis eux-mêmes. Ils ont acheté les systèmes d’armes les plus utiles pour les guerres d’agression, mais n’ont pas investi dans des systèmes d’armes défensives qui sont nécessaires lorsque leurs ennemis sont capables de riposter.
C’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite possède plus de 350 avions de combat modernes mais seulement relativement peu de systèmes de défense aérienne à moyenne et longue portée, et ceux-ci datent des années 70.
La défense aérienne saoudienne ne peut protéger que certains centres de population. La plupart de ses frontières et de ses bases militaires ne sont pas défendues.
La disposition actuelle du réseau de défense laisse de grandes parties du pays non protégées. Bien que l'on puisse faire appel à des avions de chasse pour défendre ces zones si nécessaire, la présence de grandes lacunes dans la défense aérienne à l'échelle nationale laisse de nombreuses vulnérabilités exploitables par un agresseur étranger.
La défense aérienne saoudienne telle que documentée par Amir à Iran GeoMil.
De plus, la protection en place est unidirectionnelle. Les cercles rouges désignent la portée théorique des systèmes de défense aérienne PAC-2 de fabrication américaine installés en leur centre. Mais la portée réelle de ces systèmes ne couvre que moins d’un demi-cercle. Les systèmes PAC-2 et PAC-3 ont des défenses sectorielles car leurs radars ne pivotent pas. Ils ne peuvent voir qu’un arc de 120°. Dans le cas des Saoudiens, ces radars ne regardent que vers l’est, en direction de l’Iran, qui est l’axe d’attaque le plus probable. L’usine de traitement de pétrole brut d’Abqaiq n’était donc pas du tout protégée contre les attaques venant d’une autre direction. Ni l’Arabie saoudite ni les États-Unis ne savent d’où vient vraiment l’attaque.
L’expérience russe contre les attaques d’essaims de drones dirigées par les États-Unis contre sa base aérienne d’Hmeymim en Syrie a montré que les défenses aériennes à courte portée et les contre-mesures électroniques sont la meilleure défense contre les attaques massives de drones et de missiles de croisière.
L’Arabie saoudite n’a pas de défense aérienne à courte portée contre les drones et les missiles de croisière parce que les États-Unis n’ont pas de tels systèmes. Elle n’a pas non plus de contre-mesures électroniques sophistiquées parce que les États-Unis ne peuvent pas en fournir de décentes.
Les Saoudiens ont besoin du système de défense aérienne à courte portée russe Pantsir-S1, des dizaines d’entre eux, et du système de guerre électronique Krasukha-4. Les Russes pourraient bien offrir au moins le premier article. Mais les États-Unis autoriseraient-ils les Saoudiens à en acheter ?
L’Arabie saoudite, comme les États-Unis, n’a jamais pris ses adversaires au sérieux. Elle mis le Yémen en miettes par ses bombardements et ne s’attendait pas à une riposte. Elle a longtemps poussé les États-Unis à lancer une guerre contre l’Iran, mais n’a pris que peu de mesures pour se protéger d’une contre-attaque iranienne.
Après l’attaque à longue portée du Yémen en août, elle a été avertie que la portée des missiles houthis avait augmenté. L’Arabie saoudite a ignoré cet avertissement et n’a pris aucune mesure notable pour protéger le centre de traitement d’Abqaiq, qui est pourtant un point névralgique lui procurant la moitié de ses revenus.
L’Iran, en revanche, a développé ses armes selon une stratégie asymétrique, tout comme la Russie.
L’Iran n’a pas d’armée de l’air moderne. Il n’en a pas besoin parce qu’il n’est pas agressif. Il a depuis longtemps mis au point d’autres moyens pour dissuader les États-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres adversaires au Moyen-Orient. Il dispose d’un grand nombre de missiles balistiques de moyenne portée développés par ses soins et d’une réserve importante de drones et de missiles de croisière de courte et moyenne portée. Ceux-ci peuvent atteindre n’importe quelle cible économique ou militaire dans un rayon de 2 000 kilomètres.
Ce pays fabrique également ses propres défenses aériennes, ce qui lui a récemment permis d’abattre un coûteux drone américain. Voici le général Amir Ali Hajizadeh, commandant de la Force aérospatiale du Corps des gardiens de la révolution islamique, qui explique comment cela a été fait (vidéo, sous titres en anglais).
L’Iran a développé des relations avec des groupes de population amis dans d’autres pays, les a formés et équipés des moyens de défense nécessaires. Il s’agit du Hezbollah au Liban, de divers groupes en Syrie, du PMG/Hashd en Irak, des Houthis au Yémen et du Hamas à Gaza.
Aucun de ces groupes n’est totalement un proxy de l’Iran. Ils ont tous leur propre politique locale et sont parfois en désaccord avec leur grand partenaire. Mais ils sont également prêts à agir au nom de l’Iran si le besoin s’en faisait sentir.
L’Iran a mis au point un certain nombre d’armes destinées exclusivement à ses alliés, qui diffèrent de celles qu’il utilise lui-même. Il permet à ses partenaires de construire eux-mêmes ces armes. Le missile de croisière et les drones utilisés par les Houtis au Yémen sont différents de ceux que l’Iran utilise pour ses propres forces.
Les nouveaux drones et missiles exposés
en juillet 2019 par les forces armées houthis du Yémen.
L’Iran a donc la possibilité de nier lorsque des attaques, comme celle qui a récemment eu lieu à Abquiq, se produisent. Le fait que l’Iran ait fourni des drones d’une portée de 1.500 kilomètres à ses alliés au Yémen signifie que ses alliés au Liban, en Syrie, en Irak et ailleurs ont accès à des moyens similaires.
Les Saoudiens n’ont longtemps pas pris en considération la contre-stratégie de l’Iran, tout comme les États-Unis n’ont pas pris en considération celle de la Russie. Tous deux devront changer leurs stratégies agressives. Tous deux vont maintenant devoir (re)développer de véritables moyens défensifs.
Par Moon of Alabama – Le 17 septembre 2019

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