samedi 1 septembre 2018

De la Baltique à la mer Noire, Poutine au secours des pays maltraités par les États-Unis


Lorsque le président russe Vladimir Poutine, revenu de sa tournée de star au mariage de la Première ministre autrichienne Karin Kneissl, s’est présenté samedi après-midi au Palais Meseberg, au nord de Berlin, pour une rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel, cela a été une sorte de surprise. La réunion n’avait été annoncée que quelques jours auparavant.

Ils ont parlé pendant trois heures autour d’une carte aux menus variés : l’accord nucléaire iranien, l’impasse sans fin en Ukraine, l’aspect humanitaire en Syrie, le pipeline Nord Stream 2.
Angela Merkel ne fait pas partie du supergroupe Les Sanctionnés – donc elle n’est pas dans la même catégorie musicale que les multi-instrumentalistes Poutine, Xi, Rouhani et Erdogan. Elle n’a été que taxée par l’acte du soliste Trump, mais pas sanctionnée. Elle n’est pas Suzi Quatro, sans parler de Joan Jett, bien qu’elle puisse s’amuser à fredonner en se baladant,  « je me déteste/de t’aimer », quand elle est face à Poutine. Elle ressemble plus à une doublure de la chanteuse représentant l’Estonie au concours de l’Eurovision.
Il n’est donc pas surprenant que, lorsque la véritable surprise est apparue à Meseberg, cela ressemblait vaguement à un remix du concours de l’Eurovision.
Comme l’a confirmé Asia Times par des sources diplomatiques, un sommet avec l’Allemagne, la Russie, la France et la Turquie est en cours. Appelez cela une Eurovision élargie – avec la Turquie incluse en raison de son adhésion – chancelante – à l’OTAN.
Ostensiblement, le sommet concernerait la Syrie – selon le Kremlin. Mais ça ne suffit pas à convaincre, car la Syrie est déjà traitée en détail à Astana par la Russie, l’Iran et la Turquie.
Pourtant, lorsque les groupes Les Sanctionnés et Les Taxés se partagent la scène, ils incarnent un défi au soliste Trump. L’idée de grouper ces têtes d’affiche exceptionnelles est venue du membre leader de Led Zeppelin, Robert Plant, transfiguré en la personne d’Erdogan, avec même une date pour le concert – le 7 septembre. Une Merkel toujours prudente a admis, a minima, que le sommet « pourrait avoir du sens – il doit être bien préparé, donc il n’y a pas encore de date. »
Le fait est que les sherpas multinationaux y travaillent déjà. Parallèlement, les ministres des finances de la Turquie et de la France ont non seulement accepté de faire face aux sanctions imposées à la Turquie, mais ont également proposé une coopération économique bilatérale accrue. Le Roi Soleil Macron meurt d’envie de se voir intronisé vedette du groupe Les Taxés avec un disque de platine.
Je stream, tu streams, nous Nord-Streamons tous
Du point de vue de la Russie, le jeu très complexe va bien au-delà d’un nouveau concours de l’Eurovision. Il s’agit de la bataille géopolitique pour l’intermarium – entre la Baltique et la mer Noire.
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Poutine a tenu à souligner que le Nord Stream 2 est un « projet purement économique » de 9,5 milliards d’euros (10,8 milliards de dollars), ce qui ne signifie pas nécessairement que le transit de gaz à travers l’Ukraine sera interrompu : « Je connais la position de la chancelière fédérale. Tout ce qui compte pour nous, c’est que ce transit soit économiquement réalisable … et qu’il ait un sens économique. »
Gazprom – partenaire du Nord Stream 2 avec d’autres géants de l’énergie de l’Europe occidentale – avait déjà conclu en 2015 qu’un transit en Ukraine n’avait aucune valeur économique. Mais Merkel, après avoir tant investi dans le scénario Maïdan, reste de marbre : même après la mise en ligne du Nord Stream 2, elle insiste sur le fait que l’Ukraine « devrait jouer son rôle dans le transit du gaz vers l’Europe ».
Poutine est toujours obligé de faire preuve d’une patience digne de Lao Tzeu pour expliquer, une fois de plus, la charade de l’Ukraine : « Dans le contexte du règlement de la crise ukrainienne, qui, malheureusement, ne progresse pas du tout, nous sommes enclins à souligner l’absence d’alternative à la mise en œuvre des accords de Minsk, à noter notre intérêt à travailler dans le cadre du format Normandie et du groupe de contact, notre volonté de continuer à coopérer avec la mission spéciale de surveillance des Nations Unies. »
Kiev sabote les accords de Minsk sans arrêt – et c’est pourquoi il n’y a pas de cessez-le-feu stable, comme le reconnaît même Mme Merkel.
Donc, Poutine a dû revenir à l’évidence : Nord Stream 2 « permettra d’améliorer le système de transport de gaz européen, de diversifier les voies d’approvisionnement et de minimiser les risques de transit et, surtout, de répondre à la demande énergétique croissante de l’Europe. »
Le Nord Stream 2 – depuis la Russie le long du fond de la mer Baltique jusqu’aux côtes allemandes – devrait être prêt à la fin de 2019. Le nouveau gazoduc double la capacité du Nord Stream et suit le même itinéraire. Selon un récent sondage, le Nord Stream 2 a été approuvé par 66% des Allemands. Ainsi, le rêve du soliste Trump, qui veut que les Européens achètent de « grandes quantités » de gaz naturel liquéfié (GNL) fabriqué aux États-Unis, ressemble maintenant autant à un mirage qu’à une résurrection des Pink Floyd.
Je vois une mer et je veux qu’elle soit peinte en noir
La question du Nord Stream 2 prouve que Poutine et Merkel sont largement d’accord sur la géo-économie en mer Baltique. Ils sont aussi d’accord pour préserver le JCPOA, également connu sous le nom d’accord nucléaire iranien.
Et pourtant, Merkel ajoute une condition qui vient directement de Washington : l’Allemagne « suit les activités de l’Iran avec inquiétude, que ce soit le programme de missiles ou la situation en Syrie. » Vous pouvez amener la fille à refuser des taxes exceptionnelles, mais vous ne pouvez pas éradiquer l’exceptionnalisme de la fille.
La vision préférée de la Syrie quand Les Sanctionnés rencontrent Les Taxés est maintenant humanitaire, ce qui est nettement moins contentieux que creuser pour savoir qui a réellement gagné la guerre, pourquoi et comment.
Poutine a souligné qu’il y a des millions de réfugiés syriens en Jordanie, au Liban et en Turquie, et qu’ils sont « potentiellement un énorme fardeau » pour l’Europe : « C’est pourquoi nous devons tout faire pour que ces gens rentrent chez eux » et restaurer les « services de base » tels que les soins de santé ou l’approvisionnement en eau. Et « Je pense que tout le monde s’intéresse à cela, y compris l’Europe », reconnaît Mme Merkel.
Et puis il y a la superstar du groupe Les Sanctionnés, Erdogan et ses coups de sang imprévisibles : « [Je suis] Le marteau des dieux/Nous allons conduire nos navires vers des terres nouvelles/Combattre la horde, chanter et crier/Paradis, me voilà ! ».
Le renflouement de la Turquie par le FMI ne se produira tout simplement pas. Erdogan ne peut pas le vendre à son public local. Les options à l’horizon s’appellent le Qatar – des investissements de 15 milliards de dollars déjà engagés – et la Chine – prête à renforcer la connexion de la Turquie à l’Initiative des nouvelles routes de la soie (BRI).
Pendant l’administration Obama, la guerre froide 2.0 a été lancée contre la Russie en transportant l’ancien rideau de fer à travers l’intermarium, de la Baltique à la mer Noire. L’Ukraine antirusse post-Maïdan, qui borde la mer Noire, constitue un élément central de la stratégie.
Or, la Turquie fournit à Moscou l’ouverture parfaite pour briser l’échiquier géopolitique et détruire l’offensive concertée – qui comprend des éléments essentiels, depuis l’impitoyable extension de l’OTAN jusqu’aux sanctions d’une guerre économique déchaînée.
Ce qui se passe en Turquie a des effets sur un groupe de banques européennes exposées à la dette d’Ankara et à une contagion possible aux marchés émergents. Le cœur de l’action concerne la mer Noire.
Le rôle principal d’un Kiev anti-russe est de briser l’expansion de l’Union économique eurasiatique (UEE).
Le rôle principal de la Turquie au sein de l’OTAN est de briser l’intégration de l’Eurasie dans son ensemble, en particulier le croisement complexe entre BRI (Initiative des routes de la soie), l’EAEU et l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai).
La catastrophe « des rebelles modérés » en Syrie a contrecarré le plan de Washington de contenir la Russie hors de la Méditerranée orientale. La Crimée revenant en Russie a contrecarré la stratégie de Washington visant à contrôler la mer Noire. Même la doublure de la chanteuse estonienne de l’Eurovision, Merkel, commence à avoir un aperçu des complexités inhérentes au front unifié Syrie-Ukraine.
Tout le mystère du groupe Les Sanctionnés se développera autour du thème de sa capacité à jouer sa propre partition, en tant que super groupe, et comment. Le mouvement d’échec ultime du multi-instrumentaliste russe pourrait être de rendre la Turquie au minimum indifférente à l’OTAN – et d’instaurer en Mer Noire une cohabitation russo-turque. Paint it Black, entendez-vous l’écho des Rolling Stones  aux abords du Kremlin ?
Pepe Escobar
Traduit par jj, relu par Cat, vérifié par Diane pour le Saker Francophone
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