jeudi 17 octobre 2019

ORFÈVRERIE RUSSE. Les morts qu’on ne pleure pas


Une certaine presse, celle-là qui fabrique le plasma dans lequel nous sommes immergés pollué de travestissements de la vérité tant elle nous la sert estropiée, invalide, sans substance car elle se trouve tronquée de l’essentiel qui est tu, se lamente récemment sur les Kurdes promis à une mort certaine. 
Depuis 2014, une coalition dirigée par les Usa ‘contre Daesh’ opère en Syrie et en Irak et mène des attaques aériennes sur ces deux pays. Airwars estime qu’elle a tué entre 8.214 et 13.25 civils au cours de 2.890 incidents distincts dont environ 2000 enfants et 1300 femmes. Le porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies déclarait pour sa part en début d’année que les 30.000 attaques aériennes conduites par la coalition depuis  auraient fait 11.800 morts parmi les civils syriens et irakiens. Pour lui, ce nombre élevé est une violation claire des lois internationales et de la Convention de Genève selon lesquelles les belligérants ont le devoir de protéger les populations civiles.

En avril 2017, une attaque aérienne sur un site densément peuplé à l’Est de Mossoul avait tué près de 300 personnes en une seule fois, performance la plus meurtrière depuis la guerre du Vietnam. 
Les écrans risquaient de dégouliner bientôt du sang des pauvres Kurdes abattus par l’armée turque à laquelle les forces étasuniennes ont fort obligeamment cédé les lieux en se retirant. Un tel scénario a failli être joué déjà l’été 2016 et 2018, les Usa allaient céder et les Kurdes se ranger derrière la bannière de l’Etat légal de Syrie, Ankara n’était pas prête. Devant l’offensive turque, les forces démocratiques syriennes (YPG) acculées par une certaine passivité de la coalition ont quasiment été incorporées à celles de l’armée arabe syrienne. Elles   avancent dans le Nord Est de la Syrie sans grande difficulté. Elles se déploient autour de Manbij, de Tabqah vers Aïn Issa et de Hassaka vers Qamishli sans avoir été confrontées à l’armée turque. Ce périmètre dessine à peu près le contour du sandjak de Deir Zour pendant l’Empire ottoman et s’étend très largement au delà des minces bandes de peuplement traditionnel kurde limitrophes de la Turquie actuelle. Cette aisance implique l’existence d’accords préalables sans doute négociés sous l’égide à la fois de la Russie et de l’Iran.
La diplomatie russe et l’ambivalence turque
La Turquie et la Russie ont mis en place à la veille de cette recomposition au Nord de la Syrie un protocole qui va permettre le remplacement progressif des échanges commerciaux entre les deux pays par leurs monnaies nationales respectives.  Cette volonté commune de s’affranchir du dollar, exprimée depuis quelque temps par les deux partenaires, est en train de se concrétiser. Les ordres interbancaires vont emprunter un circuit qui shunte le Swift étasunien et il sera fait usage de cartes de paiement de conception russe (MIR) évitant Visa et Mastercard. La sanction proclamée par Trump d’augmenter les taxes douanières sur les importations d’acier turc vont le renchérir et impacter défavorablement le consommateur étasunien avant d’avoir un effet improbable sur la relance de la production locale étasunienne. Les haut-fourneaux ne redémarrent pas aussi vite qu’une écriture de quelques signes composant un tweet. Or l’économie étasunienne repose sur la consommation elle-même étayée par le système de la dette privée.  Compromettre un équilibre déjà périlleux, ces derniers trimestres sont marqués par une baisse de création d’emplois très nette, comporte des risques pour l’actuel POTUS en période pré-électorale.   
L’offensive contrôlée en territoire syrien de l’armée turque cherche à éradiquer les liens du PKK avec le PYD (parti de l’union démocratique, émanation politique du mouvement autonomiste kurde syrien) et empêcher la formation d’une entité politique kurde souveraine sur son flanc Sud. Elle a aussi l’ambition de ranimer un patriotisme panturc autour de l’AKP boudé lors des dernières élections législatives et communales en raison du marasme économique et de pratiques douteuses et corrompues de l’entourage du pouvoir. La blessure jamais cicatrisée de la perte de l’empire ottoman trouve dans cette communion de quoi être pansée.
Toujours membre de l’OTAN et continuant d’abriter la base étasunienne d’Incirlik et ses bombes nucléaires, la Turquie bénéficie encore à ce titre de son assistance militaire. Lors de la visite à Ankara de son secrétaire général Jens Stoltenberg deux jours avant le début de l’invasion en Syrie, les dépenses de plus de 5 milliards de dollars en bases et infrastructures n’ont pas été remises en cause. Le système de défense aérienne Samp-T co-production française et italienne est toujours déployé pour défendre (contrôler ?) la frontière méridionale turque.
A l’époque du démantèlement du Grand Homme malade de l’Europe, la Turquie kémaliste ramassait ses débris et tout en acceptant les millions de roubles de l’URSS nouvellement créée menait déjà activement des tractations avec le Foreign Office. Erdogan joue encore des mêmes ambiguïtés.  
Le Sandjak de Deir Zour
Le Moyen Orient continue de payer pour l’ordre établi au sortir de la première guerre mondiale, issu de la concertation entre les deux puissances européennes alliées, la France et le Royaume Uni. La création d’États centralisés sur le modèle des ‘nations européennes’ construites au travers de guerres incessantes intra-européennes au fil des siècles de l’émergence du capitalisme marchand puis industriel a rompu l’harmonie relative préalable. Les provinces ottomanes, moyennant quelque tribut à la Porte, jouissaient d’une relative autonomie administrative. L’ethnicisation de la lutte politique est une question récente, actualisée par les puissances occidentales.
Il suffit de se référer à la manière qu’a eue la puissance mandataire en Syrie de traiter la haute Djazira, cette région syrienne entre Hassakah et Ain Al Arab qui s’enfonce en bec de canard dans la région frontalière entre l’Irak et la Turquie. Pour ‘stabiliser’ la zone des ambitions turques, la France qui avait déjà cédé la Cilicie et Mardin entreprend de modifier la démographie et l’économie de la région.
Elle accueille des Kurdes de Turquie surtout après l’effondrement de la révolte kurde de 1925, encourage l’installation de chrétiens, Assyriens d’Irak, Syriaques et Arméniens de Turquie. Le Haut-Commissariat favorise la sédentarisation d’une région essentiellement zone de nomadisme pour des tribus arabes et kurdes éleveurs de moutons. Il a initié les élites urbaines qu’il a forgées en distribuant terres, mandats législatifs et autres prébendes à des revendications d’autonomie selon des bases religieuses ou ethniques. Il a pratiqué comme ailleurs au Maghreb le dialogue direct avec les chefs de tribus en les élevant au rang de collaborateurs redevables de quelques privilèges. Le principe de la pulvérisation de grands ensembles en confettis de principautés autonomes et sans souveraineté de fait car toujours dépendantes d’une puissance externe qui entretient leur division a été appliqué plus que de raison dans l’Orient arabe. Il était de plus hautement morcelable car fait d’une mosaïque d’ethnies et de confessions. Ici n’a pas été appliqué le ‘cujus regio ejus religio’ qui a anéanti les chrétiens ariens négateurs de la consubstantialité du Père et du Fils, les cathares, les albigeois puis les protestants sous le glaive du Prince unificateur des langues et des croyances. 
Mosaïque plutôt que l’uniformité monochrome
 Si cette opération de l’armée arabe syrienne réussissait définitivement, un foyer de tension entre Syriens et Turcs se résorberait. L’avenir des Kurdes habitant la région devra reposer sur une solution politique de type fédéraliste comme pourrait l’être la solution ébauchée en Irak. Les Kurdes de Syrie sont loin d’être homogènes et présentent une grande diversité. Certains y résident de longue date, ce sont les groupes sédentaires Hassenan et Miran qui ont toujours été le moins sensibles au sentiment sécessionniste, comme les tribus nomades des Milli, Dakkourié et des Heverkan. D’autres sont de nouveaux venus installés par vagues successives et provenant de la Turquie ou de l’Irak, leur arrivée fut facilitée par la France puis plus tard par un Hafez Assad soucieux de se prémunir d’une alliance contre ses deux voisins. Si tous parlent le kurmanji, dialecte le plus répandu (70% des Kurdes), certains l’écrivent avec l’alphabet latin, d’autres avec l’arabo-persan. Si la majorité des deux millions de Kurdes syriens sont musulmans sunnites, il en est des minoritaires chrétiens, shiites et yézédis. 
Le gouvernement de Damas saura-t-il faire preuve d’originalité constitutionnelle et admettre comme l’a fait la Bolivie être un Etat de plusieurs peuples ?
De toute évidence, cette séquence historique souligne de nouveau que les affaires du monde échappent de plus en plus à l’hégémonie occidentale. Elle a sûrement été préparée de longue date.
Le rôle que se prépare à jouer la diplomatie française consiste à assurer le ménage dans les rangs des djihadistes mercenaires avérés de la coalition étasunienne, une basse besogne de nettoyage en somme.
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