mercredi 17 juin 2020

Covid-Aranaque et peste noire

Le COVID-19 n’a rien à voir avec une pandémie. En effet, on sait combien les pandémies ont pu, par le passé, ébranler les structures des sociétés en tuant des millions de personnes, avec des pourcentages allant jusqu’à 50% des habitants. Ces pourcentages n’ont rien à voir avec les dixièmes de pourcent de morts associées au Covid-19. Parmi les plus dévastatrices d’entre elles, on compte la peste noire qui a ravagé le monde entier au cours du XIVe siècle et à laquelle la région du Moyen-Orient Afrique du Nord n’échappa pas. Des écrivains arabes ayant vécu cette calamité racontent.
Quand la peste noire emportait le Moyen-Orient - L'Orient-Le Jour
Le Triomphe de la Mort, Brueghel

Le pays du Mont-Blanc ravagé par la peste noire en 1348 - Le Messager
Les pays du Mont Blanc ravagés par la peste
La peste noire ou mort noire est le nom donné par les historiens modernes à une pandémie de peste, principalement la peste bubonique, ayant sévi au Moyen Âge, au milieu du XIVe siècle. Cette pandémie a touché l'Eurasie, l'Afrique du Nord et peut-être l'Afrique subsaharienne. C'est la première pandémie à avoir été bien décrite par les chroniqueurs contemporains.
Elle a tué de 30 à 50 % des Européens en cinq ans (1347-1352) faisant environ 25 millions de victimes. Ses conséquences sur la civilisation européenne sont sévères et longues, d'autant que cette première vague est considérée comme le début explosif et dévastateur de la deuxième pandémie de peste qui dura, de façon plus sporadique, jusqu'au début du XIXe siècle.
Dès 1348, la peste s’empare de tout le sultanat mamelouk – qui s’étendait sur l’Égypte, le Levant et le Hedjaz– et au-delà. Elle se propage, lentement mais sûrement, en Égypte avant de ravager la Palestine, puis le Liban et la Syrie. Elle poursuit ensuite son périple macabre en Irak. Elle se diffuse à Djeddah et à La Mecque par le biais de pèlerins égyptiens, pénètre le Yémen dès 1351. Elle se répand dans toute l’Afrique du Nord. Au gré de sa progression, la pandémie décime la région, bien que le manque de données concordantes rende le bilan humain difficile à évaluer. Au Caire, selon certaines estimations, la population chute de manière vertigineuse passant de 500.000 personnes à la veille du fléau à près de 300.000 quelques années plus tard (40% de morts).
Les témoins de l’époque sont nombreux. Riches en hyperboles, leurs observations révèlent l’ampleur de la dévastation causée par la maladie ainsi que la stupeur et l’effroi qui ont saisi leurs contemporains. « La peste détruisit tout ce qui relevait du genre humain au Caire. (…) Elle anéantit tout mouvement à Alexandrie. Elle s’abattit sur les belles manufactures de tapis et en exécuta les travailleurs selon les décrets du destin », écrit ainsi à Alep l’historien Ibn al-Wardi, dans une lettre, peu de temps avant d’être lui-même emporté, en mars 1349, par cette plaie qui ne connaît pas de frontières. « Le niveau de civilisation décrut en même temps que le nombre d’habitants [...] Les dynasties et les tribus se sont affaiblies. La face du monde habité en fut changée », soulignera l’illustre historien tunisien Ibn Khaldoun (1332-1406), dans son introduction à l’histoire universelle. « C’était comme si la voix de l’existence dans le monde avait appelé à l’oubli et à la restriction, et que le monde avait répondu à son appel» [1]
Le voyageur maghrébin Ibn Battuta en est le témoin au cours de ses pérégrinations dans la région. En escale à Damas en 1348, alors que la maladie commence à se propager, il décrit de ferventes manifestations de piété. « Tous les habitants de la ville, hommes, femmes, petits et grands prirent part à cette procession. Les juifs sortirent avec leur Torah et les chrétiens avec leur Évangile, et ils étaient suivis de leurs femmes et de leurs enfants. Tous pleuraient, suppliaient et cherchaient un recours auprès de Dieu, au moyen de ses livres et de ses prophètes », écrit-il.  
Anéantissement
En réalité, beaucoup d’hommes ont cédé à leur instinct de survie face à ce « souffle empoisonné » qui « frappait de mort à l’instant même hommes et bêtes », selon les termes de l’historien égyptien Ahmad al-Maqrizi. On fuit de la ville vers la campagne, de la campagne vers la ville. Des régions entières sont dépeuplées sans qu’aucune politique de repeuplement ne soit mise en œuvre.
L’administration mamelouke manque de moyens pour assurer le transport et l’enterrement des cadavres. « On transportait les morts, la plupart du temps, sur de simples planches, sur des échelles, sur des battants de portes ; on creusait des fosses dans lesquelles on jetait trente, quarante cadavres ou même davantage », écrit Ibn Taghribirdi au sujet du Caire. Dans des zones moins centrales, la situation était encore plus dramatique. « À Bilbeis (Égypte), les mosquées, les hôtelleries, les boutiques étaient pleines de cadavres sans qu’on pût trouver quelqu’un pour les enterrer. »
La peste noire et ses résurgences auront ainsi raison de tout.
À commencer par la démographie. Elles augurent à cet égard un déclin qui s’arrête à la deuxième moitié du XVe siècle en Europe alors qu’il faut attendre le XIXe siècle pour que le Maghreb et le Levant retrouvent leurs niveaux de population d’antan. L’économie est saccagée. On revend à bas prix les biens des morts au point que l’artisanat s’éteint. Faute de pêcheurs, plus de pêche ; faute de paysans, plus de récolte. La peste a d’immenses répercussions sur le monde rural qui compose la majeure partie de la société. La mort des animaux de ferme et la dépopulation rurale vident les campagnes d’une main-d’œuvre essentielle à la récolte et au maintien des canaux d’irrigation. La crue du Nil devint difficile à contrôler, or c’est d’elle dont dépend l’arrosage des terres cultivables, qui deviennent, par la force, des terrains infertiles. Le coût de la vie augmente dans le sillage de l’inflation et de la dévaluation des pièces de cuivre comparées aux pièces d’or.
Cette pandémie affaiblit encore plus ce qui restait de l'Empire byzantin, déjà moribond depuis la fin du XIe siècle, et qui tombe face aux Ottomans en 1453.
La peste affaiblit considérablement l’armée mamelouke. Selon le démographe français Jean-Noël Biraben, près d’un quart des effectifs dans la citadelle du Caire lui succombent, sans que l’armée ne puisse aux cours des décennies suivantes renflouer ses rangs au niveau d’autrefois. Au point que les Ottomans pourront s’emparer, sans coup férir, d’un sultanat mamelouk déclinant en 1516-1517. De quoi confirmer, plus d’un siècle après, les observations et intuitions d’Ibn Khaldoun sur l’impact de la peste : « Elle a dépassé les dynasties au moment de leur sénilité, quand elles avaient atteint la limite de leur durée. Cela a diminué leur pouvoir et réduit leur influence. Cela a affaibli leur autorité. Leur situation approchait du point de l’anéantissement et de la dissolution»

[1]  LA PENSÉE ÉCONOMIQUE D’IBN KHALDOUN
Hannibal GENSÉRIC

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