Le 25 janvier 1995, le lancement d’une seule fusée
scientifique depuis une petite île au large de la côte nord-ouest de la Norvège
déclenchait le système d’alerte avancée d’attaque nucléaire de la Russie.
Alors que la fusée décollait, elle est d’abord passée
par-delà l’horizon de la courbure terrestre jusque dans le champ de vision du
radar russe. Une fois son moteur éteint, la fusée a ensuite dérivé vers de plus
hautes altitudes — jusqu’au milieu du couloir d’attaque principal entre les
champs des missiles balistiques intercontinentaux américains à Grant Forks
(Dakota du nord) et Moscou.
Sans que les scientifiques qui l’ont lancée ne le
sachent, l’un des étages de la fusée a terminé son vol motorisé à une altitude
et une vitesse comparables à celles attendues d’un missile balistique lancé
d’un sous-marin Trident. Cette combinaison d’événements correspond parfaitement
au modèle d’un scénario d’attaque selon lequel des armes nucléaires explosent à
haute altitude intentionnellement dans le but d’aveugler les radars d’alerte
avancée avant bombardement majeur des forces nucléaires russes.
Il semble que l’explication immédiate de ce qui s’est
passé ce jour-là résidait dans les graves lacunes des appareillages de
détection russes. Mais la cause profonde sous-jacente découle de la paranoïa
russe. Une peur créée et renforcée par le programme de modernisation de la
force nucléaire que les Américains entretiennent de façon implacable, obsessive
— et permanente. Cette initiative était, et reste encore aujourd’hui, fortement
axée sur l’accroissement de la puissance meurtrière de chaque ogive nucléaire
américaine déployée. Elle produit et réaffirme ainsi l’inquiétude des analystes
militaires et dirigeants russes que les États-Unis pourraient réellement se
préparer à mener et gagner une guerre nucléaire contre la Russie.
La suite de ces événements initialement ambigus a fait
l’objet de grandes spéculations à l’Ouest. A l’époque, les tensions politiques
entre la Russie et les États-Unis et l’Europe étaient heureusement très faibles
mais nous savons que l’alarme a entraîné Boris Eltsine, alors le
dirigeant de la Russie, à être contacté et tenu étroitement informé par les
autorités militaires russes durant le suivi de la fusée jusqu’à ce que celle-ci
atteigne et dépasse son altitude maximale de 1.400 kilomètres.
La situation aujourd’hui est bien plus
dangereuse. [1]
Si la fausse alerte de 1995 était arrivée durant une
crise politique, les forces nucléaires russes auraient pu être lancées. Les
systèmes américains d’alerte lointaine auraient immédiatement détecté ce
lancement, ce qui aurait pu mener ainsi au lancement immédiat des forces
états-uniennes en réponse au lancement russe.
La raison est que les Russes n’avaient pas d’autre
choix que de présumer qu’aveugler ses déclencheurs d’alerte avancée serait une
tactique américaine visant à camoufler une bien plus grande volée d’ogives qui
n’auraient pas encore dépassé l’horizon du radar — mais qui auraient été
lancées plus tôt par des sous-marins Trident dans le nord de l’Atlantique.
Selon la « théorie » guerrière nucléaire, le chaos et
la confusion qui accompagneraient une attaque aveuglante pourraient ainsi
servir à détruire les forces russes au sol vulnérables avant qu’elles ne
puissent être lancées. Cette théorie guerrière particulière ne comprend
évidemment aucune évaluation crédible sur la façon dont les attaques et
contre-attaques consécutives aux événements de départ anéantiraient le monde
tel que nous le connaissons.
Si les alertes spatiales avancées de la Russie avaient
fonctionné, les chefs militaires russes auraient immédiatement vu grâce à des
satellites haut dans l’espace, qu’au-delà de la ligne d’horizon terrestre rien
n’indiquait un lancement depuis les sous-marins Trident dans le nord de l’Atlantique.
Ils n’auraient également constaté aucune activité dans le golfe d’Alaska où la
flotte Pacific Trident était en patrouille.
Il s’avère qu’à ce moment-là, la Russie disposait en
effet d’une observation satellitaire des champs de Grand Forks mais pas de
radars au sol opérationnels capables de détecter des missiles entrants venant
de Tridents, qu’ils soient dans l’Atlantique ou dans le Pacifique. En résumé, la Russie n’avait aucun moyen de savoir si
elle était vraiment attaquée ou si cette fusée isolée en pleine ascension
n’était qu’une simple coïncidence.
Aujourd’hui, dans un contexte politique différent, il
se peut que la même évaluation prudente de la trajectoire de cette fusée par
les dirigeants politiques et militaires russes ne soit pas possible. La Russie a récupéré la Crimée, soutenu la résistance pro russe dans l’Est de
l’Ukraine et entamé une modernisation majeure de ses forces conventionnelles [2]. Les États-Unis et l’OTAN ont répondu par
des sanctions qui, accompagnées de la chute vertigineuse du prix du pétrole,
déstabilisent l’économie russe et menacent la popularité du Président Vladimir
Poutine.
En réponse, comme l’a rapporté le Globe la
semaine dernière, la Russie a annulé le programme révolutionnaire de «
réduction concertée des menaces », datant de 1991, qui avait à la fois
sensiblement amélioré le dialogue visant à prévenir la prolifération nucléaire
et renforcé les normes de sûreté et de transparence au regard du traitement et
du démantèlement des armes nucléaires. Cette action s’est accompagnée d’une
nette escalade des opérations militaires et sous-marines russes, augmentant
ainsi les risques d’incidents indésirables qui aggraveraient davantage les
tensions.
2020 Doomsday Clock |
De surcroît, les États-Unis continuent sans relâche
leur modernisation implacable.
L’actuelle situation est si désespérée qu’il y a à
peine quatre jours, le Bulletin of Atomic Scientists a passé l’heure sur
leur horloge de l’apocalypse
de cinq minutes à trois minutes [avant minuit].
Un développement positif qui nous apportera davantage
de sécurité est que la Russie aura bientôt comblé les lacunes de ses réseaux de
radars d’alerte avancée. Cependant, les efforts de modernisation du large et
coûteux réseau de radars au sol se sont accompagnés de la décision d’abandonner
le système satellitaire spatial d’alerte avancée.
Ainsi malgré ce nouveau système de radar d’alerte
lointaine, sans l’avantage d’une assistance spatiale, Moscou n’aura toujours que six ou sept minutes au
plus d’alerte avancée d’une attaque d’un sous-marin Trident. Cet étroit
intervalle de temps est insuffisant à la réflexion, à l’évaluation et à la
prise de décision. Cette lacune dangereuse accroît fortement les risques
d’accidents irrémédiables impliquant les forces nucléaires stratégiques
centrales de la Russie et des États-Unis.
De plus, en sus des questions techniques importantes,
une énorme question non technique reste ouverte : les difficultés actuelles de
la Russie pousseront-elles Poutine à prendre des mesures malavisées mais
nationalistes ?
Les deux camps se doivent de rester très vigilants. Bien
que les États-Unis ne puissent pas contrôler les actions de la Russie, ils
peuvent agir de manière à réduire les décisions imprudentes de sa part (et de
la nôtre). Trois moyens d’y parvenir méritent considération.
Premièrement, les capacités militaires de l’OTAN devraient être
soigneusement renforcées afin d’accroître sa capacité à empêcher, et non
provoquer, de nouvelles mesures russes négatives. Notamment, la modernisation
actuelle des forces conventionnelles russes ne devrait pas permettre de produire
des forces supérieures à celles de l’OTAN. Cela exigera des engagements
financiers sensiblement plus importants de la part des puissances européennes.
Deuxièmement, les États-Unis devraient mettre un frein à leurs
efforts insensés et dangereux de modernisation de leur force nucléaire. Ce
programme crée l’apparence que les États-Unis se préparent à mener et gagner
une guerre nucléaire contre la Russie. La dissuasion nucléaire présente, avec
quelques modifications mineures, est déjà plus que suffisante.
Et enfin, la Russie devrait avoir accès aux technologies des
détecteurs satellisés spécialisés. Les Américains ainsi que les Européens
disposent de cette technologie et pourraient la fournir, aidant ainsi à
corriger cette lacune dangereuse en égalisant le terrain de jeu nucléaire.
De pareilles mesures pourraient facilement s’appliquer
sans risque de transfert d’information technique sensible sur les moyens de
fabrication de tels détecteurs et pourraient accroître les chances de survivre
à de futurs dangereux accidents d’alerte avancée.
On peut s’attendre à ceux-là avec certitude.
Par Thedore
Postol
Ancien conseiller auprès du chef des opérations
navales de la Marine américaine sur les systèmes tactiques d’armes nucléaires
et sur les défenses antimissiles. Il est professeur émérite de science,
technologie et politique de sécurité nationale au MIT.
Source : CommonDreams, Theodore Postol
Via Les Crises
Les
annotations dans cette couleur sont de H.
Genséric
Notes
Hannibal GENSÉRIC
je crois qu'ils sont devenus tous fous !!
RépondreSupprimerIl faut espérer que la puissance divine et éternelle soit !