mardi 22 octobre 2019

Ibn Khaldoun et le modèle arabe de la liberté


J'ai passé l'été à Cordoue et à Grenade.

Théophile Gautier écrivait, après avoir vu la mosquée de Cordoue :

« Quand on songe qu'il y a mille ans, une œuvre si admirable et de proportions si colossales était exécutée en si peu de temps par un peuple tombé depuis dans la plus sauvage barbarie, l'esprit s'étonne et se refuse à croire aux prétendues doctrines de progrès qui ont cours aujourd'hui; l'on se sent même tenté de se ranger à l'opinion contraire lorsqu'on visite des contrées occupées jadis par des civilisations disparues. J'ai toujours beaucoup regretté, pour ma part, que les Mores ne soient pas restés maîtres de l'Espagne, qui certainement n'a fait que perdre à leur expulsion. »

Gustave le Bon, dans sa civilisation des Arabes, traitait les Ibères d'aborigènes, en ajoutant froidement : les Britanniques sont colonisateurs, les Arabes civilisateurs.

Évitons la polémique et donnons à notre propos un tour plus scientifique avec Ibn Khaldoun. Vers 1400 Ibn Khaldoun expliquait notre déclin comme un Tocqueville, et décryptait aussi notre soumission actuelle.

Il oppose le rat des villes et le rat des champs, et de quelle manière ; car il a compris bien avant Oswald Spengler, autre prestigieux admirateur des Arabes (la liste va de Voltaire à Goethe...) que les cités nous font dégénérer, comme le confort repu :
« Les habitants des villes, s’étant livrés au repas et à la tranquillité, se plongent dans les jouissances et laissent à leur gouverneur ou à leur commandant le soin de les protéger en leurs personnes et leurs biens Rassurés contre tout danger par la présence d’une troupe chargée de leur défense, entourés de murailles, couverts par des ouvrages avancés, ils ne s’alarment de rien. Les gens de la campagne, au contraire, évitent le voisinage des troupes et ils montrent, dans leurs expéditions, une vigilance extrême»
C'est l'historien américain du franquisme Stanley Payne qui a fait scandale en Espagne en parlant d'un peuple anesthésié. Mais j'ai moi-même écrit que les Français se laissent tuer parce que les Français sont déjà morts.
Ibn Khaldoun invite lui à préserver la pureté du sang :
« Leur isolement est donc un sûr garant contre la corruption du sang. Chez eux, la race se conserve dans sa pureté... La pureté de race existe chez les peuples nomades parce qu’ils subissent la pénurie et les privations, et qu’ils habitent des régions stériles et ingrates, genre de vie que le sort leur a imposé et que la nécessité leur a fait adopter. »
Il faut aimer la frugalité raisonnée :
« Les gens de la campagne recherchent aussi les biens de ce monde, mais ils n’en désirent que ce qui leur est absolument nécessaire ; ils ne visent pas aux jouissances que procurent les richesses ; ils ne recherchent pas les moyens d’assouvir leur concupiscence ou d’augmenter leurs plaisirs. »
Mais notre historien romain Tite-Live faisait l'éloge de la frugalité dans sa préface :
« Mais ce qui importe, c'est de suivre, par la pensée, l'affaiblissement insensible de la discipline et ce premier relâchement dans les mœurs qui, bientôt entraînées sur une pente tous les jours plus rapide, précipitèrent leur chute jusqu'à ces derniers temps, où le remède est devenu aussi insupportable que le mal»
Ibn Khaldoun rappelle que la dure vie du désert préserve la liberté, la noblesse et le courage :
« Puisque la vie du désert inspire le courage, les peuples à demi sauvages doivent être plus braves que les autres. En effet, ils possèdent tous les moyens lorsqu’il s’agit de faire des conquêtes et de dépouiller les autres peuples... »
Et il déteste les impôts, marque de servilité et d'hébétude :
« Tout peuple qui aime mieux payer un tribut que d’affronter la mort a beaucoup perdu de cet esprit de corps qui porte à combattre ses ennemis et à faire valoir ses droits... Lorsqu’un peuple s’est laissé dépouiller de son indépendance, il passe dans un état d’abattement qui le rend le serviteur du vainqueur, l’instrument de ses volontés, l’esclave qu’il doit nourrir. » [1]
Jamais on n'en a autant payé, et on est en pleine faillite encore !
Dans un bel esprit libertarien il dénonce le contribuable :
« Une tribu ne consent jamais à payer des impôts tant qu’elle ne se résigne pas aux humiliations. Les impôts et les contributions sont un fardeau déshonorant, qui répugne aux esprits fiers. Tout peuple qui aime mieux payer un tribut que d’affronter la mort a beaucoup perdu de cet esprit de corps qui porte à combattre ses ennemis et à faire valoir ses droits»
Ibn Khaldoun rappelle le péril des conquêtes arabes :
« Sous leur domination, la ruine envahit tout. Ajoutons que les Arabes négligent tous les soins du gouvernement ; ils ne cherchent pas à empêcher les crimes ; ils ne veillent pas à la sûreté publique ; leur unique souci c’est de tirer de leurs sujets de l’argent, soit par la violence, soit par des avanies. » [2]
Mais d'un autre côté cette saine barbarie est garante d'une force vitale supérieure :
« Nous avons déjà dit que les nations à demi sauvages ont tout ce qu’il faut pour conquérir et pour dominer. Ces peuples parviennent à soumettre les autres, parce qu’ils sont assez forts pour leur faire la guerre et que le reste des hommes les regarde comme des bêtes féroces»
Enfin la clé du génie arabe :
« Cette bande ne serait jamais assez forte pour repousser des attaques, à moins d’appartenir à la même famille et d’avoir, pour l’animer, un même esprit de corps. Voilà justement ce qui rend les troupes composées d’Arabes du désert si fortes et si redoutables ; chaque combattant n’a qu’une seule pensée, celle de protéger sa tribu et sa famille. L’affection pour ses parents et le dévouement à ceux auxquels on est uni par le sang font partie des qualités que Dieu a implantées dans le cœur de l’homme» [3]
Pour survivre et triompher il faut retrouver un génie familial, tribal et médiéval. 
Avis aux bons lecteurs.
Ibn Khaldoun, Prolégomènes, Livre Premier, 2nde section, De la civilisation chez les nomades, pp. 270-315 (sur classiques.uqac.ca)...
Nicolas Bonnal
http://www.dedefensa.org/article/ibn-khaldun-et-le-modele-arabe-de-la-liberte-1Ibn
NOTES de H. Genséric
[1] Il en est ainsi, aujourd’hui, des taïfas arabes du Golfe : Arabie, Emirats, Qatar, Koweït, Oman, Bahreïn. Ces pays croupions paient des fortunes colossales à l’Oncle Sam (donc indirectement à Israël) pour se sentir protégés. Contre qui ? Le seul ennemi qu’ils ont, à part leur propre peuple esclave, est justement l’Oncle Sam. Donc cette protection à coup de milliards de dollars, est de type maffieux : "Tu raques, sinon je te zigouille". Les récentes attaques yéménites contre les raffineries Aramco prouvent que cette protection est illusoire, même contre les va-nu-pieds les plus démunis des Arabes. Les Yéménites prouvent, comme les Syriens, les Libanais (en particulier le Hezbollah) et les Algériens, qu’il y a encore des « Arabes » qui savent ce que « honneur » veut dire.
[2] C’est en raison de pareilles vérités évidentes et constatées depuis toujours, que la majorité des Arabes n’aime pas Ibn Khaldoun, et qu’il est particulièrement ostracisé au Moyen-Orient, et chez tous les Islamistes d'Orient et d'Occident.
[3] Asabiyya, esprit de corps et réseau mobilisable
Ce terme est usuellement utilisé pour parler de la solidarité clanique, pour bien souligner l’idée de réflexe tribal, dont le comble serait cette illustre maxime arabe: «Soutien ton frère, qu’il soit oppresseur ou opprimé».
C’est à l’aide de ce concept, qu’Ibn Khaldoun déploie toute une modélisation de la prise du pouvoir à partir de ses différentes observations des naissances et chutes des dynasties et des empires de son temps. Il commence par cartographier le pouvoir en identifiant trois zones d’inégales densités démographiques: le centre (hadhara), la périphérie (badawa) et le no man’s land (wahshiya). Pour lui le «centre», c’est la civilisation, la source de l’État: hadhara qui implique à la fois l’idée de présence et de pérennité, toutes deux nécessaires au pouvoir. Dès lors, l’urbanité est son évidente caractéristique avec sa démographie importante et son économie florissante. Il y aurait alors une sorte de «cercle vertueux» du pouvoir: un État doit nécessairement avoir une importante population qui lui garantirait ainsi davantage de richesses. Et inversement, il faut du pouvoir pour gérer et protéger cette population ainsi que son économie. Quant à la périphérie, il la conçoit à partir de deux éléments: la nature et le mouvement. La badawa qui est de la racine du terme bédouin, désigne une forme d’existence proche de la nature, avec une population représentant 1 à 2% du poids démographique du centre. Il la voit comme plus vertueuse car inévitablement plus fidèle aux lois de la nature. Certes la nature est parfois brutale mais jamais vicieuse. Pour Ibn Khaldoun, le pouvoir du centre ne peut être pris voire réactivé qu’à partir d’une asabiyya mobilisant des acteurs de la périphérie. En effet, ce sont les seuls à posséder la force et la détermination nécessaires à la guerre qui reste le mode politique standard d’alors. 
L'exemple du Yémen d'aujourd'hui est édifiant : les "bédouins" houthis ont suffisamment de force de cohésion et d'asabiyya pour pouvoir prendre le pouvoir central et, malgré leur pauvreté, battre l'armée la plus riche du monde arabe. 
Il en est de même du Hezbollah libanais, qui est l'émanation de la faction la plus pauvre et la plus méprisée de la société libanaise : les chiites. Leur solidarité et leur détermination sont si fortes qu'ils sont les seuls, dans la région, à pouvoir contrer efficacement Israël.
VOIR AUSSI :
Hannibal GENSÉRIC

2 commentaires:

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  2. Les détracteurs de l'Empire islamique n'étaient pas seulement des usurpateurs qui s'intéressaient qu'au pouvoir et à la fortunes ; ils ont chassé les descendants du prophète "MOHAMMED" jusqu'à ce jour parce qu'ils portent la piété et la connaissance du saint coran. Ces grassouillets le savent et le dissimulent aux musulmans pour jouir des richesses en complicité avec leurs cousins khazars et cabalistes.

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