jeudi 11 juin 2020

Une fable du Pipelineistan pour notre époque

L’Ukraine était censée empêcher la Russie d’approfondir ses liens énergétiques avec l’Allemagne ; cela n’a pas fonctionné.
Il était une fois au Pipelineistan, les récits de malheurs étaient la norme. Des rêves brisés jonchaient l’échiquier – de l’IP Gas contre le gazoduc TAPI dans le royaume de l’AfPak à l’opéra Nabucco en Europe.

En revanche, chaque fois que la Chine est entrée en scène, c’est la réussite qui a prévalu. Pékin a financé un gazoduc du Turkménistan au Xinjiang, achevé en 2009, et profitera de deux accords spectaculaires avec le Force de Sibérie de Russie.
Et puis il y a l’Ukraine. Le Maidan était un projet de l’administration Barack Obama, avec une distribution de qualité dirigée par POTUS, Hillary Clinton, Joe Biden, John McCain et, la dernière mais non des moindres, la principale distributrice de cookies de Kiev, Victoria « F**k the EU » Nuland.
L’Ukraine était également censée empêcher la Russie d’approfondir ses liens énergétiques avec l’Allemagne, ainsi qu’avec d’autres destinations européennes.
Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Nord Stream était déjà opérationnel. South Stream était le projet de Gazprom vers l’Europe du Sud-Est. La pression incessante de l’administration Obama l’a fait dérailler. Pourtant, cela n’a fait que permettre une résurrection : le Turk Stream, déjà achevé, avec un début d’écoulement du gaz en janvier 2020.
Le champ de bataille s’est alors déplacé vers le Nord Stream 2. Cette fois, la pression implacable de l’administration de Donald Trump ne l’a pas fait dérailler. Au contraire : il sera achevé d’ici la fin de l’année 2020.
Richard Grennel, l’Ambassadeur américain en Allemagne, qualifié de « superstar » par le Président Trump, était furieux. Fidèle au scénario, il a menacé les partenaires de Nord Stream 2 – ENGIE, OMV, Royal Dutch Shell, Uniper et Wintershall – de « nouvelles sanctions ».
Pire : il a souligné que l’Allemagne « doit cesser de nourrir la bête à un moment où elle ne paie pas assez à l’OTAN ».
« Nourrir la bête » n’est pas exactement un code subtil pour le commerce de l’énergie avec la Russie.
Peter Altmaier, Ministre allemand des Affaires Économiques et de l’Énergie, n’a pas été impressionné. Berlin ne reconnaît aucune légalité aux sanctions extra-territoriales.
De plus, Grennel n’est pas vraiment populaire à Berlin. Les diplomates ont sabré le champagne quand ils ont su qu’il allait rentrer chez lui pour devenir le chef du renseignement national américain.
Les sanctions de l’administration de Trump ont retardé Nord Stream 2 d’environ un an, au mieux. Ce qui importe vraiment, c’est que dans cet intervalle, Kiev a dû signer un accord de transit de gaz avec Gazprom. Ce dont personne ne parle, c’est que d’ici 2025, aucun gaz russe ne transitera par l’Ukraine vers l’Europe.
Le projet Maidan était donc en fait inutile.
C’est une plaisanterie courante à Bruxelles que l’UE n’a jamais eu et n’aura jamais une politique énergétique unifiée vis-à-vis de la Russie. L’UE a élaboré une directive sur le gaz pour obliger à séparer la propriété de Nord Stream 2 du gaz qui circule dans le gazoduc. Les tribunaux allemands ont appliqué un « nein ».
Nord Stream 2 est une question sérieuse de sécurité énergétique nationale pour l’Allemagne. Et cela suffit pour l’emporter sur tout ce que Bruxelles peut concocter.
Et n’oubliez pas Siberia
La morale de cette fable est que maintenant deux nœuds clés du Pipelineistan – Turk Stream et Nord Stream 2 – sont établis comme des cordons ombilicaux en acier reliant la Russie à deux alliés de l’OTAN.
Fidèle au principe « gagnant-gagnant », il est temps que la Chine cherche à consolider ses relations avec l’Europe.
La semaine dernière, la Chancelière allemande Angela Merkel et le Premier Ministre chinois Li Keqiang ont eu une vidéoconférence pour discuter du Covid-19 et de la politique économique Chine-UE.
C’était un jour après que Merkel et le Président Xi se soient parlé, lorsqu’ils ont convenu que le sommet Chine-UE de Leipzig du 14 septembre devrait être reporté.
Ce sommet devrait être le point culminant de la présidence allemande de l’UE, qui débute le 1er juillet, date à laquelle l’Allemagne pourra présenter une politique unifiée à l’égard de la Chine, réunissant en théorie les 27 membres de l’UE et pas seulement les 17+1 d’Europe Centrale et des Balkans – incluant 11 membres de l’UE – qui ont déjà une relation privilégiée avec Pékin et qui participent à l’Initiative Ceinture et Route.
Contrairement à l’administration Trump, Merkel privilégie un partenariat commercial clair et complet avec la Chine, bien au-delà d’un simple sommet de photos. Berlin est bien plus sophistiqué sur le plan géoéconomique que la vague approche « engagement et exigence » de Paris.
Merkel comme Xi sont pleinement conscients de la fragmentation imminente de l’économie mondiale après le confinement. Pourtant, si Pékin est prêt à abandonner la stratégie de circulation mondiale dont il a largement profité au cours des deux dernières décennies, l’accent est également mis sur le renforcement de relations commerciales très étroites avec l’Europe.
Ray McGovern a décrit de manière concise l’état actuel des relations entre les États-Unis et la Russie. Le cœur de l’affaire, du point de vue de Moscou, a été résumé par le Vice-Ministre des Affaires Étrangères Sergei Ryabkov, un diplomate extrêmement compétent :
« Nous ne pensons pas que les États-Unis, dans leur forme actuelle, soient une contrepartie fiable, donc nous n’avons aucune confiance, aucune confiance du tout. Nos propres calculs et conclusions sont donc moins liés à ce que fait l’Amérique… Nous chérissons nos relations étroites et amicales avec la Chine. Nous les considérons comme un partenariat stratégique global dans différents domaines et nous avons l’intention de les développer davantage ».
Tout est là. Le « partenariat stratégique global » entre la Russie et la Chine progresse continuellement. Il inclut le Pipelineistan « Power of Siberia ». Plus le Pipelineistan reliant deux alliés clés de l’OTAN. Des sanctions ? Quelles sanctions ?
Pepe Escobar
Article original en anglais :
L’article en anglais a été publié initialement par Asia Times

 

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