lundi 28 octobre 2019

La guerre des tubes


Nous ne nous attarderons point aujourd'hui sur l'énième flip-flop de Donaldinho, bien pressuré par un Deep State en état de choc, dans le Nord-est syrien. Nous partons, mais finalement pas tout à fait, enfin si, mais peut-être que non : cela tourne à la farce... Le pétrole, limité, de Deir ez-Zoor n'est évidemment qu'un prétexte : il s'agit d'empêcher Assad de reconstruire son pays et surtout, comme le suspecte le MAE turc lui-même, de maintenir une présence sur la route de l'arc chiite pour embêter l'Iran. Le fidèle lecteur de nos Chroniques, lui, le sait déjà depuis longtemps.

Dans un mauvais remake de série B, quelques troupes américaines partent puis reviennent finalement, vers les puits de pétrole mais aussi, chose incongrue, vers une base récemment abandonnée du côté d'Hassaké. Là, elles vont côtoyer les forces syriennes qui se déploient massivement et commencent d'ailleurs à échanger des coups avec les Turcs et leurs affidés, histoire de délimiter le territoire et bien montrer au sultan où s'arrête la petite aventure ottomane.
Laissons là la tragi-comédie américaine - qu'il est loin le temps où l'Empire faisait preuve de consistance et de crédibilité - pour voir un peu ce qui se passe dans le Grand jeu énergétique.
Gazprom commence les essais de la première branche du Turk Stream, celle à destination d'Ankara, qui devrait entrer en service d'ici quelques semaines. La seconde branche, à destination des Balkans et de l'Europe centrale, passera par la Bulgarie. L'ironie n'échappe à personne, comme nous l'expliquions l'année dernière :
Sofia regrette maintenant amèrement d'avoir succombé aux pressions de l'Empire - l'une des dernières torpilles de feu McCainistan - en annulant le South Stream en 2014. La victoire présidentielle du russophile Ramen Radev en 2016 a sans doute quelque chose à y voir... Cependant, même le Premier ministre Boyko Borissov, pourtant bon petit soldat de la clique atlantiste et qui a saboté le South Stream contre les intérêts de son pays, semble ne plus savoir quoi faire pour rattraper sa trahison.
Il s'était publiquement humilié fin mai en présentant ses excuses à Poutine lors d'une visite à Moscou et, depuis, mendie la possibilité de recevoir une branche du Turk Stream. Peu rancunier, car grand gagnant en fin de compte, le Kremlin considère sérieusement la possibilité, même si rien n'a été signé encore. Dans ce contexte, une portion de gazoduc d'une vingtaine de kilomètres, commencée en juin, vient d'être inaugurée à la frontière turco-bulgare. Objectif évident : raccorder la Bulgarie au Turk Stream.
Les travaux seront terminés dans le courant de l'année prochaine, qui verra l'or bleu russe gagner ensuite la Serbie, une branche continuant sur la Hongrie et l'Autriche, une autre vers la Bosnie. Ca aussi, c'était prévu :
Sueurs froides américaines riment souvent avec énergie russe et les derniers développements ne démentent pas cet axiome. Après tant d'autres, les Serbes de Bosnie veulent également une branche du Turk Stream qui passera par la Serbie voisine et irriguera les Balkans. Belgrade devrait d'ailleurs se méfier. Premier pays à avoir connu une "révolution de couleur" made in Soros en 2000, la Serbie pourrait bien renouveler ce type de mésaventure. L'achat de drones militaires chinois (une première en Europe), les exercices militaires anti-aériens communs avec la Russie (une autre première) et surtout la volonté de rejoindre l'Union Économique Eurasienne malgré les "avertissements" de l'Union Européenne pourraient donner quelques idées aux excités de Washington et Bruxelles. Tout ressemblance avec des faits, l'Ukraine par exemple, etc. etc.
A l'autre bout de l'Eurasie, Gazprom commencera également d'ici quelques semaines ses premières livraisons à la Chine par le pharaonique Sila Sibirii, bien connu des lecteurs ainsi que des stratèges du Washingtonistan qui en font une jaunisse.
Les think tanks impériaux ne savent d'ailleurs plus quoi inventer pour décrédibiliser le gaz russe et l'empêcher de rejoindre le Rimland. Dans une "analyse" qui restera dans les annales, le fumeux Atlantic Council perd les pédales et évoque, la larme à l’œil, les "crimes environnementaux barbares" ou la colonisation du Yamal au XVIème siècle sur les Nenets pour justifier le nécessaire arrêt des importations en provenance du pays du grand méchant Poutine. Pas de problème en revanche avec le gaz US, on oubliera opportunément le génocide des Indiens d'Amérique.
On imagine la pâleur rageuse de nos petits trolls en herbe quand ils ont appris que l'île états-unienne de Puerto Rico elle-même importe... du gaz russe ! La faute à une loi de 1920, le Jones Act, qui spécifie qu'un navire transportant des marchandises au sein de l'espace maritime des États-Unis doit y être enregistré, être propriété américaine à 75% et compter également 75% de marins américains. Dans ces conditions, il est financièrement bien plus avantageux de se tourner vers Moscou, au grand dam du Deep State...
Un autre think tank se lamente de l'indéfectible soutien du Kremlin au Venezuela de Maduro, notamment par l'entremise de Rosneft comme nous l'expliquions le mois dernier :
Les habituels contempteurs de la "perfidie moscovite" en sont une nouvelle fois pour leurs frais. On ne compte plus, ces dernières années, les articles de la presstituée occidentale ou israélo-saoudienne annonçant que, cette fois c'est sûr, Poutine est sur le point de lâcher ses alliés : au choix, Assad, l'Iran ou encore le Venezuela. En échange de xxxxx, le Kremlin va abandonner Maduro... Manque de bol pour nos petits propagandistes en herbe, la réalité ne colle jamais à leurs fantasmes infantiles.
Washington sanctionne les exportations de pétrole de Caracas ? Qu'à cela ne tienne : Rosneft est devenu le principal acquéreur d'or noir du Venezuela (40% en juillet, 66% en août) et fait office d'intermédiaire entre sa compagnie nationale (la PDVSA) et ses acheteurs internationaux, notamment indiens et chinois. Le géant russe abandonne de plus en plus le dollar, le monde continue d'acheter du pétrole vénézuélien, le gouvernement légal de Caracas continue de recevoir des dividendes ô combien précieux, les sanctions impériales sont contournées et Bolton en mord sa moustache de rage...
Bolton n'est plus là et heureusement pour lui. Qu'aurait-il dit s'il avait vu l'Inde finalement défier les sanctions US et revenir acheter du brut à Caracas ? Quant à l'ours, il musarde dans la jungle vénézuélienne, effrayant Foreign Policy qui voit avec horreur l'ennemi juré investir les Caraïbes, financièrement, économiquement et militairement : "la présence russe dans l'hémisphère occidental la plus significative depuis la Crise des missiles à Cuba".
Pour la Russie, où les réserves pétrolières ont d'ailleurs été revues largement à la hausse, tout irait donc pour le mieux si de menus et surprenants blocages n'étaient apparus à propos du Nord Stream II. Tétanisé, le Danemark n'a toujours pas donné l'autorisation et fait celui qui n'entend pas. Nous expliquions la chose il y a un an et demi :
Le placide pays scandinave fait en effet face à un écrasant dilemme, sa "plus importante décision de politique étrangère depuis la Seconde Guerre Mondiale" : permettre ou non le passage du Nord Stream II par ses eaux territoriales.
Le projet doit également recevoir dans les prochains mois les autorisations finales de la Russie (c'est couru d'avance), de la Finlande et de la Suède. Mais concernant ces deux dernières, il s'agit uniquement de leur zone économique exclusive, régie par le droit international de la mer sur lequel les gouvernements suédois (très russophobe) et finlandais (plus équilibré) ont de toute façon peu de prise.
Seul le Danemark est concerné dans sa souveraineté même, et il s'en serait bien passé. Les émissaires américains et bruxellois poussent le gouvernement à empêcher le passage des 139 km du Nord Stream II par ses eaux territoriales tandis que Moscou et Berlin l'encouragent à accepter.
Copenhague peut-elle se mettre à dos son principal partenaire (Allemagne) et la principale puissance militaire européenne (Russie), qui vient d'ailleurs essayer quelques missiles à proximité ? Le système impérial réussira-t-il à manœuvrer afin de torpiller le pipeline comme ce fut le cas avec le South Stream ?
Depuis... rien. Révolu est le temps des Vikings qui partaient aventureusement à la conquête des mers inconnues. Paralysés, euronouillisés, les dirigeants danois restent muets, alors qu'ils permettent par ailleurs la construction d'un pipeline baltique devant rejoindre la Pologne. Devant cette évidente mauvaise volonté, Vladimir hausse légèrement le ton, assurant que le gazoduc verra bientôt le jour, avec ou sans "le petit Danemark".
Par ailleurs, les avocats de Gazprom attaquent, auprès d'un tribunal d'arbitrage, l'inénarrable UE, retombée dans son masochisme coutumier. Nous expliquions celui-ci en 2015 :
L'approche européenne est totalement suicidaire. Les dirigeants européens se tirent une balle dans le pied. De manière amusante, Gazprom ironise maintenant sur la nécessité de lire 50 nuances de Grey avant d’engager des discussions avec les Européens ! Derrière l’humour de la déclaration, une vraie question se pose : jusqu’où ira le masochisme européen ? Le gaz russe est le moins cher, le plus proche et le plus abondant. Il faut vraiment avoir l’esprit retors (ou plus sûrement être totalement soumis à la pression venue d'outre-Atlantique) pour ne pas en profiter…
La nouvelle habitude des petits génies de Bruxelles est de changer la règle du jeu après le début de la construction des pipelines. Ils l'avaient fait avec le South Stream, ils récidivent maintenant :
Début 2019, la Commission européenne a étendu aux opérateurs extérieurs à l’Union européenne l’obligation de séparer leurs activités de production et de transport. Elle existe déjà sur le marché intérieur. Gazprom, qui serait contraint de devenir partenaire minoritaire du Nord Stream 2, s’estime lésé. Plutôt que la défense de la concurrence et du consommateur, le géant russe du gaz y voit une volonté de freiner Nord Stream 2. Malin, Gazprom utilise pour son offensive juridique une filiale établie en Suisse, qui a accès au mécanisme d’arbitrage prévu par la Charte de l’énergie. Un traité de mai 2015 signé par la Suisse, mais pas par la Russie.
Ainsi va l'euronouillerie, qui a tout à gagner de relations énergétiques accrues avec Moscou mais qui, en bon vassal, se doit d'écouter son maître américain en torpillant ses propres intérêts. Pas assez pour saboter le Nord Stream II mais suffisant pour le retarder un peu plus. A Bruxelles, ceci est considéré comme le summum de l'intelligence politique...

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