Une frappe de précision sur la crédibilité étasunienne
fracasse le paradigme étasunien
La frappe de précision contre le «joyau de la
couronne» saoudien – ses installations de traitement du pétrole brut de la
semaine dernière – constitue également une attaque de précision contre la
crédibilité de ce pays, le
sérieux du «parapluie» sécuritaire étasunien, une humiliation
pour Trump et en particulier pour l’image des États-Unis en tant que puissance
militaire et de renseignement compétente.
Les États du Golfe font la moue, ruminant maintenant
sur leur propre vulnérabilité tout en s’interrogeant sur leur dépendance au
parapluie étasunien. Même le Pentagone pourrait se demander : «Mais à
quoi donc sert le CentCom»
à la lumière de ce qui vient de se passer ? Et par-dessus tout, Israël va sentir un vent glacé
lui donner des frissons dans le dos : les Israéliens ne peuvent être
que frappés de stupeur par la précision du ciblage et l’efficacité
technique de l’attaque. Assez impressionnant – d’autant plus que
l’Arabie saoudite a dépensé l’année dernière – en vain – $65 milliards en armement US.
Face à cette humiliation, l’administration étasunienne
fait de «l’enfumage» : en
jonglant avec des faux fuyants sur l’origine, et le lancement, des drones et
missiles de croisière. «Ce ne peut pas être AnsarAllah (les Houthis), car la
complexité d’une telle opération est au-delà de leurs capacités». Mis à
part l’orientalisme manifeste de cette affirmation – car, si le Hezbollah peut
fabriquer des drones et des missiles de croisière intelligents, pourquoi pas
les Houthis ? Les aspects spécifiques de la frappe d’Abqaiq importent-ils
vraiment ? Ce qui est le plus révélateur, c’est que les États-Unis – avec leurs
ressources massives dans le Golfe – sont incapables d’affirmer d’où provenaient
les drones qui ont frappé Abqaiq.
En réalité, l’ambiguïté du mode opératoire de cette
attaque marque son excellence à un
autre niveau encore.
Les États-Unis font de «l’enfumage» autour des
sites de lancement, principalement pour se soustraire au fait évident – mais
embarrassant – que la
pluie de missiles sur Abqaiq est la conséquence avant tout de la guerre
saoudienne contre le Yémen, appuyée sans réserve par Trump. Les
Houthis ont revendiqué l’attaque ; ils disent qu’ils feront une
démonstration de leur armement, le missile de croisière Houthi Qouds-1 n’est
pas simplement
une copie du missile iranien Soumar – et promettent de répéter
leurs attaques dans un avenir proche.
La frappe de
précision a eu pour résultat de briser le «bastion» étasunien, qui prétendait être une sorte de «gardien»
du Golfe et un garant de la ligne de vie qui alimente les artères d’une fragile
économie mondiale, à savoir l’approvisionnement en pétrole brut. En
d’autres termes, il
s’agissait d’une frappe de précision contre le paradigme dominant,
et elle a tapé dans le mille. Elle a exposé la vacuité de deux prétentions.
Anthony Cordesman écrit :
«Les frappes contre l’Arabie saoudite
envoient un signal stratégique clair, avertissant que l’ère de la suprématie
aérienne étasunienne dans le Golfe et de son quasi-monopole des frappes avec
précision, s’évanouit rapidement».
Les Iraniens étaient-ils directement ou indirectement
impliqués ? Eh bien… cela n’a pas vraiment d’importance.
Pour bien saisir les implications, on devrait le comprendre comme un message
collectif, émanant du front commun – Iran, Syrie,
Hezbollah, Hash’d Shaibi et Houthis. Il s’agissait de mener à
un paroxysme la crise des sanctions au sens large : une
action stratégique, par missile interposé, pour faire éclater la «bulle» largement
exagérée de l’efficacité des tactiques étasuniennes de «pression maximale».
La politique de Trump visant à
«sanctionner et taxer le monde» doit être poussée à l’extrême – et
exploser. La Russie et la Chine, quasi-certainement, et discrètement, en
conviendront et applaudiront.
Cette approche comporte clairement des risques.
Le message sera-t-il correctement perçu à
Washington ? Car, comme le souligne
Gareth Porter dans un contexte différent, la capacité de Washington à
comprendre ou à «bien lire» dans l’esprit de ses «ennemis»
semble avoir été, d’une manière ou d’une autre, perdue, faute à Washington de
s’être découvert une veine d’empathie à l’égard de «l’altérité», qu’elle
soit iranienne, chinoise ou russe. Ainsi, les perspectives, ne sont,
probablement, pas reluisantes. Washington ne le «comprendra pas», mais
doublera plutôt la mise, avec des conséquences potentiellement désastreuses.
Porter écrit :
La frappe
d’Abqaiq est également une démonstration éclatante de la capacité de l’Iran à
surprendre les États-Unis de manière stratégique, bouleversant ainsi ses plans
politico-militaires. L’Iran a passé les deux dernières décennies à se préparer
à une éventuelle confrontation avec ce pays. Le résultat est une nouvelle
génération de drones et de missiles de croisière qui donne à l’Iran la capacité
de contrer beaucoup plus efficacement tout effort étasunien visant à détruire
ses ressources militaires, tout en lui permettant de cibler les bases
étasuniennes à travers le Moyen-Orient.
Les
États-Unis ont, selon toute apparence, été pris par surprise lorsque l'Iran a
abattu un drone de surveillance en haute altitude… Le système de défense
aérienne de l'Iran a été continuellement mis à niveau, à commencer par le
système russe S-300 qu'il a reçu en 2016. L'Iran a également dévoilé en 2019
son système de défense aérienne Bavar-373, qu’il considère comme plus proche du
système russe S-400 convoité par l’Inde et la Turquie, que du système S-300.
Ensuite,
l’Iran a développé une flotte de drones militaires, ce qui a poussé un analyste
à qualifier
l'Iran de ‘superpuissance
des drones’. Ses réalisations en matière de drones incluent,
semble-t-il, le «drone furtif» Shahed-171 doté de missiles à guidage de
précision, et le Shahed-129, qu’il a fabriqué à partir de l’engin étasunien Sentinel
RQ-170 et du Prédateur MQ-1».
Comprendre le message de Porter est la clé pour
apprécier la nature du «Grand glissement» qui se déroule dans la région.
Les robots et les drones — tout simplement — ont changé les modalités de la
guerre. Les anciennes vérités ne tiennent plus : il n’existe pas pour les
États-Unis de solution militaire simple concernant l’Iran.
Une attaque étasunienne contre l’Iran sera suivie
d’une réponse ferme — et d’une escalade. Une invasion étasunienne de grande
envergure — comme celle de l’invasion de l’Irak en 2003 — n’est plus dans les
capacités des États-Unis.
Il ne reste qu’une réponse politique. Mais pour le
moment, les États-Unis et MbS [le prince saoudien Mohammad ben Salman]
sont tous les deux dans une phase de déni : ce dernier pense apparemment
que la poursuite de la vente partielle d’Aramco pourrait résoudre ses problèmes
– bien que les marchés viennent de prendre conscience du risque géopolitique
des actifs tels que ce dernier – et Trump semble toujours croire que la
pression maximale pourrait encore représenter un atout.
Pour le reste d’entre nous, il est assez évident que la solution «politique»
pour l’Arabie saoudite est d’accepter sa défaite au Yémen, avec pour
corollaire sine qua non, l’engagement avec l’Iran et la Russie
pour parvenir à un règlement. Il est certain que cela coûtera cher à MbS, tant
sur le plan politique que financier. Mais quelle est l’alternative ?
Attendre d’autres Abqaiq ? Pour être honnête, il semblerait que les
Al-Saud comprennent que leur
situation est désormais existentielle.
Mais nous verrons bien.
Et pour Trump, la leçon est certainement claire. La
frappe sur Abqaiq aurait pu facilement être bien pire, avec une interruption
plus importante des approvisionnements en pétrole. Les marchés pétroliers et le
marché plus généralement ont pris conscience des risques géopolitiques que
présentaient les tactiques de pression maximale de Trump. Et ils deviennent
nerveux alors que le commerce mondial chancelle.
Des titres de journaux tels que «Les stupéfiantes
attaques du week-end diminuent de 50% la production de pétrole saoudien…
L’économie peut-elle survivre à une hausse du prix du pétrole…?» pourraient
sembler un peu trop alarmistes, mais ils insistent sur le fait que des ruptures
d’approvisionnement pourraient facilement, si des prix plus élevés devaient
être maintenus, faire basculer les États-Unis et l’économie globale dans la
récession.
Personne ne se rend compte mieux que le président
Trump que ses chances de réélection pourraient dépendre de la capacité des
États-Unis à éviter une récession. En règle générale, les présidents des
États-Unis, candidats à un deuxième mandat, sont toujours réélus, à moins
qu’une récession tardive n’intervienne au cours de leur mandat. Ceci est arrivé
à Jimmy Carter et à George H.W. Bush — les deux ont perdu leurs chances de
réélection en raison de la récession au cours de leurs mandats.
Déjà, l’Arabie saoudite et Trump font marche arrière
devant une possible diversion que serait une confrontation avec l’Iran, plutôt
que s’attaquer au problème du Yémen, qui reste à l’origine des difficultés de
l’Arabie saoudite. La question est de savoir combien de temps durera ce déni
des défaillances de la politique de pression maximale contre l’Iran ?
Jusqu’aux élections ? Probablement que oui. Trump, s’il veut être réélu,
doit ménager quelques egos de circonscriptions électorales, tout en évitant en
parallèle le piège mortel que serait une récession. Et cela implique qu’il doit céder à
l’obsession anti-iranienne des évangélistes et de l’AIPAC,
arguant que l’Iran est le «mal cosmique» de notre époque. Un «battement
d’aile de papillon» positif pourrait bien être la
fin du règne de Netanyahou – bien que Gantz
ne soit pas une «colombe» pour l’Iran.
Par Alastair Crooke − Le 23 septembre 2019 −
Source Strategic
Culture
Traduit par Alexandre Moumbaris, relu par Kira pour
le Saker
Francophone
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