En 2010,
la Chine extrait 93% des terres rares dans le monde et possède plus de 99% des
réserves mondiales de certaines variétés les plus prisées. Ces matières
premières constituent un composant essentiel dans la fabrication de biens tels
que les téléphones portables, les batteries, les téléviseurs LED et autres
produits technologiques. Le Japon est alors le principal acheteur de terres
rares chinoises depuis de nombreuses années et les utilise à diverses fins
industrielles, notamment pour la fabrication de verre pour panneaux solaires.
Elles sont également utilisées dans la fabrication des moteurs de voitures
hybrides comme la Toyota Prius. Il s’agit donc d’une ressource stratégique pour de nombreux
secteurs d’activité, et cette situation de quasi-monopole chinois est une source de
tension récurrent entre les deux pays, et au niveau international.
A plusieurs
reprises, la Chine à déjà limité ses quotas d’exportation, provoquant une
flambée de prix et l’irritation des pays Occidentaux, principaux importateurs.
Un prétexte pour une offensive informationnelle destinée à
semer le doute
Le 7
Septembre 2010, le capitaine d’un bateau de pêche Chinois est arrêté par un
garde-côte Japonais, suite à une collision entre les deux navires, survenue
dans les eaux japonaises, à proximité d’un archipel revendiqué par la Chine. Ce
petit incident va servir de prétexte à la Chine pour tester son rapport de
force avec le Japon, puis avec l’Europe et les États-Unis. A cette fin, elle va
émettre des messages contradictoires, ou a minima difficiles à interpréter, via
différents vecteurs afin d’entretenir la confusion sur ses intentions réelles.
Quelques jours après cette arrestation, les industriels japonais commencent à
constater des difficultés d’approvisionnement en terres rares. Et le Premier
Ministre Chinois, M. Wen, appelle à libérer le capitaine retenu, sous peine
d’engager d’autres actions pour contraindre les japonais à s’exécuter. Mais, au
même moment, un porte-parole du gouvernement chinois affirme qu’aucun embargo
n’a été décidé. D’ailleurs un responsable du ministère japonais des Affaires
étrangères, qui a requis l’anonymat, a confirmé à la presse que le gouvernement
japonais n’avait d’ailleurs reçu aucun document de la Chine concernant un
quelconque embargo.
Par
ailleurs, d’après les industriels japonais, ce sont les douanes chinoises qui
font barrage aux exportations : aussi, la Chine
s’abstiendrait précautionneusement d’interdire officiellement les exportations.
Cela permettrait en effet immédiatement au Japon de faire valoir ses droits
devant l’OM et d’engager une procédure officielle. Par contre, tant qu’il
s’agit d’une décision administrative qui limite le chargement de métaux rares
sur les cargos à sa destination, les voies de recours du Japon sont bien plus
incertaines auprès des instances internationales.
Une généralisation des tensions
Durant
le mois d’octobre suivant, d’autres industriels, européens et américains cette
fois, constatent à leur tour des difficultés d’approvisionnement en terres
rares. L' « embargo » semble désormais s’étendre vers des pays
au-delà du seul Japon. Ils affirment comme leurs homologues japonais que les
douanes chinoises limitent les exportations. Or, cette généralisation eu lieu
quelques heures à peine après que Zhang Guobao, le plus haut responsable de
l’énergie du pays, ait convoqué des journalistes étrangers pour leur faire part
de son indignation quant à la décision du gouvernement américain d’ouvrir une enquête
préliminaire pour déterminer si la Chine subventionnait ses exportations d’énergie
propre – et limitait les importations – au mépris des règles de libre-échange
de l’Organisation Mondiale du Commerce. D’autres industriels affirment être
toujours approvisionnés en temps et en heure, ce qui entretient la confusion
sur les véritables intentions du gouvernement chinois.
Aussi,
la position officielle de la Chine est très difficile à cerner. Le ministère du
Commerce a déclaré en sus que les informations publiées récemment dans la
presse nationale, qui faisaient état d’une réduction de 30% des quotas
d’exportation de terres rares l’année prochaine, serait « totalement sans
fondement » et qu’aucune décision n’avait encore été prise sur les futurs
quotas. Le communiqué a également déclaré que « la Chine continuera d’exporter
de la terre rare dans le monde et dans le même temps, afin de conserver des
ressources épuisables et de maintenir un développement durable, La Chine
continuera également d’imposer les restrictions nécessaires à l’extraction, à
la fabrication et à l’exportation de terres rares. » Elle prend ainsi à
revers les accusations dont elle fait l’objet sur les conditions d’exploitation
des mines et de leur impact sur l’environnement.
Une confusion entretenue par un « jeu » sur les
trois échiquiers
Ainsi,
par différents vecteurs, la Chine souffle le chaud et le froid, en affirmant à
la fois qu’il n’y a pas de restrictions à l’exportation, officiellement alors
que, dans le même dans les industriels constatent eux-mêmes des ruptures
d’approvisionnement – justifiées, selon des sources informelles, par des
inspections complémentaires des douanes chinoises – et qu’à l’avenir elle
se préoccupera des conditions d’exploitation des mines dans une logique de
développement durable, ce qui pourrait avoir un impact sur les volumes de
production. Cette stratégie a pour effet de mettre la pression chez la (ou les)
cible, en particulier le Japon, mais aussi progressivement les États-unis et
l’Europe. Ainsi, John Clancy, porte-parole de la Commission européenne pour le
commerce, a déclaré qu’ « à l’heure actuelle, nous ne pouvons pas confirmer
les affirmations de responsables de l’industrie européenne dans les médias
rapportant que la Chine bloquait des livraisons de terres rares à l’Union
européenne ».
La
Chine opère donc potentiellement sur l’ensemble des trois échiquiers : l’échiquier
concurrentiel (quotas limitant l’accès à une ressource rare et provoquant
une hausse des prix), l’échiquier politique (rapport de force avec les
pays Occidentaux et les instances internationales), et l’échiquier sociétal
(prise en compte de l’argument écologique). Cette confusion savamment
entretenue limite la capacité de réaction des cibles. La multiplication des
raisons potentielles justifiant l’attitude de la Chine, et des interlocuteurs
impliqués, complique l’identification des responsabilités, et entretien la
confusion sur les objectifs recherchés.
Le
13 mars 2012, les États-Unis – appuyée par l’Union européenne et le Japon – ont
finalement déposé une plainte à l’OMC. Les autorités chinoises ont fortement
réagi : le 15 mars 2012, le
porte-parole du ministère du Commerce, Shen Danyang, a défendu la position
chinoise en rappelant que la politique chinoise de contrôle des exportations
vise « à protéger les ressources et l’environnement , à parvenir à un
développement durable » et que « la Chine n’a aucune intention de
restreindre la liberté du commerce international ou à protéger ses industries
domestiques en manipulant son commerce extérieur ». Un
accord a été finalement signé dans le cadre de l’OMC le 21 Mai 2015, soit
près de 5 ans après le déclanchement de la crise. Néanmoins, aujourd’hui, près
de dix ans après le fait prétendument générateur, et 4 ans après qu’il a été
tranché par l’OMC, on observe que la Chine réemploie la même arme dans le cadre de son rapport de force
avec les États-Unis : elle
menace de rétablir des restrictions et a d’ores et déjà augmenté les taxes sur
les exportations à destination des Etats Unis de 10% à 25%.
Mais
la situation semble plus équilibrée, car les États-Unis ont commencé à tirer
les enseignements de leur trop forte dépendance : « Le quasi-monopole de
la Chine risque de devenir une menace pour la sécurité nationale »,
peut-on notamment lire dans une
note du Congrès publiée en 2013. Depuis, les États-Unis ont commencé,
certes modestement, à réinvestir dans des capacités de productions propres. Et
surtout, cette tendance semble s’accélérer actuellement : ainsi, un producteur
australien vient
d’annoncer qu’il allait investir massivement dans la création de 2 usines,
et un acteur américain s’est également lancé. En outre, la Chine est elle-même importatrice
nette de 7 catégories de terres rares, dont une part provient des États-Unis…
Enfin et surtout, la mise à exécution de ses menaces pourrait décider la mise
en place d’une véritable stratégie de limitation de leur dépendance à long
terme vis-à-vis des autres acteurs.
Aussi,
si l’attaque initiale menée en 2010 pouvait être analysée comme puissante, sa
tentative actuelle de s’appuyer sur les mêmes armes semble plus risquée ;
le contexte a évolué, et il semble bien que nous soyons dans un cas où l’adage
échiquéen « la menace est plus forte que l’exécution » se
vérifie.
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