Après 1918, les Français et les
Britanniques ont tracé des frontières à la règle, parachuté des rois fantoches,
infiltré des faux experts et vrais espions… De bien mauvaises fées penchées sur
le berceau de ces trois États.
En novembre 1918, l’armistice ne met pas seulement fin aux
hostilités en Europe. Il aiguise les appétits des vainqueurs pour des territoires
situés à l’autre bout de la Méditerranée. L’Empire ottoman, allié de
l’Allemagne vaincue, est démantelé. Le territoire de l’ancien colosse est
réduit à l’actuelle Turquie ; ses possessions perdues sont préemptées par la
France et la Grande-Bretagne. Pourquoi les deux puissances sont-elles si
impliquées dans le partage du gâteau moyen-oriental ? Là-bas, les Britanniques
sont militairement incontournables, de la Palestine à Mossoul. Quant aux Français, quoique
plus portés sur l’Afrique, ils ont des troupes au Mont-Liban et en Syrie.
La
répartition des terres a eu lieu en grand secret deux ans plus tôt.
C’est le Britannique Sir Mark Sykes, un ambitieux baronnet de 37 ans,
qui s’en est chargé. Un fieffé menteur qui prétend parler le turc et l’arabe. Ce jeune député conservateur vient alors de publier un best-seller aux allures de guide touristique – Le Dernier Héritage du calife – qui laisse entendre qu’il possède une haute expertise sur la « question d’Orient ».
Invité
par le Premier ministre Henry Asquith à s’exprimer sur le sujet au 10
Downing Street, Sykes arrive avec une carte de l’Arabie sous le bras. Au
cours de la réunion, il la déploie et trace à la règle une diagonale partant du « e » d’Acre et allant jusqu’au dernier « k » de Kirkouk. C’est la ligne de partage ! Londres contrôlera tout ce qui se situe au sud de la ligne : Palestine, Transjordanie, Mésopotamie (Irak actuel). Paris
s’arrogera tout ce qui se trouve au nord : Liban et Syrie. Agréée par
Asquith, la proposition convient au négociateur français François
Georges-Picot. Fervent partisan de la « mission civilisatrice »
impériale de la France, cet ancien consul à Beyrouth saura convaincre le
président du Conseil Aristide Briand de la justesse du tracé dit «
Sykes-Picot ».
Syrie : la « créature » du général Gouraud
En
réalité, cette « ligne tracée arbitrairement au milieu des sables »,
selon l’expression de l’historien anglais James Barr, ne fera
qu’exacerber la rivalité entre le Royaume-Uni et la France. Car ce que
veut surtout la Grande-Bretagne, c’est s’assurer le contrôle de
l’ensemble de la péninsule arabique. Hyperpuissance maritime, elle veut
aussi avoir la main sur l’ensemble du golfe Persique, ainsi que sur les
ports du Koweït, confetti riche en pétrole
et idéalement placé sur la route des Indes. Les Français, eux, jouent
la carte de la protection des chrétiens d’Orient. Ils se réservent le
Levant, à l’exception de la Palestine, qui reste sous contrôle anglais.
En
1919, la Société des Nations (SDN), créée par le traité de Versailles,
rebat encore les cartes du Moyen-Orient. Cette institution, dominée par
la France et la Grande-Bretagne, est censée garantir le nouvel ordre
international. C’est en fait un nouveau lieu d’affrontement pour des
puissances aux appétits féroces. En avril 1920, la SDN place sous mandat
français l’ancienne province ottomane de Syrie et sa capitale Damas.
Paris exulte. Théoriquement, l’objectif du mandat est de mener la Syrie
et le « Grand Liban » vers l’indépendance. Mais à quoi bon se défaire de
territoires qui sont des étapes très utiles sur la route des
possessions extrême-orientales de la France (Annam, Cambodge,
Cochinchine, Laos et Tonkin) ?
Paris
rit, les Arabes enragent et le War Office est embarrassé. Car pendant
toute la guerre les Britanniques ont laissé entendre au chérif de La Mecque,
Hussein ben Ali, qu’une fois la paix venue ils l’aideront à constituer
un « royaume arabe » avec Damas pour capitale. La promesse a été maintes
fois relayée par Thomas Edward Lawrence, un officier de renseignements de l’armée britannique. Ce trentenaire est déjà célèbre dans son pays sous le patronyme de Lawrence d’Arabie. Attifé en Bédouin,
El Aurens, comme l’appellent les Arabes, a multiplié les razzias et les
opérations de sabotage contre les Ottomans aux côtés de Fayçal, fils
d’Hussein et icône de la rébellion, avec lequel il s’est lié d’amitié. Ce dernier ne veut pas renoncer à son rêve de royaume arabe.
Coup
de théâtre ! En mars 1920, Fayçal crée à Damas une monarchie
parlementaire, à la barbe des Français, dans une Syrie indépendante qui
inclurait la Palestine et la Transjordanie. Le général Henri Joseph
Eugène Gouraud ne l’entend pas de cette oreille, lui que la France vient
de nommer haut-commissaire au Levant. « Fougueux, barbu, manchot et la
main lourde », résume un diplomate britannique ! Homme à poigne, il a
perdu un bras à Gallipoli, s’est couvert de gloire en Champagne et s’est
illustré au Soudan par la capture de Samory Touré, un chef mandingue
qui s’opposait aux Français. Gouraud lance un ultimatum à Fayçal,
l’invitant à se soumettre ou à se démettre. Après sa défaite à la
bataille de Maysaloun, où son armée est écrasée par un contingent de
spahis marocains et de tirailleurs sénégalais, l’émir cède…
En juillet 1920, lorsqu’il pénètre dans Damas, Gouraud visite le tombeau
de Saladin, devant lequel il déclare : « Réveille-toi, Saladin, nous
sommes de retour ! Ma présence ici consacre la victoire de la croix sur
le croissant ! » Ce nouveau croisé est pris d’une frénésie créatrice.
Fin 1920, le général fixe unilatéralement les frontières de quatre
nouvelles entités : le Grand Liban (voir plus bas), les Etats d’Alep et
de Damas, ainsi que le territoire des Alaouites (chiites hétérodoxes).
Sa stratégie ? Diviser pour mieux régner. « Ma proposition […] doit
permettre au haut-commissariat de mettre en balance des rivalités
pouvant être exploitées au plus grand profit de son autorité et, par
conséquent, de la France », révèle Gouraud dans un télégramme adressé au
chef du gouvernement français en août 1920.
Qu’en
disent les populations locales ? Rébellion ! Parties du Djebel druze,
les révoltes essaiment dans la Ghouta en périphérie, puis explosent à
Damas, que l’aviation française bombarde en octobre 1925, provoquant des
centaines de morts. Les troupes françaises ne quitteront le pays qu’en
1946. Ce dernier connaîtra pas moins de sept coups d’Etat et basculera
en 1970 dans le régime militaro-policier de Hafez el-Assad, dominé par
la minorité alaouite.
L’Irak : aux services secrets de sa Majesté
Retour en mars 1921. Vaincu par Gouraud, Fayçal est « exfiltré » de Syrie par les services secrets britanniques. Ces derniers ont décidé de le placer à la tête de l’Irak, un pays qu’ils viennent de créer à l’initiative de Winston Churchill,
alors secrétaire d’Etat aux Colonies. C’est T. E. Lawrence, devenu
entre-temps conseiller au Colonial Office, qui lui a soufflé l’idée, une
manière pour lui d’honorer sa promesse à Fayçal. L’Irak est pourtant un
amalgame disparate des anciens gouvernorats ottomans de Bagdad et de
Bassora, dont la Grande-Bretagne a hérité depuis le traité de Sèvres
d’août 1920. Ah oui ! Ce traité garantissait aussi la création d’un Etat
kurde. Une autre promesse… On rattache de force les Kurdes et Turkmènes
de l’ancien gouvernorat de Mossoul à l’Irak. Et s’ils se plaignent ?
Dans une note adressée au War Office, Churchill préconise l’utilisation
d’armes chimiques pour combattre les populations animées par des velléités d’indépendance !
Mais
il y a pis : en bombardant Fayçal à la tête de l’Irak, Londres décide
unilatéralement que ce « patchwork ethnique et confessionnel », pour
reprendre l’expression de l’historien Pierre Blanc, sera une monarchie
sunnite. Un plébiscite est organisé pour légitimer le nouveau souverain.
Toute candidature rivale étant proscrite, Fayçal obtient 96% des
suffrages dans un pays où 65% des musulmans sont de confession chiite !
Résultat : « Le royaume
hachémite ainsi fondé ne reposait sur aucune assise locale », écrit
l’historien Jean-Pierre Filiu. Pour preuve : lors de la cérémonie
d’intronisation de Fayçal à Bagdad, faute d’hymne national irakien,
l’orchestre joua le God Save the King !
En 1924, en Irak, un nouveau code de la nationalité distingue un « certificat A » qui octroie aux sunnites la pleine nationalité
irakienne et un « certificat B » qui n’accorde que des droits
restreints aux chiites, pourtant majoritaires. « Dès le début de son
existence, l’Irak est déchiré entre une minorité au pouvoir dominée par
les sunnites et une population à dominante chiite avec un fort
irrédentisme kurde dans le Nord », poursuit Jean-Pierre Filiu. Le
général Gouraud ne s’y trompe pas. Lors d’un entretien avec Churchill à
propos de l’Irak, il déclare que, en portant au pouvoir un sunnite, «
les Britanniques façonnent comme Frankenstein un monstre qui finira par les dévorer » !
Grand Liban : « une mosaïque quasi ingouvernable »
Henri
Gouraud peut bien sermonner les Anglais : il est le plus doué des
apprentis sorciers ! Dès 1920, le haut-commissaire crée par décret le
Grand Liban et multiplie les décisions arbitraires, aux conséquences
tragiques. Il considère ainsi que les limites traditionnelles du
Mont-Liban ne sont pas viables économiquement. Qu’à cela ne tienne ! Il y
adjoint la plaine fertile de la Bekaa, «un territoire pris à la Syrie
qui deviendra un point de discorde entre les deux pays», note
l’historienne Julie d’Andurain. Gouraud veut aussi combler les partisans
chrétiens du Grand Liban. Cette communauté est marquée par la famine de
1915, conséquence du blocus ottoman. «Le patriarche de l’Eglise
chrétienne maronite Hoyek revendique la sécurisation alimentaire du
pays», explique Pierre Blanc. Pour éloigner le spectre de la faim, ils
obtiennent des Français un Grand Liban plus vaste, incluant des plaines
nourricières et des facilités portuaires. Mais ce sont aussi des hommes
et des communautés différentes qui s’invitent dans le nouveau pays :
Druzes, maronites, sunnites… Les chrétiens libanais perdent en réalité
leur suprématie démographique. Ce pays est dès son origine une mosaïque
de peuples et de communautés « dont la coexistence apaisée s’annonce dès
le début difficile, sinon impossible », estime Pierre Blanc.
L’instabilité
du pays, aggravée au cours des décennies suivantes par la présence de
Palestiniens chassés de leur foyer, débouchera sur une guerre civile qui
durera quinze ans, de 1975 à 1990. Elle s’accompagnera de la
multiplication de milices politico-mafieuses (Amal, Forces libanaises,
Brigade Marada, PSP druze, Hezbollah, etc.) enracinées dans une matrice
communautaire qui reste aujourd’hui quasiment ingouvernable.
Les protagonistes
Le géomètre : Sir Mark Sykes;
En 1915, le War Office britannique demande à cet ancien député
conservateur de plancher sur le partage futur de l’Empire ottoman.
Catholique et francophone,
il propose une solution plutôt favorable à la France, allié crucial
dans le combat contre l’Allemagne. Il n’en mesurera jamais les
conséquences désastreuses : il meurt en 1919 à Paris de la grippe espagnole.
L’apprenti sorcier : François Georges-Picot ;
Appelé au printemps 1915 au ministère des Affaires étrangères, cet
ancien consul à Beyrouth est chargé de signer pour la France l’accord
secret dit « Sykes-Picot » qui définit les futures zones d’influence
française et britannique dans l’Arabie ottomane. Pas plus que son
homologue Sykes, il ne sut voir que cet accord allait être mis en échec
par la montée du nationalisme arabe et la création d’un foyer juif en
Palestine.
L’exalté : Thomas Edward Lawrence; Le futur Lawrence d’Arabie est dans les années 1910 un aristocrate qui sillonne la péninsule arabique pour une thèse d’archéologie
à Oxford. Engagé en 1914 dans l’armée britannique, il devient agent de
liaison auprès de l’émir Fayçal et combat à ses côtés dans sa guérilla
contre les Ottomans. Après la guerre, il pousse Fayçal à la tête du
royaume d’Irak, entité créée par les Britanniques.
L’héritier : Fayçal ben Hussein ; Issu d’une lignée hachémite qui remonterait à Mahomet,
il est le fils d’Hussein ben Ali, chérif de La Mecque. Il devient roi
d’Irak en 1921. Horrifié par le massacre des chrétiens nestoriens d’Irak
en août 1933, il part le 2 septembre en Suisse et y décède le 8.
Le conquérant : Henri Joseph Eugène Gouraud ;
Militaire de carrière, il participe activement à la constitution de
l’empire colonial français d’Afrique de l’Ouest, du Maghreb et du
Moyen-Orient. Il perd un bras aux Dardanelles et joue un rôle décisif
dans la contre-offensive victorieuse de Champagne en juillet 1918. Nommé
haut-commissaire au Levant, il crée dans les années 1920 le Grand Liban
et une éphémère Fédération d’États de Syrie.
L’impitoyable : Winston Churchill ;
En 1921, le bouillonnant homme politique est nommé secrétaire d’État
aux Colonies lorsque la Palestine, la Transjordanie et la Mésopotamie
(futur Irak) passent sous contrôle britannique. Ayant pris T. E.
Lawrence comme conseiller, il favorise le couronnement de Fayçal en Irak
et d’Abdallah en Transjordanie. Il se montre favorable à l’utilisation
d’armes chimiques sur les Kurdes d’Irak pour contrer leurs velléités
d’indépendance.
Source : ça m’intéresse
l'histoire se répète: on procède au six-picotage" dépeçage du monde arabe encore une fois , après 100 ans'( 1917 )
RépondreSupprimerle soudan somalie Syrie Libye,Jordanie ... et... aux suivants
Ya Salah Eddine...Ya Islamah