Lorsque le
roi saoudien Salman a promu son fils Mohammad ben Salman (MbS) ministre de la
Défense puis prince héritier, les attentes étaient grandes. Mais trois des
principales initiatives que Mohammad a lancés depuis se sont rapidement heurtés
à des difficultés. Des actions sont en cours pour limiter les dégâts qu’il a
causés. La fin de la guerre saoudienne contre le Yémen, qui dure depuis 5 ans,
approche à grands pas. L’offre publique d’actions de la compagnie pétrolière
publique saoudienne ARAMCO a finalement eu lieu, mais avec une
valorisation bien inférieure à celle initialement prévue. La dispute avec
le Qatar, qui dure depuis trente mois, est en cours de résolution.
Le 17 août
2019, un drone yéménite attaquait les installations pétrolières de l’Arabie
saoudite, montrant que les Saoudiens avaient perdu la guerre. Le titre de l’article
de Moon of Alabama de cette époque montrait déjà l’effet que cette
attaque aurait :
L'attaque d'aujourd'hui est un échec et mat que subissent les Saoudiens. Shaybah est situé
à environ 1.200 kilomètres (750 miles) du territoire contrôlé par les Houthis.
Il y a beaucoup d'autres objectifs économiques importants placés dans cette
zone de tir. [...]
L'attaque démontre de manière concluante que les
actifs les plus importants des Saoudiens sont désormais menacés. Cette menace
économique s'ajoute à un déficit budgétaire de 7 % que le FMI prévoit pour l'Arabie
saoudite. D'autres bombardements saoudiens contre les Houthis auront désormais
un coût supplémentaire très important qui pourrait même mettre en danger la
viabilité de l'État saoudien. Les Houthis tiennent
le prince Mohammad ben Salman par les couilles et peuvent les serrer à
volonté.
Un mois plus
tard, une autre
attaque de grande ampleur paralysait la moitié de la production pétrolière
saoudienne.
Depuis, les
Saoudiens louent
des unités militaires américaines supplémentaires pour assurer une
meilleure défense aérienne de leurs installations pétrolières. Mais les
défenses aériennes américaines ne sont pas efficaces contre le genre d’attaques
que les Yéménites ont lancées. Les Saoudiens n’avaient donc plus d’autre choix
que de rechercher la paix.
Depuis plusieurs mois, des pourparlers ont lieu à Oman
entre des représentants officiels saoudiens et des délégations Houthis. Un accord préliminaire a été
trouvé mais aucune annonce officielle n’avait encore été faite. Cela vient de
changer aujourd’hui car le ministre d’État aux Affaires étrangères de l’Arabie
saoudite, Adel al-Jubeir, a
déclaré que, pour la première fois, les Houthis étaient reconnus comme une
entité yéménite légitime :
S'exprimant sur la
situation au Yémen, M. al-Jubeir a déclaré qu'il existait une possibilité de
parvenir à une trêve dans le pays, qui pourrait être suivie d'un règlement.
"Le Yémen revêt une importance particulière pour
nous, et l'intervention de l'Iran dans ce pays est dévastatrice. La seule
solution au Yémen est politique, et ce sont les Houthis qui ont commencé la
guerre, pas nous."
"Tous les
Yéménites, y compris les Houthis, ont un rôle à jouer dans l'avenir du
Yémen", a-t-il ajouté.
Aujourd’hui,
les Saoudiens ont également libéré quelque 200 prisonniers Houthis. Ils ont été
transportés par avion à Sanaa, la capitale du Yémen. L’accord préliminaire prévoit
la formation d’un gouvernement commun entre les Houthis et l’ancien président
saoudien, Hadi.
Ce n’est pas
encore la fin de la guerre. Il faudra un certain temps avant qu’un nouveau
gouvernement yéménite ne prenne forme, car les Saoudiens ont encore des exigences
irréalistes :
L'Arabie saoudite semble plus ouverte à une forme de
coexistence avec les Houthis dans le nord du Yémen pour les soustraire à
l’influence iranienne. Après la signature de l'accord de Riyad sur le partage
du pouvoir entre le Conseil séparatiste de transition du Sud et le gouvernement
reconnu par l'ONU à Aden, l'Arabie saoudite et les EAU semblent prêts à passer à
la phase suivante de leur désastreuse guerre contre le Yémen.
Au lieu de combats sans fin, l'Arabie saoudite tente
de convaincre les Houthis de rompre les liens avec son rival régional, l'Iran.
Après tout, ce que les
Houthis veulent c'est la légitimité de leur nouvelle position stratégique au
Yémen. Selon eux, cela doit être cité dans un accord de partage du
pouvoir qui garantit leur part dans un nouveau système, semblable à une
fédération, incluant le gouvernement du président Abedrabbo Mansour Hadi et les
séparatistes du Sud Yémen.
Mais l’Iran n’a jamais « contrôlé »
les Houthis. Même le
département d’État américain a récemment changé d’avis et l’a finalement
admis :
Dans un changement qui, selon les analystes, reflète
les progrès des pourparlers saoudiens avec les rebelles yéménites Houthis pour
mettre fin à la guerre au Yémen, l'envoyé du département d'État Brian Hook a
déclaré aujourd'hui que l'Iran ne parlait pas au nom des Houthis, qu'il décrit
comme jouant un rôle plus constructif dans la rédaction d'une proposition de
cessez-le-feu.
"Nous devrions nous rappeler que les Houthis ont
proposé d’arrêter les attaques de missiles et les frappes aériennes contre
l'Arabie saoudite quelques jours seulement après que les Iraniens ont frappé
les installations pétrolières saoudiennes, le 14 septembre", a déclaré M. Hook aux journalistes.
"La proposition de désescalade des Houthis, à
laquelle les Saoudiens répondent, montre que l'Iran ne parle manifestement pas
au nom des Houthis et n'a pas à cœur les meilleurs intérêts du peuple
yéménite,» a déclaré M. Hook. "L'Iran essaie de
prolonger la guerre civile au Yémen pour projeter sa propre puissance. L'Iran
devrait suivre les appels de son propre peuple et mettre fin à son implication
au Yémen."
Les commentaires de M. Hook sur la proposition de
désescalade Houthi contrastent avec la façon dont il en parlait, dans un
éditorial du Wall Street Journal de septembre, comme étant un groupe iranien.
Il y qualifiait les relations entre l'Iran et les Houthis d'"alliance
stratégique".
Les Houthis
ne sont pas plus sous le contrôle de l’Iran que du Hezbollah
libanais. Ces groupes sont des entités politiques indépendantes qui
prennent leurs propres décisions, dans leur propre intérêt. L’Iran aide ces groupes en cas de besoin, tout comme ils
aideront l’Iran en cas de besoin. L’affirmation de Hook selon
laquelle l’Iran tente de prolonger la guerre au Yémen est sans fondement.
L’Iran a
permis aux Houthis de résister tout au long des 5 années de guerre que les
Saoudiens leur ont fait subir. Les drones et les pièces de missiles que l’Iran
leur a fournis leur ont permis d’obliger les Saoudiens à demander la paix. Il
est donc très peu probable que les Houthis prennent leur distance avec l’Iran.
Ils accepteront de mettre fin à leurs attaques contre l’Arabie saoudite si les
Saoudiens mettent fin à leurs attaques contre le Yémen et paient pour les
dommages causés par leur guerre. Si les Saoudiens n’acceptent pas un tel
accord, leurs hélicoptères tomberont encore
en flammes et leurs installations pétrolières continueront d’être
incendiées.
La guerre
contre le Yémen a été lancée par le prince héritier ben Salman, alors ministre
de la Défense de l’Arabie saoudite. Il avait espéré une victoire rapide, mais l’armée saoudienne, même bien
équipée, s’est avérée incapable de vaincre les va nu pieds Houthis
vivant dans les montagnes du nord du Yémen. Cette guerre coûte aux Saoudiens
plusieurs milliards par mois et menace de ruiner l’État.
Les autres
projets de Mohammad Ben Salman ne se sont pas mieux passés. Il avait prévu de vendre
des actions de Saudi Aramco dans des bourses du monde entier pour une
valorisation totale à 2.000 milliards de dollars. Cette mesure était censée
rapporter 100 milliards de dollars pour financer une nouvelle industrialisation
de l’économie saoudienne. Après de nombreux retards, Saudi Aramco fait
enfin son premier appel public. Les actions commenceront à se négocier le
11 décembre. Mais l’action ne sera cotée que sur la place saoudienne de Tadawul.
L’offre
initiale sur le cours de l’action évalue la valeur de la société à 1700
milliards de dollars, ce qui est supérieur à l’estimation de 1500 milliards de
dollars que les banques internationales avaient publiée. Aujourd’hui, les
Saoudiens ont
annoncé une importante réduction de leur production de pétrole afin
d’augmenter les prix mondiaux du pétrole et la valorisation de l’entreprise.
Cela pourrait attirer des acheteurs si attendus. Mais les actions seront
toujours vendues à des entités principalement nationales, si nécessaire avec
une certaine pression. Au lieu d’attirer 100 milliards de dollars d’argent
frais de l’étranger, 25,6 milliards de dollars seront retirés de la poche
gauche du pantalon saoudien pour être placés dans celle de droite. L’avantage
économique pour le pays est plutôt douteux.
Il y a deux ans et demi, le prince a tenté d’attaquer
et d’occuper le Qatar. La raison
idéologique invoquée était le soutien du Qatar aux Frères musulmans. Mais la
vraie raison était le besoin saoudien de plus d’argent que MbS a essayé
d’obtenir en s’accaparant de biens immobiliers et de ressources étrangères. Le
projet a échoué lorsque les troupes turques sont venues en aide au Qatar.
Les Saoudiens et leurs alliés des Émirats arabes unis ont ensuite tenté
d’isoler le Qatar par un embargo. Cela aussi a échoué, mais a causé aux
dirigeants saoudiens des maux de tête supplémentaires et c’est pourquoi ils
s’efforcent maintenant de mettre
fin au conflit :
Plus de deux ans plus tard, des signes de fracture
économique et politique commencent à se manifester non pas au Qatar, mais chez
ses voisins à l’origine de l’embargo. Ce sont ces informations qui peuvent aider
à expliquer les récents gestes de conciliation de ces pays, y compris la
résolution de se joindre à la Coupe du Golfe Arabique à Doha et les remarques
actuelles de responsables saoudiens et émiratis suggérant de nouveaux
pourparlers pour mettre fin au conflit. ...
Depuis le krach pétrolier de 2014, qui a vu les prix
chuter de plus de 100 dollars le baril à moins de 30 dollars, tous les pays du
Golfe ont cherché à compenser leurs énormes déficits budgétaires en
entreprenant des changements fondamentaux et douloureux dans leur économie
pétrolière. ...
Il se trouve que les États du Golfe qui sont allés le
plus loin dans l'imposition de mesures de réforme impopulaires sont les États à
l’origine de l’embargo, tandis que le Koweït, Oman et le Qatar différaient la mise
en œuvre de la TVA et d’autres réformes structurelles.
Les
dirigeants saoudiens craignent que leur propre population ne veuille prendre
exemple sur le Qatar et n’exige une augmentation de l’aide sociale ou une
baisse des impôts. Si tous les pays du Golfe, y compris le Qatar, acceptaient
de prendre les mêmes mesures que les Saoudiens, le risque d’une révolte
diminuerait.
Le ministre
des Affaires étrangères du Qatar a récemment effectué une visite « secrète »
à Riyad et le roi saoudien a
invité l’Émir du Qatar à la prochaine réunion des pays du Golfe. Mais le
Qatar dégage un
excédent budgétaire alors que les Saoudiens subissent un déficit
budgétaire de 10%. Le Qatar n’a pas besoin de suivre les politiques
économiques des autres pays du Golfe. Il ne le fera que si les Saoudiens sont
prêts à lui offrir quelque chose en échange.
Les
trois grands projets du prince héritier ont échoué.
A cela
s’ajoute le préjudice de réputation causé par l’assassinat, sur ordre de MbS,
de Jamal Khashoggi. Le fait que le roi saoudien ait maintenant pris des
mesures pour limiter les dégâts est peut-être dû à l’influence du frère cadet
de Mohammad ben Salman, Khalid ben Salman. KbS était l’ambassadeur
saoudien aux États-Unis. Depuis février 2019, il est vice-ministre de la
Défense de l’Arabie saoudite. Il a participé aux pourparlers avec les Houthis. Il est possible que le roi
reconnaisse enfin que MbS n’est pas assez bon dans son travail et que Khalid
soit un meilleur successeur au trône que son frère Mohammad.
Par Moon of Alabama – Le 6 décembre 2019
Source :
le
Saker Francophone
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