Le
président Poutine a accordé une interview à plusieurs médias arabes avant de
partir pour l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Faire un passage sur
les points clés de ses déclarations porte à faux les récits de divers médias
alternatifs qui proclament que son pays serait soi-disant « allié » de la
Résistance contre le Conseil de Coopération du Golfe et « Israël ».
La
longue interview accordée par le président Poutine aux médias arabes avant de
s’envoler vers le Golfe regorge d’informations : on y trouve à la source la
vraie nature de la politique étrangère russe envers la région ; ces
informations mettent à mal certains dogmes de
la communauté des médias alternatifs, voulant par exemple que Moscou soit « alliée »
de la Résistance contre le CCG et « Israël » .
Le présent article s’adresse surtout aux personnes intéressées par le sujet, et
n’ayant pas le temps d’aller regarder cette interview.
Voici
une liste des points clés que le dirigeant russe a tâché d’exposer. Nous y
joignons des extraits littéraux de son discours afin d’étayer notre analyse :
·
La Russie n’est
pas partie prenante des affaires régionales ; elle est une force d’« équilibrage »
et se refuse à prendre parti pour l’un ou pour l’autre.
« La
Russie ne sera jamais l’amie d’un pays par opposition à un autre. Nous
bâtissons des relations bilatérales, sur la base de tendances positives
générées par les contacts que nous nouons ; nous ne construisons d’alliance
contre personne… Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour établir des
conditions favorables à des changements dans le bon sens. »
·
Pour autant, la
Russie n’estime pas que son rôle soit de jouer la « médiation » entre des
rivaux :
« Le
rôle de médiateur n’a rien de bien gratifiant. Je ne pense pas que nos
partenaires en Iran et en Arabie Saoudite aient besoin de médiation. De par les
relations très amicales que nous cultivons avec tous les pays de la région,
Iran et États arabes — tels l’Arabie Saoudite et les EAU — compris, nous
pourrions sans aucun doute faire passer des messages entre les parties, afin
qu’elles comprennent leurs positionnements réciproques. Mais, connaissant
personnellement les dirigeants de ces pays, je suis tout à fait certain qu’ils
n’ont pas du tout besoin de conseil ou de médiation. »
·
Les politiques
russes sont tellement « équilibrées » qu’elle
poursuit sa coopération militaire avec les « amis » saoudiens :
« À
l’ère soviétique, les relations entre Arabie Saoudite et Union soviétique
étaient peu développées. Ces dernières années, la qualité de nos relations
s’est considérablement améliorée. Nous considérons l’Arabie Saoudite comme une
nation amie… Nous privilégions un partenariat basé sur une coopération en
matière militaire et de défense, sujet sensible qui exige une confiance
mutuelle. Cela fait longtemps que nous menons des négociations à cet
égard. »
·
Cela pourrait
constituer un quiproquo quant au soutien de
l’Arabie Saoudite envers le processus de paix en Syrie, mené par la Russie:
« J’aimerais
souligner ici le rôle positif joué par l’Arabie Saoudite dans la résolution de
la crise syrienne. Nous travaillons dans une grande proximité avec la Turquie
et l’Iran, comme chacun le sait. Mais je crois que sans la contribution de
l’Arabie Saoudite à un accord en Syrie, nous n’aurions jamais pu arriver à
donner une tournure positive aux événements… rien n’aurait été possible sans le
soutien de l’Arabie Saoudite, et nous le savons tous. »
·
Sur le dossier
de la Syrie, Poutine estime que Damas « est responsable de ce qui se passe sur
son territoire » :
« Quant
à la Syrie, nous sommes intervenus dans ce pays en soutien au gouvernement
légitime, et j’insiste ici sur le mot ‘légitime’. Il n’est pas question
d’affirmer qu’ils n’ont pas de problèmes intérieurs à résoudre ; je suis prêt à
en parler en détail ultérieurement. Il n’est pas question d’affirmer que le
gouvernement en place n’est pas responsable de ce qui se produit sur son
territoire. Il l’est… »
·
Les Syriens ne
sont pas uniquement « syriens », ils sont
également divisés en matière religieuse ou sectaire, et il relève de la
responsabilité de Damas de protéger chacun d’entre eux également :
« La
toute première action à mener est de travailler sur la Constitution syrienne,
que ce soit en amendant la Constitution en place, ou en en écrivant une
nouvelle. Dans les deux cas, elle doit protéger les intérêts de tous les
groupes ethniques et religieux. Le peuple syrien doit savoir qu’il vit dans son
propre pays, et qu’il y est protégé par la loi. Ce principe doit être vrai tant
pour les Sunnites que pour les Chiites, les Alaouites
ou les Chrétiens, car la Syrie a toujours été un État hébergeant des religions
diverses, chose dont elle peut être fière. »
·
La Russie « partage
les préoccupations des EAU et de l’Arabie Saoudite » quant à
l’Iran :
« Je
tiens à souligner qu’il n’est qu’affaire naturelle qu’un grand pays comme
l’Iran, qui est établi depuis des milliers d’années sur son territoire, défende
ses propres intérêts. Les Perses et les Iraniens vivent sur ces territoires
depuis des centaines d’années. Nous nous devons de respecter leurs intérêts.
Bien entendu, on peut débattre de ce qui est légitime et de ce qui ne l’est
pas, de quels intérêts sont légitimes, et desquels dépassent la limite. Un
dialogue doit exister pour pouvoir comprendre l’autre, pour saisir toutes les
nuances, toutes les intrigues et tous les problèmes. Faute de dialogue, aucun
problème ne peut trouver de solution. Pour ces raisons, je pense que je peux
partager les préoccupations des EAU et de l’Arabie Saoudite, mais en ce qui concerne
des problèmes bilatéraux, il leur appartient de régler leurs problèmes entre
eux. »
·
L’Iran « devrait
s’en tenir à la lettre et à l’esprit » de l’accord nucléaire
iranien, pour « injuste » que cela soit
:
« Les
événements auxquels nous assistons ne sont guère productifs. Sans parler de
l’injustice consistant à reprocher à l’Iran de ne pas s’en tenir à certains
engagements. Ces événements sont contre-productifs : quand une personne ou
qu’un pays est traité avec une telle injustice, ils finissent par changer
d’attitude, nonobstant ce qu’exigent les accords existants. Dès lors qu’une
partie ne souscrit pas à ses obligations, pourquoi l’autre souscrirait-elle aux
siennes? Pour autant, je pense que l’Iran devrait s’en tenir à la lettre et à
l’esprit des accords [nucléaires convenus avec Obama] ».
·
Le programme de
missiles iranien « peut et devrait être également sujet à
discussions », mais sans lien avec l’accord nucléaire iranien
:
« Quant
au programme de missiles, je suppose que le problème peut et devrait également
être sujet à discussion. Nous avons un proverbe en Russie, que les Musulmans
approuveront sans doute, qui dit : ‘Il faut savoir faire la différence entre un
don de Dieu et des œufs au plat’. Ce sont deux sujets distincts. Le programme
de missiles est une chose, et le programme nucléaire en est une toute autre. Je
ne dis pas que les conversations à venir ne doivent pas porter sur le programme
de missiles, car ceux-ci donnent lieu à diverses préoccupations. Il existe un
espace de discussion, mais ne mélangeons pas les torchons et les serviettes ;
faute de quoi tous les progrès réalisés pourraient se voir réduits à
néant. »
·
La Russie
soutiendra l’« accord du siècle »
lorsqu’elle en connaîtra le contenu, et dès lors que celui-ci amènera à une
paix véritable :
« Pour
en venir à l »accord du siècle’, nous soutiendrons tout accord qui amènera
la paix, mais il faut que nous sachions de quoi il s’agit. Les USA se sont
montrés assez flous quant aux détails de l’accord. Washington a laissé dans
l’obscurité les peuples du monde et de la région, le Moyen-Orient, et la
Palestine.« .
·
Après tout, la
Russie « est
intéressée par ce qui se passe » en Israël, puisqu’il s’agit « presque
d’un pays russophone »:
« Accessoirement,
nous cultivons de très bonnes relations avec Israël également. Presque 1,5
millions d’Israéliens viennent de l’ex-Union soviétique. Israël est presque un
pays russophone. On entend souvent parler le russe dans les magasins un peu
partout. Nous nous intéressons aux événements qui se produisent en
Israël ».
·
La Russie et « Israël »
veulent véritablement la paix, qui mettra fin aux actions « terroristes »
menées par des Palestiniens désespérés :
« Nous
sommes profondément engagés, parce que nous estimons que le conflit
israélo-palestinien constitue la clé permettant de résoudre de nombreux autres
problèmes de la région. Tant qu’il ne sera pas résolu, ce conflit continuera
d’alimenter le radicalisme, le terrorisme, et d’autres choses. Dès lors que les
gens n’ont pas de moyens légaux de faire valoir leurs droits, ils prennent les
armes. En ce sens, je pense que les Israéliens sont également intéressés par
une solution à long terme, au même titre que les Palestiniens. »
Comme le
montrent tous les points cités ci-avant, la Russie n’est en aucun cas « alliée »
de la Résistance, comme le proclament certaines personnalités des médias
alternatifs. Au contraire, elle se montre extrêmement critique envers le
dirigeant iranien, résistant s’il en est et allié de la Syrie, et fait preuve
d’une sympathie à toute épreuve envers « Israël » et le CCG. Ces
positionnements s’expliquent par la stratégie d’« équilibrage » jouée par
Moscou dans la région.
Par Andrew Korybko
− Le 15 octobre 2019 − Source oneworld.press
Andrew Korybko est un
analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations
entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes
de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit
par JMarti, relu par Kira pour le Saker Francophone
VOIR AUSSI :
Hannibal GENSÉRIC
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