samedi 26 octobre 2019

Les points clés de l’interview de Poutine par les médias arabes


Le président Poutine a accordé une interview à plusieurs médias arabes avant de partir pour l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Faire un passage sur les points clés de ses déclarations porte à faux les récits de divers médias alternatifs qui proclament que son pays serait soi-disant « allié » de la Résistance contre le Conseil de Coopération du Golfe et « Israël ».
La longue interview accordée par le président Poutine aux médias arabes avant de s’envoler vers le Golfe regorge d’informations : on y trouve à la source la vraie nature de la politique étrangère russe envers la région ; ces informations mettent à mal certains dogmes de la communauté des médias alternatifs, voulant par exemple que Moscou soit « alliée » de la Résistance contre le CCG et « Israël » . Le présent article s’adresse surtout aux personnes intéressées par le sujet, et n’ayant pas le temps d’aller regarder cette interview.

Voici une liste des points clés que le dirigeant russe a tâché d’exposer. Nous y joignons des extraits littéraux de son discours afin d’étayer notre analyse :
·                   La Russie n’est pas partie prenante des affaires régionales ; elle est une force d’« équilibrage » et se refuse à prendre parti pour l’un ou pour l’autre.
« La Russie ne sera jamais l’amie d’un pays par opposition à un autre. Nous bâtissons des relations bilatérales, sur la base de tendances positives générées par les contacts que nous nouons ; nous ne construisons d’alliance contre personne… Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour établir des conditions favorables à des changements dans le bon sens. »
·                   Pour autant, la Russie n’estime pas que son rôle soit de jouer la « médiation » entre des rivaux :
« Le rôle de médiateur n’a rien de bien gratifiant. Je ne pense pas que nos partenaires en Iran et en Arabie Saoudite aient besoin de médiation. De par les relations très amicales que nous cultivons avec tous les pays de la région, Iran et États arabes — tels l’Arabie Saoudite et les EAU — compris, nous pourrions sans aucun doute faire passer des messages entre les parties, afin qu’elles comprennent leurs positionnements réciproques. Mais, connaissant personnellement les dirigeants de ces pays, je suis tout à fait certain qu’ils n’ont pas du tout besoin de conseil ou de médiation. »
·                   Les politiques russes sont tellement « équilibrées » qu’elle poursuit sa coopération militaire avec les « amis » saoudiens :
« À l’ère soviétique, les relations entre Arabie Saoudite et Union soviétique étaient peu développées. Ces dernières années, la qualité de nos relations s’est considérablement améliorée. Nous considérons l’Arabie Saoudite comme une nation amie… Nous privilégions un partenariat basé sur une coopération en matière militaire et de défense, sujet sensible qui exige une confiance mutuelle. Cela fait longtemps que nous menons des négociations à cet égard. »
·                   Cela pourrait constituer un quiproquo quant au soutien de l’Arabie Saoudite envers le processus de paix en Syrie, mené par la Russie:
« J’aimerais souligner ici le rôle positif joué par l’Arabie Saoudite dans la résolution de la crise syrienne. Nous travaillons dans une grande proximité avec la Turquie et l’Iran, comme chacun le sait. Mais je crois que sans la contribution de l’Arabie Saoudite à un accord en Syrie, nous n’aurions jamais pu arriver à donner une tournure positive aux événements… rien n’aurait été possible sans le soutien de l’Arabie Saoudite, et nous le savons tous. »
·                   Sur le dossier de la Syrie, Poutine estime que Damas « est responsable de ce qui se passe sur son territoire » :
« Quant à la Syrie, nous sommes intervenus dans ce pays en soutien au gouvernement légitime, et j’insiste ici sur le mot ‘légitime’. Il n’est pas question d’affirmer qu’ils n’ont pas de problèmes intérieurs à résoudre ; je suis prêt à en parler en détail ultérieurement. Il n’est pas question d’affirmer que le gouvernement en place n’est pas responsable de ce qui se produit sur son territoire. Il l’est… »
·                   Les Syriens ne sont pas uniquement « syriens », ils sont également divisés en matière religieuse ou sectaire, et il relève de la responsabilité de Damas de protéger chacun d’entre eux également :
« La toute première action à mener est de travailler sur la Constitution syrienne, que ce soit en amendant la Constitution en place, ou en en écrivant une nouvelle. Dans les deux cas, elle doit protéger les intérêts de tous les groupes ethniques et religieux. Le peuple syrien doit savoir qu’il vit dans son propre pays, et qu’il y est protégé par la loi. Ce principe doit être vrai tant pour les Sunnites que pour les Chiites, les Alaouites ou les Chrétiens, car la Syrie a toujours été un État hébergeant des religions diverses, chose dont elle peut être fière. »
·                   La Russie « partage les préoccupations des EAU et de l’Arabie Saoudite » quant à l’Iran :
« Je tiens à souligner qu’il n’est qu’affaire naturelle qu’un grand pays comme l’Iran, qui est établi depuis des milliers d’années sur son territoire, défende ses propres intérêts. Les Perses et les Iraniens vivent sur ces territoires depuis des centaines d’années. Nous nous devons de respecter leurs intérêts. Bien entendu, on peut débattre de ce qui est légitime et de ce qui ne l’est pas, de quels intérêts sont légitimes, et desquels dépassent la limite. Un dialogue doit exister pour pouvoir comprendre l’autre, pour saisir toutes les nuances, toutes les intrigues et tous les problèmes. Faute de dialogue, aucun problème ne peut trouver de solution. Pour ces raisons, je pense que je peux partager les préoccupations des EAU et de l’Arabie Saoudite, mais en ce qui concerne des problèmes bilatéraux, il leur appartient de régler leurs problèmes entre eux. »
·                   L’Iran « devrait s’en tenir à la lettre et à l’esprit » de l’accord nucléaire iranien, pour « injuste » que cela soit :
« Les événements auxquels nous assistons ne sont guère productifs. Sans parler de l’injustice consistant à reprocher à l’Iran de ne pas s’en tenir à certains engagements. Ces événements sont contre-productifs : quand une personne ou qu’un pays est traité avec une telle injustice, ils finissent par changer d’attitude, nonobstant ce qu’exigent les accords existants. Dès lors qu’une partie ne souscrit pas à ses obligations, pourquoi l’autre souscrirait-elle aux siennes? Pour autant, je pense que l’Iran devrait s’en tenir à la lettre et à l’esprit des accords [nucléaires convenus avec Obama] ».
·                   Le programme de missiles iranien « peut et devrait être également sujet à discussions », mais sans lien avec l’accord nucléaire iranien :
« Quant au programme de missiles, je suppose que le problème peut et devrait également être sujet à discussion. Nous avons un proverbe en Russie, que les Musulmans approuveront sans doute, qui dit : ‘Il faut savoir faire la différence entre un don de Dieu et des œufs au plat’. Ce sont deux sujets distincts. Le programme de missiles est une chose, et le programme nucléaire en est une toute autre. Je ne dis pas que les conversations à venir ne doivent pas porter sur le programme de missiles, car ceux-ci donnent lieu à diverses préoccupations. Il existe un espace de discussion, mais ne mélangeons pas les torchons et les serviettes ; faute de quoi tous les progrès réalisés pourraient se voir réduits à néant. »
·                   La Russie soutiendra l’« accord du siècle » lorsqu’elle en connaîtra le contenu, et dès lors que celui-ci amènera à une paix véritable :
« Pour en venir à l »accord du siècle’, nous soutiendrons tout accord qui amènera la paix, mais il faut que nous sachions de quoi il s’agit. Les USA se sont montrés assez flous quant aux détails de l’accord. Washington a laissé dans l’obscurité les peuples du monde et de la région, le Moyen-Orient, et la Palestine.« .
·                   Après tout, la Russie « est intéressée par ce qui se passe » en Israël, puisqu’il s’agit « presque d’un pays russophone »:
« Accessoirement, nous cultivons de très bonnes relations avec Israël également. Presque 1,5 millions d’Israéliens viennent de l’ex-Union soviétique. Israël est presque un pays russophone. On entend souvent parler le russe dans les magasins un peu partout. Nous nous intéressons aux événements qui se produisent en Israël ».
·                   La Russie et « Israël » veulent véritablement la paix, qui mettra fin aux actions « terroristes » menées par des Palestiniens désespérés :
« Nous sommes profondément engagés, parce que nous estimons que le conflit israélo-palestinien constitue la clé permettant de résoudre de nombreux autres problèmes de la région. Tant qu’il ne sera pas résolu, ce conflit continuera d’alimenter le radicalisme, le terrorisme, et d’autres choses. Dès lors que les gens n’ont pas de moyens légaux de faire valoir leurs droits, ils prennent les armes. En ce sens, je pense que les Israéliens sont également intéressés par une solution à long terme, au même titre que les Palestiniens. »
Comme le montrent tous les points cités ci-avant, la Russie n’est en aucun cas « alliée » de la Résistance, comme le proclament certaines personnalités des médias alternatifs. Au contraire, elle se montre extrêmement critique envers le dirigeant iranien, résistant s’il en est et allié de la Syrie, et fait preuve d’une sympathie à toute épreuve envers « Israël » et le CCG. Ces positionnements s’expliquent par la stratégie d’« équilibrage » jouée par Moscou dans la région.
Par Andrew Korybko − Le 15 octobre 2019 − Source oneworld.press
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par JMarti, relu par Kira pour le Saker Francophone


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Hannibal GENSÉRIC



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