Cet article s’intéresse aux opinions
publiques dans les pays du monde arabe. L’auteur s’attache à mettre en lumière
les principales valeurs partagées par les populations, les disparités entre les
pays comme l’impact de certains évènements (tels les Printemps arabes) dans
l’évolution des opinions.
Il n’y a pas de
total consensus sur la définition des pays arabes mais le critère linguistique
— l’arabe comme langue officielle et très largement pratiquée —, la zone
géographique — un espace continu (sans pays tiers) au sud et à l’est du Bassin
méditerranéen —, l’appartenance à la Ligue arabe — organisme politique de
coopération entre ces pays — constituent des éléments centraux pour repérer les
pays concernés. Selon les critères, on oscille entre 20 et 23 pays concernés
(voir carte 1). Évidemment cette appartenance est aussi le fruit d’une histoire
millénaire dans laquelle une culture s’est forgée, en lien avec l’expansion de
l’islam à partir de la péninsule arabique.
Ces pays sont
des monarchies ou des républiques [1],
avec presque toujours un pouvoir autoritaire et peu de liberté d’expression
pour les oppositions, un taux d’alphabétisation relativement élevé (sauf au
Yémen, en Égypte et au Maroc), des structures sociales traditionnelles où les
appartenances fami-liales, claniques et tribales sont très valorisées, mais où
les liens de type asso-ciatif sont peu développés [2], une absence de tradition démocratique,
de nombreux conflits infra et inter-étatiques avec des guerre fratricides
fréquentes, des pays parfois très riches, parfois très pauvres, avec une
économie assez concentrée dans des familles proches du pouvoir, de très fortes
inégalités, une corruption systémique, une transition démographique largement
engagée, mais où la forte natalité antérieure fait que la population est très
jeune, avec partout un chômage ou un sous-emploi élevés, en particulier dans la
jeunesse, y compris chez les diplômés de l’enseignement supérieur.
Face à des pouvoirs autoritaires, les « printemps
arabes » de 2011 ont soulevé de vifs espoirs de démocratisation dans beaucoup
de ces pays. Mais, quelques années plus tard, peu de choses semblent avoir
changé dans leur système politique, sauf en Tunisie. On parle même d’un « hiver
arabe » qui se serait installé.
Les enquêtes quantitatives pour connaître les opinions
publiques de ces pays étaient jusqu’à une période récente inexistantes ou très
rares. Mais la situation a commencé à évoluer[3]
et les données disponibles sont d’un grand intérêt pour comprendre ces
sociétés, repérer leurs traits culturels communs mais aussi leurs spécificités,
voire leurs fractures. L’objectif de cet article est de présenter les résultats
de l’Arab Barometer, qui correspond à une re – cherche universitaire
internationale de grande ampleur[4].
Cette enquête a été initiée à partir de 2005 par des universitaires américains
(université du Michigan) et arabes de plusieurs pays [5]. Ils s’inspirèrent d’autres baromètres
comparatifs internationaux, particulièrement des World Values Surveys (WVS) et
des European Values Studies (EVS) pour créer un questionnaire adapté à leur
culture et à la situation de leur zone géographique.
La première vague de l’enquête eut lieu en 2006-2007
dans huit pays. L’enquête a ensuite été répliquée avec presque le même
questionnaire en 2010-2011 et en 2013-2014. Une quatrième vague a été faite
récemment dans plusieurs pays dont les résultats sont en cours de publication.
Nous retenons ici les données des vagues 2 et 3 pour 12 pays [6]. Le questionnaire est très détaillé et
aborde tous les grands domaines de la vie privée et publique : sociabilité,
conditions de vie, religiosité, suivi des médias, attitudes politiques,
conceptions de la démocratie, printemps arabe, relations inter-nationales[7]… Les échantillons interviewés dans
chaque pays comptent au moins 1 000 individus, très généralement sélectionnés
aléatoirement[8].
Comme toutes les enquêtes, celle-ci a certainement des
biais. Les résultats doivent en être lus avec prudence, sans surinterprétation
de différences minimes de pourcentage entre pays. Mais lorsqu’on compare, pour
une même société, les résultats des trois vagues à des questions de type
structurel, la proximité des résultats montre la fiabilité globale des données.
Caractéristiques sociales
Globalement, le monde arabe est plutôt une zone
défavorisée : le produit intérieur brut (PIB) par habitant est évalué à 16 700
dollars [9], mais avec d’énormes
inégalités entre pays (tableau 1), surtout en fonction de l’existence d’une
rente pétrolière. Parmi les pays enquêtés, le PIB par habitant d’un Koweïtien
est presque deux fois plus élevé que celui des habitants de la zone euro[10].
Le PIB ne constituant qu’une mesure très relative, il
est intéressant de considérer les différences dans la possession d’équipements
durables. L’Arab Barometer dénombre en 2013 les pourcentages de personnes
possédant un ordinateur à leur domicile et une voiture. Le Koweït, le Liban et
la Libye semblent, sur ces critères, les plus développés. Alors que le Soudan,
l’Égypte, le Yémen, le Maroc, la Tunisie le sont beaucoup moins.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces pays
sont déjà assez lar-gement urbanisés. En 2013, 62 % des enquêtés sont
considérés comme vivant en ville, mais ce taux varie de 28 % au Yémen à 88 % au
Liban[11].
Les Arabes interrogés ne sont que 36 %,
en 2013, à juger très ou assez bonne la situation économique de leur
pays (tableau 2), avec aussi de très fortes disparités : la situation
est jugée bonne par seulement 7 % des Égyptiens et des Libanais, mais
par 95 % des Koweïtiens, 66 % des Algériens et 52 % des Irakiens.
Évidemment, ces appréciations peuvent traduire à la fois les réa lités
économiques mais aussi l’optimisme ou le pessimisme des populations, et
pourraient être modulées, dans certains pays où les libertés
fondamentales ne sont pas garanties, par la peur de dire ce qu’on pense [12].
Si seulement 36 % pensent en 2013 que
l’économie nationale se porte bien, 47 % estiment que celle-ci ira mieux
d’ici trois à cinq ans contre 29 % affirmant que ce sera pire. Par
rapport à un présent plutôt pessimiste, un relatif optimisme émane des
réponses pour le futur mais, là encore, avec des différences nationales
qui peuvent refléter l’espoir d’un renouveau après des événements
cataclysmiques (Libye, Tunisie, Soudan, Égypte, Yémen) ou encore des
tempéraments nationaux. Il est ainsi frappant de comparer les réponses
palestiniennes et libanaises. Malgré une situation actuelle très
préoccupante, 33 % des Palestiniens croient que leur situation va
s’améliorer ; alors que ce n’est le cas que de 14 % des Libanais, qui
sont loin de vivre dans des situations aussi précaires que les premiers.
De grandes différences sont aussi
visibles concernant le sentiment de sécurité pour soi-même et sa
famille. Si ce sentiment est quasi général au Koweït et en Jordanie, il
est très faible en Égypte et au Liban.
L’insatisfaction peut aussi se traduire
dans un souhait d’émigration (dernière ligne du tableau 2) : 29 % disent
y penser, ce qui est considérable. Ce sont les Soudanais qui sont les
plus nombreux à y songer, ayant connu de nombreuses guerres civiles
meurtrières et des conditions d’extrême pauvreté ou de famine, suivis
par les Libanais qui, s’ils sont beaucoup moins déshérités, ont
probablement le sentiment d’être dans un pays bloqué, où il n’y a pas
beaucoup d’avenir. En outre, une tradition d’émigration y existe de puis
le XIXe siècle, renforcée par la guerre intercommunautaire des années 1975-1990.
Des sociétés où la religion est extrêmement prégnante
A la question classique sur
l’appartenance religieuse, les auteurs de l’enquête n’ont pas osé ou pu
proposer la réponse « sans religion » [13].
Quasi-ment tout le monde se dit musulman (96 %), sauf au Liban où
existe une importante minorité chrétienne (38 %). À une autre question,
seulement 8 % de l’échantillon se dit non religieux[14](alors
que dans les enquêtes sur les valeurs des Européens, ce sont 40 % des
habitants de l’Union euro-péenne qui se disent non religieux ou athées
convaincus[15]). Il est de fait très difficile de déclarer son incroyance, même dans les pays les plus ou-verts de la zone arabe[16].
Le dénombrement de quelques
comportements religieux est très révéla-teur (tableau 3) : près des
trois quarts de la population prient tous les jours et une personne sur
deux va à la mosquée pour la prière du vendredi, un gros tiers lisant ou
écoutant le Coran [17].
À nouveau, ces chiffres contrastent avec ceux que l’on observe dans
l’Union européenne : seulement 21 % y prient Dieu quotidiennement et 18 %
vont à un office religieux chaque semaine.
Autre signe de l’importance accordée à
la religion : à une question de-mandant quels obstacles peuvent faire
que les enquêtés s’opposent au mariage de leurs enfants ou de leurs
frères et sœurs, c’est le fait de ne pas prier qui vient en tête (71 %
citent cette caractéristique du futur conjoint), suivi par le manque
d’éducation (60 %) et le statut social de la famille (51 %). Le mariage
est une affaire contrôlée par les familles dans laquelle plusieurs
facteurs sont capitaux, et tout particulièrement le degré de religiosité
du (ou de la) futur(e) conjoint(e).
Cette forte identité religieuse est liée à un islam plutôt fondamentaliste [18]
et strict dans les souhaits de conformité aux normes édictées par Dieu,
puisque environ deux Arabes enquêtés sur trois pensent que la charia[19] exprime la parole même de Dieu [20]
et que trois sur quatre disent qu’elle devrait être appliquée plus
strictement. Et seulement 55 % considèrent que les lois de leur pays
concordent avec celle-ci [21].
Cette conception intransigeante de
l’islam se répercute dans les droits reconnus aux non-musulmans (tableau
4). Si en 2013, 74 % pensent que les minorités religieuses ont le droit
de pratiquer librement leur religion, et si 63 % pensent que musulmans
et membres d’autres religions devraient avoir les mêmes droits, 30 %
sont d’un avis contraire, trouvant probablement normal que les autres
croyants aient un statut de seconde zone, selon la concep-tion classique
de la dhimmitude [22].
Surtout, 32 % estiment en 2010 que les convertis devraient être condamnés à mort[23],
ce qui montre que l’appartenance religieuse est souvent perçue comme
une identité collective qui ne peut absolument pas se remettre en cause.
L’apostasie est une trahison si grave qu’elle peut justifier la mort de
l’hérétique [24].
Précisons cependant que l’on observe de fortes différences selon les
pays : les Yéménites, les Égyptiens et les Soudanais sont très
intransigeants à l’égard de l’apostasie de l’islam, alors que les
Libanais, les Tunisiens et les Algériens sont beaucoup moins extrêmes.
Quoi qu’il en soit, la liberté de ne pas croire, et de l’exprimer
publiquement, est en fait presque inexistante — alors que les libertés
fondamentales, définies par le droit inter-national, garantissent la
liberté de conscience et d’expression de ses croyances.
Le caractère traditionnel de ces
sociétés s’exprime aussi dans la conception des rapports entre hommes et
femmes. Avec cependant des nuances notables : 64 % estiment que les
hommes sont en général de meilleurs leaders politiques que les
femmes et 61 % que les femmes devraient porter des vêtements modestes.
Mais plus de 80 % sont favorables au travail de la femme en dehors de
son foyer, 66 % sont favorables à ce que les études universitaires
soient mixtes et seulement 23 % jugent que les études universitaires
sont plus importantes pour les garçons que pour les filles [25].
Quel rapport les populations entretiennent-elles avec la politique ?
Environ un enquêté sur deux dit suivre les nouvelles politiques du pays (de manière très ou assez intensive)[26] et 39 % déclarent s’intéresser beau-coup ou assez à la politique [27]. De ce point de vue, les Arabes semblent à peu près aussi politisés que les Européens[28].
Mais ils sont plus nombreux à trouver la politique incompréhensible (76
%), probablement du fait à la fois de leur plus faible niveau
d’éducation et de la faiblesse des débats poli-tiques dans l’opinion
publique. Ils sont 44 % à estimer que leur gouverne-ment bloque
l’expression médiatique de l’opposition (de 61 % au Soudan à 33 % en
Égypte, Irak et au Yémen). La confiance envers les autorités est assez
limitée puisque 44 % font confiance (beaucoup ou assez) au gouvernement
et 33 % au Parlement [29];
avec de forts écarts selon les pays : les Libyens, les Libanais et les
Égyptiens sont moins de 20 % à faire confiance aux deux instances
politiques majeures[30].
S’ils font peu confiance aux élites
politiques, les Arabes restent plutôt conformistes et n’osent pas trop
exprimer leurs désaccords (tableau 5) : près de 40 % estiment qu’il faut
soutenir les décisions du gouvernement même lorsqu’on les désapprouve [31].
Des différences conséquentes apparaissent selon les pays, Koweïtiens,
Tunisiens et Jordaniens se montrant les plus conformistes en 2013. On
observe un effet « printemps arabe » contrasté entre l’Égypte et la
Tunisie, les événements ayant conduit les Égyptiens à être beaucoup
moins conformistes à l’égard de leur gouvernement, alors que les
Tunisiens semblent l’être plus qu’avant.
Quand on considère le classement des éléments qui font un bon leader
politique, il est très révélateur que viennent très largement en tête
ses origines claniques, suivies — avec un fort écart — par son
ouverture aux idées politiques, sa piété, son expérience politique
passée, sa capacité à parler en public et à communiquer avec les gens,
son travail et ses efforts intenses, et enfin, au niveau le plus bas,
son intégrité.
Cette très faible prise en compte de
l’intégrité des dirigeants s’explique probablement par le caractère
systémique de la corruption, de haut en bas de la société. Cette
corruption gangrène la société et les élites politiques, ce dont les
populations sont conscientes (tableau 6). Près de 80 % estiment qu’il y a
de la corruption dans les services de l’État — de manière assez
consensuelle dans les différents pays — et seulement à peu près la
moitié d’entre eux pensent que le gouvernement cherche à l’éliminer. La
lutte contre ce fléau ne semble pas vraiment à l’agenda politique[32]. Et face à ce problème, la résignation semble assez souvent l’emporter, tout particulièrement au Liban et en Libye.
La participation des citoyens à la vie politique est assez limitée : 57 % ont voté aux dernières élections législatives[33], environ 20 % ont assisté au moins une fois à un meeting ou signé une pétition depuis trois ans, le même pourcentage ayant aussi manifesté, participé à une marche ou à un sit-in (52 % au Yémen[34], 33 % en Libye et 30 % en Palestine). L’expression démocratique est donc limitée malgré des aspirations soutenues.
Quelles aspirations démocratiques ?
À peine un tiers des enquêtés pensent que l’état de la démocratie et des droits de l’homme est très ou assez bon dans leur pays[35] et il n’y a guère plus de personnes pour dire que leur pays est démocratique (tableau 7)[36].
Les différences sont fortes selon les pays et selon la vague de
l’enquête. Koweïtiens et Jordaniens sont assez optimistes concernant la
démocratie dans leur pays. Les Marocains et les Égyptiens sont très
pessimistes en 2013. Pour ces derniers, il semble bien que le printemps
arabe ait engendré une forte désillusion.
Pourtant, un peu plus d’un Arabe sur deux estime que la démocratie est adaptée à leur pays[37] et, au niveau des principes, ils adhèrent largement à ce
système : plus de 80 % jugent que c’est un bon système et plus de 70 %
estiment même que c’est le meilleur, « même s’il peut avoir des
problèmes »[38].
Ils rejettent au contraire un modèle d’État autoritaire avec un
président indifférent au Parlement et aux élections (tableau 8).
En
principe favorables à la démocratie, beaucoup d’Arabes hésitent sur ce
que la mise en œuvre de ce système signifie prioritairement (tableau 9).
Ils y voient au moins autant une transformation économique qu’un idéal
politique. La démocratie, c’est avant tout la fin de la corruption, un
minimum de ressources pour tous, et plus d’égalité économique entre les
individus. Mais c’est aussi un projet politique, des élections, une
égalité de droits civiques et le droit de critiquer les dirigeants.
La place de l’islam dans le système politique
L’enquête permet aussi d’appréhender la
place que l’opinion publique de ces pays reconnaît à l’islam dans un
système politique. Une première façon de le mesurer consiste à préciser
ce qu’est une bonne loi : doit-elle être conforme aux désirs du peuple
ou à la loi islamique (tableau 10) ?
En 2013, 56 % des enquêtés pensent que
la loi doit être conforme aux désirs du peuple mais 38 % sont d’avis
contraire. Par ailleurs, une forte majorité (72 %) juge que les lois
doivent être conformes à la loi islamique. Le croisement des réponses
aux deux questions montre que 43 % pensent que les lois peuvent répondre
à une double légitimité, à la fois celle du peuple et celle de la
religion. Si 29 % privilégient la légitimité islamique sur celle du
peuple, 13 % sont au contraire pour la légitimité populaire (et
démocratique), tandis que 9 % rejettent les deux.
Cette première appréhension de la place
de l’islam aboutit à une vision plutôt optimiste : pour un groupe
majoritaire (43 %), il n’y aurait pas de conflit entre la démocratie et
l’islam puisque l’osmose est forte dans les sociétés arabes entre
visions religieuse et politique. Mais le deuxième groupe en taille (29
%) privilégie nettement l’islam sur l’expression du peuple alors qu’il
n’y a que 13 % de répondants à revendiquer une loi séculière, qui ne se
préoccupe pas de sa conformité à l’islam. Pour la majorité des enquêtés,
démocratie et islam font bon ménage, alors que — à une autre question —
seulement environ 25 % affirment que « la démocratie contredit les
enseignements de l’islam ».
Une deuxième manière d’identifier le
rôle reconnu à l’islam peut se lire dans le croisement de deux autres
questions : la démocratie est-elle ou non le meilleur système politique ?
Et les leaders religieux doivent-ils ou non influencer les décisions du gouvernement ? (tableau 11). Trois catégories émergent des réponses :
— Ceux qui sont favorables à la démocratie et rejettent l’influence des leaders
religieux, que l’on peut identifier à des « démocrates séculiers » et
qui représentent environ la moitié de la population. Ils sont
particulièrement nombreux au Liban, en Égypte, en Algérie, en Tunisie.
— Ceux qui sont favorables à la démocratie mais souhaitent une influence des leaders
religieux, que l’on peut identifier à une « démocratie sous in fluence
religieuse » (environ 30 %), surreprésentés au Yémen, au Soudan, voire
en Jordanie et en Irak.
— Ceux qui pensent que la démocratie
n’est pas le meilleur système politique (environ 20 %), assez également
répartis dans l’ensemble des pays.
Ces typologies essaient de préciser
l’articulation entre démocratie et islam pour des pays dans lesquels
l’islam est, de toute manière, très influent dans toute la vie sociale
et politique. Elles mettent en lumière les préférences accordées à l’une
ou à l’autre selon que l’on considère la confection de la loi ou la
prise de décision dans le système institutionnel. Les séculiers et les
religieux n’ont pas la même importance selon les domaines considérés.
Une troisième manière d’appréhender la
conception des relations que la politique et la religion doivent
entretenir réside dans la place reconnue aux partis religieux (tableau
12). Les adeptes d’un système parlementaire sont très dominants et
beaucoup estiment que tous les types de partis doivent pouvoir
s’exprimer dans l’arène politique[39].
Mais environ un cinquième de la population veut réserver la compétition
électorale aux partis islamistes, ce qui sous-entend que seuls des
partis incarnant la défense de la charia seraient légitimes. Il
y a aussi environ un petit cinquième de la population pour limiter les
élections aux partis non religieux, défendant donc une conception laïque
de la représentation nationale.
Les résultats des enquêtes Arab Barometer
que nous venons de présenter montrent que les pays arabes restent très
marqués par leur culture traditionnelle et par un islam qui demeure
assez fondamentaliste. Pourtant, les valeurs de ces pays ne sont pas
figées. Les droits des individus y sont lentement reconnus ; ainsi les
femmes semblent moins dominées qu’autrefois dans des sociétés qui
restent bien sûr encore en partie machistes. Même si les citoyens
restent largement des sujets qui doivent se conformer à un certain
nombre de normes et de traditions, ils ne semblent pas trop hésiter à
formuler des critiques, tout particulièrement à l’égard des élites
corrompues. Les Arabes s’intéressent à la vie politique, même s’ils ont
du mal à en comprendre tous les méandres. Surtout, leurs aspirations à
la démocratie sont réelles, une démocratie qui implique du développement
économique mais qui doit aussi se matérialiser dans des institutions
politiques. La principale question pendante est celle de la conciliation
entre les réelles aspirations démocratiques et la volonté — non moins
forte — de suivre la charia. Tant que la charia sera
considérée de manière très littérale, les évolutions du monde arabe vers
les valeurs d’autonomie individuelle et vers des démocraties réelles
seront probablement limitées.
Parution le 26-06-2018 / Source : Futuribles
Pierre BRECHON
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