lundi 7 octobre 2019

La stratégie de puissance de la Chine à propos des terres rares


En 2010, la Chine extrait 93% des terres rares dans le monde et possède plus de 99% des réserves mondiales de certaines variétés les plus prisées. Ces matières premières constituent un composant essentiel dans la fabrication de biens tels que les téléphones portables, les batteries, les téléviseurs LED et autres produits technologiques. Le Japon est alors le principal acheteur de terres rares chinoises depuis de nombreuses années et les utilise à diverses fins industrielles, notamment pour la fabrication de verre pour panneaux solaires. Elles sont également utilisées dans la fabrication des moteurs de voitures hybrides comme la Toyota Prius. Il s’agit donc d’une ressource stratégique pour de nombreux secteurs d’activité, et cette situation de quasi-monopole chinois est une source de tension récurrent entre les deux pays, et au niveau international.
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A plusieurs reprises, la Chine à déjà limité ses quotas d’exportation, provoquant une flambée de prix et l’irritation des pays Occidentaux, principaux importateurs.
Un prétexte pour une offensive informationnelle destinée à semer le doute
Le 7 Septembre 2010, le capitaine d’un bateau de pêche Chinois est arrêté par un garde-côte Japonais, suite à une collision entre les deux navires, survenue dans les eaux japonaises, à proximité d’un archipel revendiqué par la Chine. Ce petit incident va servir de prétexte à la Chine pour tester son rapport de force avec le Japon, puis avec l’Europe et les États-Unis. A cette fin, elle va émettre des messages contradictoires, ou a minima difficiles à interpréter, via différents vecteurs afin d’entretenir la confusion sur ses intentions réelles. Quelques jours après cette arrestation, les industriels japonais commencent à constater des difficultés d’approvisionnement en terres rares. Et le Premier Ministre Chinois, M. Wen, appelle à libérer le capitaine retenu, sous peine d’engager d’autres actions pour contraindre les japonais à s’exécuter. Mais, au même moment, un porte-parole du gouvernement chinois affirme qu’aucun embargo n’a été décidé. D’ailleurs un responsable du ministère japonais des Affaires étrangères, qui a requis l’anonymat, a confirmé à la presse que le gouvernement japonais n’avait d’ailleurs reçu aucun document de la Chine concernant un quelconque embargo.
Par ailleurs, d’après les industriels japonais, ce sont les douanes chinoises qui font barrage aux exportations : aussi, la Chine s’abstiendrait précautionneusement d’interdire officiellement les exportations. Cela permettrait en effet immédiatement au Japon de faire valoir ses droits devant l’OM et d’engager une procédure officielle. Par contre, tant qu’il s’agit d’une décision administrative qui limite le chargement de métaux rares sur les cargos à sa destination, les voies de recours du Japon sont bien plus incertaines auprès des instances internationales.
Une généralisation des tensions
Durant le mois d’octobre suivant, d’autres industriels, européens et américains cette fois, constatent à leur tour des difficultés d’approvisionnement en terres rares. L' « embargo » semble désormais s’étendre vers des pays au-delà du seul Japon. Ils affirment comme leurs homologues japonais que les douanes chinoises limitent les exportations. Or, cette généralisation eu lieu quelques heures à peine après que Zhang Guobao, le plus haut responsable de l’énergie du pays, ait convoqué des journalistes étrangers pour leur faire part de son indignation quant à la décision du gouvernement américain d’ouvrir une enquête préliminaire pour déterminer si la Chine subventionnait ses exportations d’énergie propre – et limitait les importations – au mépris des règles de libre-échange de l’Organisation Mondiale du Commerce. D’autres industriels affirment être toujours approvisionnés en temps et en heure, ce qui entretient la confusion sur les véritables intentions du gouvernement chinois.
Aussi, la position officielle de la Chine est très difficile à cerner. Le ministère du Commerce a déclaré en sus que les informations publiées récemment dans la presse nationale, qui faisaient état d’une réduction de 30% des quotas d’exportation de terres rares l’année prochaine, serait « totalement sans fondement » et qu’aucune décision n’avait encore été prise sur les futurs quotas. Le communiqué a également déclaré que « la Chine continuera d’exporter de la terre rare dans le monde et dans le même temps, afin de conserver des ressources épuisables et de maintenir un développement durable, La Chine continuera également d’imposer les restrictions nécessaires à l’extraction, à la fabrication et à l’exportation de terres rares. » Elle prend ainsi à revers les accusations dont elle fait l’objet sur les conditions d’exploitation des mines et de leur impact sur l’environnement.
Une confusion entretenue par un « jeu » sur les trois échiquiers
Ainsi, par différents vecteurs, la Chine souffle le chaud et le froid, en affirmant à la fois qu’il n’y a pas de restrictions à l’exportation, officiellement alors  que, dans le même dans les industriels constatent eux-mêmes des ruptures d’approvisionnement – justifiées, selon des sources informelles, par des inspections complémentaires des douanes chinoises –  et qu’à l’avenir elle se préoccupera des conditions d’exploitation des mines dans une logique de développement durable, ce qui pourrait avoir un impact sur les volumes de production. Cette stratégie a pour effet de mettre la pression chez la (ou les) cible, en particulier le Japon, mais aussi progressivement les États-unis et l’Europe. Ainsi, John Clancy, porte-parole de la Commission européenne pour le commerce, a déclaré qu’ « à l’heure actuelle, nous ne pouvons pas confirmer les affirmations de responsables de l’industrie européenne dans les médias rapportant que la Chine bloquait des livraisons de terres rares à l’Union européenne ».
La Chine opère donc potentiellement sur l’ensemble des trois échiquiers : l’échiquier concurrentiel (quotas limitant l’accès à une ressource rare et provoquant une hausse des prix), l’échiquier politique (rapport de force avec les pays Occidentaux et les instances internationales), et l’échiquier sociétal (prise en compte de l’argument écologique). Cette confusion savamment entretenue limite la capacité de réaction des cibles. La multiplication des raisons potentielles justifiant l’attitude de la Chine, et des interlocuteurs impliqués, complique l’identification des responsabilités, et entretien la confusion sur les objectifs recherchés.
Le 13 mars 2012, les États-Unis – appuyée par l’Union européenne et le Japon – ont finalement déposé une plainte à l’OMC. Les autorités chinoises ont fortement réagi : le 15 mars 2012, le porte-parole du ministère du Commerce, Shen Danyang, a défendu la position chinoise en rappelant que la politique chinoise de contrôle des exportations vise « à protéger les ressources et l’environnement , à parvenir à un développement durable » et que « la Chine n’a aucune intention de restreindre la liberté du commerce international ou à protéger ses industries domestiques en manipulant son commerce extérieur ». Un accord a été finalement signé dans le cadre de l’OMC le 21 Mai 2015, soit près de 5 ans après le déclanchement de la crise. Néanmoins, aujourd’hui, près de dix ans après le fait prétendument générateur, et 4 ans après qu’il a été tranché par l’OMC, on observe que la Chine réemploie la même arme dans le cadre de son rapport de force avec les États-Unis : elle menace de rétablir des restrictions et a d’ores et déjà augmenté les taxes sur les exportations à destination des Etats Unis de 10% à 25%.
Mais la situation semble plus équilibrée, car les États-Unis ont commencé à tirer les enseignements de leur trop forte dépendance : « Le quasi-monopole de la Chine risque de devenir une menace pour la sécurité nationale », peut-on notamment lire dans une note du Congrès publiée en 2013. Depuis, les États-Unis ont commencé, certes modestement, à réinvestir dans des capacités de productions propres. Et surtout, cette tendance semble s’accélérer actuellement : ainsi, un producteur australien vient d’annoncer qu’il allait investir massivement dans la création de 2 usines, et un acteur américain s’est également lancé. En outre, la Chine est elle-même importatrice nette de 7 catégories de terres rares, dont une part provient des États-Unis… Enfin et surtout, la mise à exécution de ses menaces pourrait décider la mise en place d’une véritable stratégie de limitation de leur dépendance à long terme vis-à-vis des autres acteurs.
Aussi, si l’attaque initiale menée en 2010 pouvait être analysée comme puissante, sa tentative actuelle de s’appuyer sur les mêmes armes semble plus risquée ; le contexte a évolué, et il semble bien que nous soyons dans un cas où l’adage échiquéen « la menace est plus forte que l’exécution » se vérifie.
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