Une certaine presse, celle-là qui fabrique le plasma
dans lequel nous sommes immergés pollué de travestissements de la vérité tant
elle nous la sert estropiée, invalide, sans substance car elle se trouve
tronquée de l’essentiel qui est tu, se lamente récemment sur les Kurdes promis
à une mort certaine.
Depuis 2014, une coalition dirigée par les Usa ‘contre
Daesh’ opère en Syrie et en Irak et mène des attaques aériennes sur ces deux
pays. Airwars estime
qu’elle a tué entre 8.214
et 13.25 civils au cours de 2.890 incidents distincts dont environ 2000 enfants et 1300 femmes.
Le porte-parole du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies déclarait
pour sa part en début d’année que les 30.000 attaques aériennes conduites par
la coalition depuis auraient fait 11.800
morts parmi les civils syriens et irakiens. Pour lui, ce
nombre élevé est une violation claire des lois internationales et de la
Convention de Genève selon lesquelles les belligérants ont le devoir de
protéger les populations civiles.
En avril 2017, une attaque aérienne sur un site
densément peuplé à l’Est de Mossoul avait tué près de 300 personnes en une seule fois,
performance la plus meurtrière depuis la guerre du Vietnam.
Les écrans risquaient de dégouliner bientôt du sang
des pauvres Kurdes abattus par l’armée turque à laquelle les forces
étasuniennes ont fort obligeamment cédé les lieux en se retirant. Un tel
scénario a failli être joué déjà l’été 2016 et 2018, les Usa allaient céder et
les Kurdes se ranger derrière la bannière de l’Etat légal de Syrie, Ankara
n’était pas prête. Devant l’offensive turque, les forces démocratiques
syriennes (YPG) acculées par une certaine passivité de la coalition ont
quasiment été incorporées à celles de l’armée arabe syrienne. Elles
avancent dans le Nord Est de la Syrie sans grande difficulté. Elles se
déploient autour de Manbij, de Tabqah vers Aïn Issa et de Hassaka vers Qamishli
sans avoir été confrontées à l’armée turque. Ce périmètre dessine à peu près le
contour du sandjak de Deir Zour pendant l’Empire ottoman et s’étend très
largement au delà des minces bandes de peuplement traditionnel kurde
limitrophes de la Turquie actuelle. Cette aisance implique l’existence
d’accords préalables sans doute négociés sous l’égide à la fois de la Russie et
de l’Iran.
La diplomatie russe et l’ambivalence turque
La Turquie et la Russie ont mis en place à la veille de cette recomposition
au Nord de la Syrie un protocole qui
va permettre le remplacement progressif des échanges commerciaux entre les deux
pays par leurs monnaies nationales respectives. Cette volonté
commune de s’affranchir du dollar, exprimée depuis quelque temps par les deux
partenaires, est en train de se concrétiser. Les ordres interbancaires vont
emprunter un circuit qui shunte le Swift étasunien et il sera fait usage de
cartes de paiement de conception russe (MIR) évitant Visa et Mastercard. La
sanction proclamée par Trump d’augmenter les taxes douanières sur les
importations d’acier turc vont le renchérir et impacter défavorablement le
consommateur étasunien avant d’avoir un effet improbable sur la relance de la
production locale étasunienne. Les haut-fourneaux ne redémarrent pas aussi vite
qu’une écriture de quelques signes composant un tweet. Or l’économie
étasunienne repose sur la consommation elle-même étayée par le système de la
dette privée. Compromettre un équilibre déjà périlleux, ces derniers
trimestres sont marqués par une baisse de création d’emplois très nette,
comporte des risques pour l’actuel POTUS en période
pré-électorale.
L’offensive
contrôlée en territoire syrien de l’armée turque cherche à éradiquer les liens
du PKK avec le PYD (parti de l’union démocratique, émanation politique du
mouvement autonomiste kurde syrien) et empêcher la formation d’une entité
politique kurde souveraine sur son flanc Sud.
Elle a aussi l’ambition de ranimer un patriotisme panturc autour de l’AKP boudé
lors des dernières élections législatives et communales en raison du marasme économique et de
pratiques douteuses et corrompues de l’entourage du pouvoir. La blessure
jamais cicatrisée de la perte de l’empire ottoman trouve dans cette communion
de quoi être pansée.
Toujours membre de l’OTAN et continuant d’abriter
la base étasunienne d’Incirlik et ses bombes nucléaires, la Turquie bénéficie
encore à ce titre de son assistance militaire. Lors de la visite à Ankara de
son secrétaire général Jens Stoltenberg deux jours avant le début de
l’invasion en Syrie, les dépenses de plus de 5 milliards de dollars en bases et
infrastructures n’ont pas été remises en cause. Le système de défense aérienne
Samp-T co-production française et italienne est toujours
déployé pour défendre (contrôler ?) la frontière méridionale
turque.
A l’époque du démantèlement du Grand Homme malade de
l’Europe, la Turquie kémaliste ramassait ses débris et tout en acceptant les
millions de roubles de l’URSS nouvellement créée menait déjà activement des
tractations avec le Foreign Office. Erdogan joue encore des mêmes
ambiguïtés.
Le Sandjak de Deir Zour
Le Moyen Orient continue de payer pour l’ordre établi
au sortir de la première guerre mondiale, issu de la concertation entre les
deux puissances européennes alliées, la France et le Royaume Uni. La création
d’États centralisés sur le modèle des ‘nations européennes’ construites au
travers de guerres incessantes intra-européennes au fil des siècles de
l’émergence du capitalisme marchand puis industriel a rompu l’harmonie relative
préalable. Les provinces ottomanes, moyennant quelque tribut à la Porte,
jouissaient d’une relative autonomie administrative. L’ethnicisation de la lutte
politique est une question récente, actualisée par les puissances occidentales.
Il suffit de se référer à la manière qu’a eue la
puissance mandataire en Syrie de traiter la haute Djazira, cette région
syrienne entre Hassakah et Ain Al Arab qui s’enfonce en bec de canard dans la
région frontalière entre l’Irak et la Turquie. Pour ‘stabiliser’ la zone des
ambitions turques, la
France qui avait déjà cédé la Cilicie et Mardin entreprend de modifier la
démographie et l’économie de la région.
Elle accueille des Kurdes de Turquie surtout après l’effondrement de la
révolte kurde de 1925, encourage l’installation de chrétiens, Assyriens d’Irak,
Syriaques et Arméniens de Turquie. Le
Haut-Commissariat favorise la sédentarisation d’une région essentiellement zone
de nomadisme pour des tribus arabes et kurdes éleveurs de moutons. Il a initié
les élites urbaines qu’il a forgées en distribuant terres, mandats législatifs
et autres prébendes à des revendications d’autonomie selon des bases
religieuses ou ethniques. Il a pratiqué comme ailleurs au Maghreb le dialogue
direct avec les chefs de tribus en les élevant au rang de collaborateurs
redevables de quelques privilèges. Le principe de la pulvérisation de grands
ensembles en confettis de principautés autonomes et sans souveraineté de fait
car toujours dépendantes d’une puissance externe qui entretient leur division a
été appliqué plus que de raison dans l’Orient arabe. Il était de plus hautement
morcelable car fait d’une mosaïque d’ethnies et de confessions. Ici n’a pas été
appliqué le ‘cujus regio ejus religio’ qui a anéanti les chrétiens ariens
négateurs de la consubstantialité du Père et du Fils, les cathares, les
albigeois puis les protestants sous le glaive du Prince unificateur des langues
et des croyances.
Mosaïque plutôt que l’uniformité monochrome
Si cette opération de l’armée arabe syrienne
réussissait définitivement, un foyer de tension entre Syriens et Turcs se
résorberait. L’avenir des Kurdes habitant la région devra reposer sur une
solution politique de type fédéraliste comme pourrait l’être la solution
ébauchée en Irak. Les Kurdes de Syrie sont loin d’être homogènes et présentent
une grande diversité. Certains y résident de longue date, ce sont les groupes
sédentaires Hassenan et Miran qui ont toujours été le moins sensibles au
sentiment sécessionniste, comme les tribus nomades des Milli, Dakkourié et des
Heverkan. D’autres sont de nouveaux venus installés par vagues successives et
provenant de la Turquie ou de l’Irak, leur arrivée fut facilitée par la France
puis plus tard par un Hafez Assad soucieux de se prémunir d’une alliance contre
ses deux voisins. Si tous parlent le kurmanji, dialecte le plus répandu (70%
des Kurdes), certains l’écrivent avec l’alphabet latin, d’autres avec
l’arabo-persan. Si la majorité des deux millions de Kurdes syriens sont
musulmans sunnites, il en est des minoritaires chrétiens, shiites et
yézédis.
Le gouvernement de Damas saura-t-il faire preuve
d’originalité constitutionnelle et admettre comme l’a fait la Bolivie être un
Etat de plusieurs peuples ?
De toute évidence, cette séquence historique souligne
de nouveau que les
affaires du monde échappent de plus en plus à l’hégémonie occidentale.
Elle a sûrement été préparée de longue date.
Le rôle que se
prépare à jouer la diplomatie française consiste à assurer
le ménage dans les rangs des djihadistes mercenaires avérés de la
coalition étasunienne, une basse besogne de nettoyage en somme.
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