Dans
l'immense bataille d'échecs géopolitique à laquelle participe Poutine,
calculateur hors pair, quelques chiffres intéressants entrant dans l'équation
du Grand jeu ne manqueront pas d'attirer l'attention...
60, comme le nombre de sanctions
prises par le système impérial américain contre Moscou depuis 2011. Dans un article malicieusement intitulé Les dirigeants russes
célèbrent le soixantième train de sanctions, un haut responsable s'amuse :
"On
dirait que c'est devenu une sorte d'amusement national là-bas. Nous pouvons
constater l'excitation des politiciens américains qui, persuadés de leur propre
exceptionnalisme, espèrent qu'il leur faut un petit effort supplémentaire afin
de dicter leurs conditions à la Russie. Cela n'arrivera jamais. Les opérateurs
de la machine à sanction devraient se renseigner sur l'histoire russe..."
Non
seulement ces sanctions des autoproclamées maîtres de l'univers n'ont pas
l'effet désiré mais elles jouent même en faveur de Vladimirovitch qui, depuis
des années, tente de faire rapatrier les riches et surtout leurs milliards dans
le circuit économique russe. L'hystérie américaine l'y aide grandement sans qu'il ait à faire un geste...
Un bonheur
ne venant jamais seul, la sanctionnite aiguë de l'empire accélère le processus
de dédollarisation au sein des grandes compagnies russes qui se mettent à
amasser des roubles. C'est par exemple le cas de Norilsk, qui
avait l'habitude d'avoir toutes ses réserves en devises étrangères il y a
quelques années encore :
Pour la
première fois de son histoire, ses dépôts en monnaie nationale sont devenus
majoritaires, et cet exemple est loin d'être un cas isolé. C'est tout bénéfice pour le Kremlin où l'on doit sabler le
champagne à chaque nouvelle sanction...
S300, comme le système que Moscou va enfin livrer à la Syrie. Aucune surprise pour le fidèle
lecteur, nous en parlions il y a quelques jours encore après
l'incident de l'Iliouchine-20 :
Une autre option consiste à livrer enfin les S-300 à
la Syrie, ce qui est "presque inévitable" maintenant d'après Serguey Balmasov, analyste à
l'Institut du Moyen-Orient à Moscou. Quand on sait ce que, malgré l'accident
d'hier, les S-200 améliorés sont capables de faire...
Coïncidence ou pas, il s'est encore passé quelque
chose d'intrigant dans le ciel syrien il y a quelques jours. Le 16 octobre, un
énième incident aérien a eu lieu entre Tel-Aviv et Damas, des jets israéliens bombardant une batterie antiaérienne prétextant un tir
syrien contre deux avions ayant auparavant survolé le Liban. Jusqu'ici, rien
que de très habituel même si l'affaire était presque concomitante à la visite
de Choïgu en Israël, ce que d'aucuns ont vu comme une petite démonstration de
force vis-à-vis de Moscou (précisons tout de même que les Russes ont été prévenus de l'attaque).
Manque de bol pour Bibi la Terreur, il y a comme un
air de couac. Que le ministre syrien de la Défense déclare que l'un des deux
F-35 israéliens ait été touché par un missile participe de la traditionnelle
guerre de l'information et il est difficile de confirmer ou d'infirmer les
dires de Damas. Plus intéressant, la presse israélienne a reconnu que le même jour, un F-35 avait été endommagé
par... des oiseaux (!) et qu'il prenait la direction du garage.
D'ici à penser que l'avion a en réalité été touché par
un vieux S200 syrien de l'époque soviétique, démontrant encore une fois l'inanité
du chasseur furtif le plus cher de l'histoire, il n'y a qu'un pas que beaucoup envisagent de franchir.
A Tel-Aviv,
c'est la soupe à la grimace. D'autant que, cerise sur le gâteau, les Russes y ajoutent le brouillage des communications, de la
navigation par satellite et des radars de bord de tout avion venant de la
Méditerranée. Si les Israéliens veulent survoler la Syrie, ça sera
maintenant à leurs risques et périls, en passant uniquement par le sud où les
attendront les S-300...
Certains analystes
parlent même de la fermeture totale du ciel syrien, ce qui ne semble pas encore
d'actualité, mais pourrait l'être si l'on en croit les paroles menaçantes du
ministre russe de la Défense, le déterminé Choïgu :
« Nous sommes convaincus que la réalisation de ces
mesures va refroidir les têtes brûlées et empêchera les actes
irréfléchis constituant une menace pour nos soldats. Dans le cas contraire,
nous réagirons conformément à la situation. "
Rappelons-nous
que, contrairement aux simagrées communicatives occidentales, les Russes ne parlent
jamais pour ne rien dire, ce que nous appelions un peu frivolement la "technique du
rhinocéros", qui dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit,
avance inexorablement, sans grandes annonces mais d'un pas sûr.
Il se
pourrait même que les S-300 aient déjà été livrés si l'on en croit une info concernant l'arrivée de deux avions cargo russes à
la base d'Hmeymim et qui devaient transporter autre chose que de la vodka et du
bœuf Stroganoff...
Tel-Aviv qui
pleure, Washington qui fait grise mine et se plaint d'une "escalade". Pour ne
rien arranger, un Sukhoï 35 a d'ailleurs apparemment intercepté, dans le ciel syrien, un F22 américain, censé
être furtif. Les Iraniens sont par contre tout sourire, les livraisons à
destination du Hezbollah pourront reprendre de plus belle. Cela consolera un
peu Téhéran de l'attentat d'Ahvaz, jalon supplémentaire de l'énorme bataille arc chiite VS sunnisme radical & Israël qui
conditionne le Moyen-Orient depuis des années.
Un bémol
toutefois. Nous rapportions l'année dernière un fait important :
On sait qu'il y a deux ans, Israël s'était entraîné en Grèce à contourner le S300 dans
l'optique d'une guerre contre l'Iran (on appréciera au passage la trahison
grecque...)
Y ont-ils
réussi ? Les Russes vont-ils livrer à Damas des systèmes améliorés ? Dans
l'éternelle course-poursuite entre l'attaque (aviation, missiles) et la
défense (systèmes anti-aérien et anti-missiles), les prochaines semaines
devraient nous apporter quelques réponses intéressantes...
2, comme le second gazoduc baltique
qui semble chaque jour plus inévitable. Là encore, le lecteur averti avait été prévenu :
A l'ouest, du nouveau malgré ce que pourrait en dire
Maria Remarque. Les travaux pour la pose du Nord Stream II ont débuté dans le golfe de Finlande, ce qui, selon la presse économique occidentale, signifie que le
projet est désormais inarrêtable.
Le fidèle lecteur ne sera pas surpris, nous étions les premiers dans la sphère
francophone à parier sur l'inéluctabilité du gazoduc baltique il y a deux ans :
C'est le genre de petite nouvelle banale qui passe
totalement inaperçue, pas même digne d'être évoquée dans les fils de dépêches
des journaux. Et pour une fois, je ne les en blâme pas, car seuls les initiés
peuvent comprendre la portée de l'information sur notre Grand jeu
énergético-eurasiatique.
Une première livraison de tubes est arrivée dans la presqu'île
de Rügen, sur la côte baltique de l'Allemagne, et il y en aura désormais 148
par jour, acheminés par trains spéciaux (chaque tuyau mesure en effet 12 mètres
et pèse 24 tonnes). Vous l'avez compris, il s'agit des composants du Nord
Stream II qui devraient commencer à être assemblés au printemps prochain.
Ainsi, même si aucune décision officielle n'a encore
été prise, ou du moins annoncée, le doublement du gazoduc baltique semble bien
parti (...) Gazprom prendrait-il le risque de les acheter et de les acheminer
sans avoir une idée assez sûre du dénouement ?
L'empire, obsédé par la perspective d'une intégration
énergétique de l'Eurasie, tentera encore par tous les moyens de torpiller le
projet mais ses atouts commencent à se faire rares... Et l'on catéchise plus
difficilement l'Allemagne que la petite Bulgarie à propos du South Stream.
Renouvelons la question : Gazprom prendrait-il le
risque de débuter les travaux dans le golfe de Finlande si Moscou n'avait pas
dorénavant l'assurance que rien ne pourra se mettre en travers du tube ? Il
semble que tout se soit décidé lors des rencontres Poutine-Merkel et lors du fameux
sommet d'Helsinki (coïncidence amusante) entre le Donald et Vlad.
Washington
semble avoir jeté l'éponge et renoncé à sanctionner les compagnies européennes qui
participent au projet, malgré l'obsession américaine - anglo-saxonne d'ailleurs, car les
Britanniques avaient la même approche au début du XXème siècle - de
séparer à tout prix la base industrielle allemande des ressources énergétiques
russes (tss tss Grand jeu, quand nous tu tiens...) La résistance opiniâtre de
Frau Milka et les réalités économiques sont tout simplement trop fortes.
Chose
intéressante, les
paiements de gaz se feront en euros et non plus en dollars, preuve
supplémentaire que l'empire se tire une balle dans le pied et détruit l'un des
principaux piliers de sa puissance (le billet vert) avec ses folles menaces de
sanctions. On pouvait déjà en voir les contours en mai :
Enfonçant un coin entre le centre impérial US et ses
vassaux européens quelque peu perdus depuis l'élection du Donald, le Kremlin
flatte l'égo de ces derniers en proposant, au Forum économique de Saint-Pétersbourg qui
vient d'ouvrir et où l'on retrouve du beau monde, de choisir l'euro pour son
commerce extérieur avec l'UE "si nos partenaires européens prennent
position sans équivoque" contre les sanctions américaines.
L'ours a lu tous les classiques de la stratégie
chinoise... Moscou soutient la montée de l'anti-système en Europe mais offre en
même temps une planche de salut pour le système eurolâtre désespéré de sauver
sa monnaie unique. Moscou préférait Trump à l'hilarante mais profite de la
scission créée par l'élection du Donald pour retourner les Européens contre
leur suzerain américain. Du velours...
Dans
l'optique d'un éventuel Nord Stream III, que nous avions évoqué et dont l'idée commence à faire son chemin
dans les têtes, Gazprom continue le développement du gisement géant Yamal qui
produira à terme 140 Mds de m3 annuels.
11,3
millions, comme le
nombre de barils de pétrole produits chaque jour par la Russie, qui bat pour
l'occasion son record historique. Jamais depuis la chute de l'URSS en 1991
autant d'or noir n'avait en effet été extrait. La remontée des cours du baril
n'y est évidemment pas étrangère.
Si la
vertigineuse chute de 2008 (1) était due à des raisons purement économiques -
la crise des subprimes devenue crise financière mondiale -, celle de
2014 (2) était bien plus géopolitique et mettait en scène l'inévitable Saoud :
Allié traditionnel des États-Unis depuis
1945 et, partant, des pays européens, le régime moyenâgeux des Saoud se
trouve maintenant à la croisée des chemins. Qu'elles sont loin les années 80 où
l'alliance américano-saoudienne mettait à bas l'URSS au terme d'un double
mouvement brillant mais très lourd de conséquences :
1. en
Afghanistan, appelé à devenir le "Vietnam des Soviétiques", soutien
aux moudjahidines et autres islamistes, dont un certain Ben Laden.
2. entente
pétrolière, Washington demandant à Riyad d'augmenter soudainement sa production
afin de faire baisser le baril à 10$ et ruiner l'URSS qui dépendait fortement
de ses exportations d'or noir.
Le premier
point a donné Al Qaïda, le 11 septembre 2001 et plus généralement l'expansion
du djihadisme (islamisme sunnite) international.
Le second a eu pour conséquence secondaire la ruine de
l'Irak d'un certain Saddam Hussein, "trahi" par ses alliés américains et
saoudiens qui l'avaient soutenu dans sa guerre contre l'Iran avant de le lâcher
en rase campagne. Pour compenser ses pertes, Saddam envahira en 1990 le Koweït
afin de mettre la main sur les réserves pétrolières gigantesques de ce petit
pays, entraînant la première guerre du Golfe (1991) et l'invasion définitive de
l'Irak par les États-Unis (2003), elle-même responsable d'une réaction en
chaîne aboutissant au bouleversement généralisé que connaît le Moyen-Orient
aujourd'hui.
Ennemie des chiites comme des sunnites
laïcs, l'Arabie saoudite wahhabite a deux bêtes noires : l'Iran (Wikileaks a bien
montré la
paranoïa hystérique des Saoud vis-à-vis de Téhéran) et la Syrie de
Bachar al Assad. Riyad comptait sans doute sur les États-Unis pour, comme au
bon vieux temps, renverser ces régimes impies, mais leurs récriminations sont
restées lettre morte. Non pas que les Américains en veuillent aux Saoudiens
d'avoir vraisemblablement
participé au 11 septembre, l'inénarrable Bush a fait ce qu'il faut pour
couvrir les Saoud, préférant placer sur le clownesque "axe du Mal"
des pays qui n'avaient rien à voir (Irak, Iran, Corée du Nord). Mais, après les
fiascos afghan et irakien, l'Amérique n'a simplement plus les moyens d'engager
une nouvelle guerre et le prix Nobel par défaut qui occupe actuellement (Obama)
la Maison blanche semble enfin l'avoir compris.
Ne manquant pas d'air, les cheikhs grassouillets de
Riyad sont outrés du "lâchage" américain et commencent à redistribuer
leurs billes. Si, à ce qu'il semble, un pacte pétrolier voulant rejouer le coup
de 1986 a été mis sur pied en septembre 2014 par Kerry et le roi Abdallah pour
"punir" la Russie sur l'Ukraine et la Syrie, les Saoudiens ont vite
retourné la chose pour plomber l'industrie US de schiste et... se
rapprocher des Russes !
Ces années
sont derrière et l'or noir remonte la pente pour tutoyer les 80$. Moscou en
profite pour renflouer ses caisses déjà bien remplies (rappelons qu'à environ
14%, la dette publique russe est ridiculement basse par rapport aux pays du
"camp du Bien") et en profitera pour acheter toujours plus d'or, mettant un peu plus à mal le système financier mis en place par l'Amérique au
lendemain de la Seconde Guerre Mondiale.
Publié le 24 Septembre 2018 par Observatus
geopoliticus
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