Dans la guerre commerciale qui fait
rage entre Washington et Pékin, dont l'épisode Huawei n'est que le dernier
avatar, le dragon vient de lancer un avertissement qui n'est pas passé
inaperçu.
A Guanzhou, le président chinois Xi Jinping s'est rendu au siège d'une société de haute technologie
spécialisée dans les terres rares. Le message n'a échappé à personne :
En formalisant la défiance envers
Huawei par un décret lui rendant très difficile les relations commerciales avec
des entreprises américaines [Google etc.], Donald Trump a-t-il enclenché un
mouvement de fond aux conséquences difficilement prévisibles ?
Mais si Donald Trump peut faire
bloquer l'accès aux composants américains, son homologue Xi Jinping a aussi des
leviers à actionner. Sa visite ce lundi d'un site d'extraction de terres rares
est sans doute loin d'être anodin.
Ces terres, pas si rares, sont
indispensables à la fabrication de nombreux composants électroniques et la
Chine en est le fournisseur mondial de référence, et de loin. Elle pourrait
donc très bien imposer des restrictions sur les exportations qui toucheraient
durement en retour les fabricants de composants et par extension leurs
concepteurs... c'est à dire ces mêmes entreprises américaines qui ont suspendu
leurs approvisionnements à Huawei !
L'oncle Sam une nouvelle fois dans le rôle de l'arroseur arrosé ? Toujours est-il que les marchés
financiers ne s'y trompent pas : suite aux menaces voilées de Xi, les cours des
terres rares et des compagnies du secteur explosent depuis deux jours :
Ces terres rares, que les États-Unis
importent à 80% de Chine, sont utilisées aussi bien dans l'optique de pointe
que le raffinage du pétrole, les radars ou encore la téléphonie. Bref, des
métaux hautement stratégiques et dont la Chine a plus ou moins l'apanage. Le
dragon n'est pas seulement le premier producteur au monde (71 %), il en
est aussi le premier raffineur. Les terres rares ont en effet besoin d'être
séparées et purifiées avant de pouvoir être utilisées, et même les quelques
compagnies US d'extraction envoient leur production en Chine pour y être
raffinée à des coûts bien moindres.
Si l'Empire réagit sur ce dernier
point, par exemple en promouvant l'ouverture d'une usine de transformation au
Texas, la dure réalité géologique dégrise les petits génies de Washington.
Comme pour les réserves de gaz, monopolisées par quelques acteurs qui se
comptent sur les doigts de la main, les terres rares sont le privilège d'une
poignée de pays. Selon l'Institut US d'études géologiques, sur les 120
millions de tonnes de réserves dans le monde, la Chine en détient 44 millions. Suivent le Vietnam et le
Brésil (22 millions chacun), la Russie (12 millions) et l'Inde (7 millions).
Quant aux États-Unis et leur malheureux million et demi de tonnes, ils ont
autant de chances de pourvoir à leurs besoins que les îles Sandwich de marquer
quatre essais aux All Blacks...
Nul doute que les Américains
tenteront, ces prochaines années, de diversifier leur approvisionnement (Brésil
ou Vietnam ?) mais ce genre de reconfiguration prend du temps. Pour l'instant,
les stratèges de DC-la-folle doivent se prendre la tête à deux mains : à la suprématie gazière russe s'ajoute l'hégémonie chinoise
sur les terres rares. Car, derrière, transparaît évidemment le
Grand jeu...
Le Donald a la Chine dans sa mire
depuis fort longtemps. Le fidèle lecteur avait été prévenu dès son entrée en fonction en janvier
2017 :
Pour Trump, la cible chinoise n'est
peut-être pas seulement économique. Les observateurs avisés de la chose
internationale sont dans l'expectative. The National Interest évoque un possible "Nixon à l'envers" : jouer
cette fois la Russie contre la Chine. Fait qui ne manque pas de sel, ce
retournement est soutenu par le vénérable Kissinger, officieux conseiller de
Trump et éminence grise de Nixon, qui avait conseillé le pivot vers Pékin. De
quoi faire baver de rage le docteur Zbig, toujours pas guéri de sa
russophobie maladive et qui préférerait jouer la carte chinoise contre
Moscou...
Cela semble confirmé par l'ancien président Carter pour qui la guerre
"commerciale" contre Pékin n'a rien à voir avec le commerce mais tout
à voir avec le fait que la Chine est en train de dépasser les États-Unis, selon
les propres confidences que lui a faites Trump.
Le Donald, c'est important de le
préciser, n'a jamais balayé d'un revers de main le Grand jeu mené par le Deep
State. S'il s'est, autant que faire se peut, résolument opposé à la
croisade contre la Russie, le président américain est tout à fait conscient de la
catastrophe stratégique pour l'empire que représente le rapprochement
sino-russe. Il le disait déjà publiquement lors de sa campagne
électorale (4'10) :
Aussi ne faut-il pas s'étonner que
l'obsession anti-chinoise de Trump le place sur la même ligne qu'une grand
partie de son Etat profond, soudain moins virulent envers l'occupant de la
Maison Blanche. Ô ironie, il rejoint dans la danse son grand ennemi Soros,
lui aussi littéralement obnubilé par le dragon :
« La Chine n'est pas le seul
régime autoritaire du monde, mais c'est sans aucun doute le plus riche, le plus
fort et le plus développé en matière d'intelligence artificielle. Cela fait de Xi
Jinping le plus dangereux ennemi de ceux qui croient en des sociétés libres. »
On en verserait presque une larme...
Pour Washington, cela déjà fait un
certain temps que Pékin a rejoint Moscou dans le clan envié des grands
méchants, ce qui se traduit dans la Stratégie de Défense Nationale, le livre blanc émis par le Pentagone :
« Nous faisons face à des
menaces grandissantes de puissances révisionnistes aussi différentes que la
Chine et la Russie, des nations qui cherchent à façonner un monde compatible
avec leur modèle autoritaire. » Et le Pentagone d'accuser sans rire la
Chine d’avoir usé de « tactiques économiques prédatrices pour intimider
ses voisins tout en militarisant la mer de Chine ». Bien évidemment,
tactiques prédatrices, intimidations et autres tentatives de façonnement du
monde à son image ne sont pas du tout, mais alors pas du tout une spécialité
américaine...
Publié le 21 Mai 2019 par Observatus
geopoliticus
VOIR AUSSI :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires hors sujet, ou comportant des attaques personnelles ou des insultes seront supprimés. Les auteurs des écrits publiés en sont les seuls responsables. Leur contenu n'engage pas la responsabilité de ce blog ou de Hannibal Genséric.