Depuis quelques années ont fleuri de manière explosive
sur internet des informations, des blogs, des forums à propos d’un
phénomène qualifié d’extraordinaire qui se produirait en divers lieux de
Roumanie. Merveilles d’une nature mystérieuse, des pierres nommées trovants
auraient ainsi le pouvoir de croître, de se multiplier et même de se
déplacer. Plus qu’une légende alimentée par les habitants, il s’agirait d’un
fait vérifiable puisque ces pierres sont visibles dans des lieux aisément
accessibles aux touristes et aux randonneurs.
Il est possible que la création
en 2005 d’un musée à l’air libre, unique en Roumanie et en Europe [1], et une
exposition au Muséum National d’Histoire Naturelle de Bucarest [2] consacrées à
ces pierres aient contribué à enflammer la toile. Cependant, la multiplication
extraordinaire de ces sites internet, dont certains font la part belle aux
phénomènes prétendus paranormaux, reprenant le plus souvent sans recul les
mêmes propos dans toutes les langues, contribue à entretenir pour le grand
public une vision altérée et irrationnelle d’objets et phénomènes géologiques
certes spectaculaires, mais finalement déjà bien connus scientifiquement. Le
spectaculaire est dans ces cas là assimilé à l’extraordinaire.
Des investigations sur différents sites géologiques où
peuvent s’observer les pierres en question nous ont permis d’en savoir plus.
Mais de quoi parle-t-on en fait ?
De
spectaculaires concrétions
Connues depuis très longtemps, des couches à
concrétions de grande taille parsèment la Roumanie dans des formations d’âges
variés, de l’Eocène au Pliocène. Concernant l’Olténie, et plus particulièrement
un secteur se situant dans les sous-Carpathes occidentales, Murgoci a utilisé
pour la première fois en 1907 sans vraiment le définir le mot roumain de «
trovanţi » (« trovant » au singulier) pour désigner des blocs indurés au sein
d’une sédimentation plus meuble [3]. Ce terme, qui pourrait provenir de
l’italien « trovànte » [4], a ensuite été repris pour décrire en Roumanie des
concrétions clairement dégagées du sédiment encaissant. Il est à remarquer que
dans une note antérieure en anglais, Murgoci avait employé le terme plus
spécifique de concrétion pour les mêmes objets [5].
Les trovanţi sont de taille très variable, de
centimétrique à métrique. Ce sont surtout les formes des grosses concrétions
qui retiennent l’attention et suscitent l’étonnement, même pour des géologues
avertis. Ainsi, tous les aspects définis pour caractériser classiquement des
concrétions sont représentés, mais avec des proportions importantes. Les
trovanţi sont toujours de forme arrondie avec une très grande variété de
déclinaisons: sphérique, hémisphérique, ellipsoide, globuleuse, allongée
horizontalement, en boudins, en miches, à sommet ou base plats, en soucoupe
évoquant les fameuses « soucoupes volantes »... Les concrétions
forment parfois des lentilles étendues au sein d’un banc bien défini. Elles
peuvent être soudées et réunies en agrégats complexes, évoquant dans certains
cas des sculptures qui ne seraient par reniées dans le cadre de l’art
contemporain. Certains ont suggéré à ce sujet cette influence dans les œuvres
de l’artiste Brancuşi. Par ailleurs, certaines concrétions montrent en surface
des boursouflures et pustules qui semblent avoir nourri la légende des
excroissances surnaturelles. Enfin un certain nombre de concrétions sont
nettement caractérisées par un des lignes de croissance concentriques.
Figure 1 – Vue générale du musée en plein air des trovanţi à Costeşti avec en premier plan les concrétions éparses et dans l’affleurement les concrétions encore dans le sédiment encaissant (flèche).
Figure 2 – Quelques aspects des trovanţi de Costeşti.
Le site à
trovanţi le plus connu est celui de Costeşti en Olténie où la Réserve Naturelle
du Musée des Trovanţi [1] permet une visite en plein air dans un espace
aménagé. Les concrétions y sont intégrées dans des sédiments
détritiques du Miocène supérieur relevant d’un système deltaïque.
De nombreux blocs sont visibles encore in situ sur l’affleurement tandis
que les concrétions dégagées par l’érosion et l’exploitation du sable sont
répartis ça et là. Cependant, dans la campagne environnante, d’autres endroits
produisent des trovanţi qui peuvent être transportés d’ailleurs par les cours
d’eau. Les célèbres habitations bourgeoises fortifiées de Culele de la
Măldăreşti dans les environs proches en présentent un certain nombre disposés
dans les jardins de manière ornementale.
Figure 3 - Des trovanţi comme ornements dans les jardins de Culele de la Măldăreşti.
Une autre
région renferme en abondance des concrétions semblables. C’est le cas de la
région de Buzau, dans les Sous-Carpathes orientales, dans diverses localités,
dont surtout le secteur Ulmet- Bozioru, dans des couches également datées du
Miocène supérieur. On peut considérer ces affleurements comme encore plus
spectaculaires car les concrétons y sont observables en majorité au sein du
sédiment encaissant dans un cadre sédimentaire plus lisible. Les mêmes
morphologies surprenantes sont développées intégrant les stratifications
obliques qui caractérisent ces niveaux.
Figure 4 – La couche à trovanţi du secteur Ulmet-Bozioru.
Figure 5 - Quelques trovanţi du secteur Ulmet-Bozioru.
Mais on connaît des trovanţi dans d’autres régions
(voir liste sans doute non exhaustive avec des liens pour le détail de chaque
zone indiquée [6]).
Finalement, bien connues sur l’ensemble du territoire
roumain, les concrétions ont largement été utilisées par les habitants comme
objets d’ornements le long des routes, des chemins ou à l’intérieur des
propriétés.
Figure 6 - Des trovanţi au hasard des routes en Roumanie.
Un florilège des idées délirantes véhiculées
sur internet
Internet démultipliant des informations ou
pseudo-révélations à l’infini, on peut ainsi relever abondamment d’un site à
l’autre les mêmes propos, parfois au mot près, avec les mêmes illustrations.
Voici quelques morceaux choisis de cette littérature (voir par exemple en
français [7,8] parmi les innombrables sites repérables sur internet) :
- Les autochtones appellent les pierres des « trovanţi ». En fait les autochtones ignoraient en général ce terme issu d’un travail scientifique spécialisé. Ainsi, une discussion avec un berger fréquentant journellement une zone à concrétions révèle que ce sont « les messieurs de Bucarest » qui dénomment ces pierres trovanţi (en suivant donc Murgoci) ou éventuellement babele (les vieilles femmes).
- Ces pierres sont capables de grossir et de se multiplier. Elles peuvent êtres sectionnées mais finissent toujours par s’arrondir. Lorsqu’il pleut elles se mettent à grossir comme si elles étaient vivantes : 30 ou 40 minutes après une pluie, le sable humide commence à présenter de nouveaux petits éléments en formation. Un trovant de quelques grammes peut devenir gigantesque et atteindre près d’une tonne. A la surface de ces pierres apparaissent des petites boursouflures qui se cassent et tombant à terre se multiplient. Ce sont les pierres jeunes qui grandissent le plus vite et avec l’âge cette particularité tend à s’atténuer. Les trovanţi représenteraient une forme intermédiaire entre le minéral et le végétal. Il est vraiment très difficile de déterminer quelle est l’origine exacte de toutes ces fables, la littérature ancienne ou récente n’apportant aucun élément de ce type sur ces pierres dites mystérieuses. Il est intéressant de noter qu’un même site internet peut reporter des informations correctes, émanant notamment des documents du Parc Naturel et du Musée des trovanţi ou de propos de géologues roumains, et poursuivre dans ce type de délire mystico-paranormal.
- Comme les fameux rochers de la Vallée de la Mort en Californie, les trovanţi se déplacent souvent d'un endroit à l'autre. Cette assertion fait évidemment référence à un autre phénomène géologique apparemment intriguant, celui des pierres qui bougent qui a sans doute également bien agité le monde du paranormal sur internet. Plusieurs articles scientifiques récents ont abordé cette question et apporté des éléments intéressants de compréhension [9,10]. Cela n’a évidemment rien à voir avec les trovanţi de Roumanie qui ont souvent pu rouler le long des pentes lorsqu’ils étaient entièrement dégagés par l’érosion ou qui ont été dans certains cas déplacés, réunis, voire carrément mis en scène, comme c’est le cas pour le Musée des trovanţi à Costeşti.
- Les trovanţi sont des phénomènes géologiques qui consistent en formes sphériques de sable cimenté, apparues en raison d'une puissante activité sismique. Les tremblements de terre qui ont conduit à la création des premiers trovanţi sont supposés s'être produits il y a 6 millions d'années. Cette idée en apparence plus sérieuse, néanmoins passablement étonnante, est analysée ci-dessous.
Des informations scientifiques correctes, mais
pratiquement uniquement en langue roumaine, sont cependant disponibles sur
internet, [1,6,11], y compris sur le cadre géologique [12].
Sur les processus de formation des
concrétions géantes
Une interrogation légitime se pose sur les processus
qui aboutissent à la formation de ces objets si spectaculaires. Une explication
avancée spécifiquement pour les trovanţi de Roumanie a été proposée par une
communication au Congrès Géologique International d’Oslo [2,4,13], et enfin
invoquée sans discussion dans un certains nombre de sites internet. Selon les
auteurs de cette hypothèse, le terme de concrétions serait inapproprié pour ces
objets qui résulteraient en fait de chocs sismiques ayant eu pour effet
un réarrangement des fluides et engendré les morphologies sphériques observées.
Plus, de nombreuses concrétions dans le monde résulteraient des chocs
occasionnés par l’impact d’astéroïdes sur Terre. Une observation raisonnée des
concrétions de Roumanie, notamment à la lueur de l’abondante littérature sur
les séismites, amènent à écarter de telles assertions jamais basées sur des
arguments tangibles. Plus généralement, des travaux scientifiques, certains
récents, ont été consacrés aux nombreuses concrétions géantes relevées à travers
le monde pour des âges géologiques et des environnements de dépôts très variés.
Dans tous les cas une conjonction de facteurs impliquant les phénomènes de
pression, de circulations, de concentrations en carbonates, de nucléations est
invoquée [14 à 19].
En guise de conclusion : un phénomène unique, cependant observable partout dans
le monde entier, mais aussi en France !
On peut se demander pourquoi les concrétions de
Roumanie ont focalisé autant l’attention et égaré tant de monde alors que de
tels objets géologiques abondent sur le globe, de manière tout aussi
spectaculaire. Un recensement, sans doute incomplet, mais instructif, en a été
dressé sur un site bienvenu [20]. Plus encore, on peut aussi contempler des
concrétions de type trovanţi en France et des études géologiques en font état
[21 à 24]. Mais un sérieux problème demeure quant à la large diffusion sur
internet d’informations et d’interprétations erronées. Cela a été souligné il y
a quelques temps dans la revue Science à propos de concrétions similaires de
Bosnie qui ont amené à des considérations délirantes malheureusement reprises
par des autorités politiques.
Ainsi, comme il ressort de cette revue succincte il
n’est guère question de mystère pour nos trovanţi de Roumanie mais de superbes
objets naturels qui constituent aujourd’hui des jalons d’un tourisme géologique
particulier à la Roumanie qui n’est pas avare de ce type de patrimoine naturel
[25].
Sources
[2] Tiţa R.,
2002. The microexhibition of trovants from Costesti (Romania) at "Grigore
Antipa" National Museum of Natural History (Bucharest), Travaux du Muséum
National d'Histoire Naturelle Grigore Antipa, XLIV, 493-496.
[3] Murgoci
G.M., 1907. Terţiarul din Oltenia cu privire la sare, petrol si ape naturale. An. Inst. Geol Rom., Bucureşti, I (1), 128 p.
[4] Ţicleanu M., 2011. The trovants in Romania.,
12th Annual NECLIME Meeting, Bucharest 2011, Anuarul Institutului Geologic Al
României 77, Special Issue, Guide of excursion, 50-55.
[5] Murgoci G.M., 1905. Tertiary formations of
Oltenia with regard to salt, petroleum, and mineral springs. The Journal of
Geology, 13 (8), 670-712.
[7] http://openyoureyes.over-blog.ch/article-des-pierres-qui-poussent-un-incroyable-phenomene-geologique-article-vidz-105550825.html
[9] Lorenz R., Jackson B., Barnes J., Spitale
J., Keller J., 2011. Ice rafts not sails: Floating the rocks at Racetrack
Playa. Am. J. Phys. 79 (1), 37-42.
[10] Norris R.D., Norris J.M., Lorenz R.D., Ray
J., Jackson B., 2014. Sliding Rocks on Racetrack Playa, Death Valley National
Park: First Observation of Rocks in Motion. PLoS ONE 9 (8), 1-11.
[13] Ţicleanu
M., Pantea A., Constantin A., Ţicleanu N., Nicolescu R., 2008. Hypothesis on the paleodynamic (paleoseismic)
origin of the trovants ("Sandsteinkonkretionen"). 33rd IGC,
Oslo 2008, Abstracts, 1 p.
[14] Abdel-Wahab A., McBride E.F., 2001. Origin
of giant calcite cemented concretions, temple member, Qasr El Sagha Formation. (Eocene), Faiyum depression, Egypt. J. Sediment. Res., 71, 70- 81.
[15]
García-García F., Marfil R., De Gea G. A., Delgado A., Kobstädt A., Santos A.,
Mayoral E., 2013. Reworked
marine sandstone concretions: a record of high-frequency shallow burial to
exhumation cycles, Facies, 59, 843-861
[16] Krajewski K.P., Luks B., 2003. Origin of
“cannon-ball” concretions in the Carolinefjellet Formation (Lower Cretaceous),
Spitsbergen. Polish Polar. Res., 24, 217–242.
[17] McBride E.F., Milliken K.L. 2006. Giant
calcite-cemented concretions, Dakota Formation, central Kansas, USA.
Sedimentology, 53, 1161-1179.
[18] McBride E.F., Picard M.D., Milliken K.L.
(2003) Calcite-cemented concretions in cretaceous sandstone, Wyoming and Utah,
USA. J. Sediment. Res., 73, 462-483.
[19] Wanas H.A., 2008. Calcite-cemented
concretions in shallow marine and fluvial sandstones of the Birket Qarun
Formation (Late Eocene), El-Faiyum depression, Egypt: field petrographic and
geochemical studies: implications for formation conditions. Sediment. Geol.,
212, 40-48.
[21] Battiau-Queney Y., Simao B., Tekin M.,
2003. Les falaises du Nord-Boulonnais, du cap Gris Nez à
Audresselles (France). Hommes et Terres du Nord 2003/1, 12-21.
[22] Pierre G.,
2005. Structure et évolution des falaises gréseuses et argileuses du cap
Gris-Nez (Boulonnais, France). Géomorphologie : relief, processus,
environnement, 4, 297-310.
[24] Friès G., Parize O. 2003. Anatomy of
ancient passive margin slope systems : Aptian gravity- driven deposition on the
Vocontian palaeomargin, western Alps, south-east France. Sedimentology, 50 (6),
1231-1270.
[25] Heinrich P.V., 2007. Pseudoscience in
Bosnia. Science 318, 5 october 2007, 42-43.
Écrit par Jean-Paul Saint Martin, Simona Saint Martin et
Florin Stoican
la science n'a pas encore trouver des explications à certains phénomènes naturels...
RépondreSupprimercomme par ex: on arrive pour une première fois dans un endroit,et on a l'impression qu'on a déjà vu ce site..etc...
la science est soi disant capable d'envoye des amerloques marcher sur la lune et revenir
RépondreSupprimerMais incapable d'analiser et comprendre un cailloux , Ha ha ha ha ha ha aha aha ha ha ha ha ah aha aha aha aha ha aha
La Nature n'a pas fini de nous Surprendre.! 🌞 🍀 🍀 🍀 🌺
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