jeudi 20 septembre 2018

Le Pakistan: soufre-douleur des USA avant d’éventuelles sanctions anti-CPEC


L’armée américaine a suspendu 300 millions de dollars d’aides au Pakistan. Techniquement, ce n’est pas une « aide militaire » au sens propre que les USA ont coupée ; il s’agit d’argent qui « faisait partie du remboursement pour des décès et des pertes financières subies par le Pakistan dans la lutte contre le terrorisme », selon un communiqué du nouveau ministre des affaires étrangères pakistanais.

Une vue de la clôture mise en place entre Pakistan et Afghanistan
– source businessinsider.com
Mais quoi qu’il en soit, cette décision hostile est prise pour faire avancer plusieurs objectifs américains, reliés entre eux, le plus visible d’entre eux étant de faire payer au Pakistan les échecs américains en Afghanistan, et le plus stratégique d’entre eux étant de poursuivre la réorientation des USA vers l’Inde, choisi comme partenaire privilégié pour l’Asie du sud. 
Le prétexte supposé, selon lequel le Pakistan ne contribue pas suffisamment à la répression des groupes terroristes, est fallacieux, en ce que le pays n’héberge aucun de ces groupes, et a plutôt été leur victime au cours des décennies passées, à hauteur de 60.000 martyrs. Mais qu’importe aux USA, qui s’emploient à construire une histoire difficilement crédible, pointant le doigt vers la communauté pachtoune, active des deux côtés de la ligne Durand, dans une thèse voulant que les talibans traversent simplement cette frontière entre Afghanistan et Pakistan pour échapper aux frappes aériennes américaines. Ce n’est pas forcément ainsi que les choses se passent, et la situation réelle est plus complexe que cette histoire simpliste ne tente de l’expliquer.
Aucun militant armé ne pénètre le Pakistan par ces postes frontaliers officiels, qui figurent parmi les plus sécurisés au monde, et il ne serait pas réaliste d’attendre d’Islamabad qu’elle détecte des sympathies talibanes de la part des personnes sans armes qui pénètrent son territoire depuis l’Afghanistan. Quant à ceux qui pourraient essayer d’entrer de manière illégale, ils ont constaté ces dernières années que c’était plutôt difficile, et cela deviendra même impossible, une fois complètement installée la clôture à la frontière avec l’Afghanistan. Ces diverses raisons révèlent l’inanité de la thèse des USA, qui prétendent que le Pakistan « héberge des groupes terroristes » et les « aide activement » : c’est faux de A à Z et ces thèses visent à abîmer la réputation du Pakistan sur le plan international.
Les USA ont suspendu une aide de 300 millions de dollars au Pakistan
Il ne s’agit pas uniquement d’endommager le positionnement international du Pakistan et de « montrer le chemin de la vertu » au nouveau partenaire stratégique américain que constitue l’Inde : Washington se désengage peut-être également de sa relation – jadis proche – avec Islamabad en préparant le terrain pour pouvoir ensuite raconter qu’elle lui inflige des sanctions pour des raisons « de terrorisme », alors qu’il s’agit de mettre des bâtons dans les roues du Couloir Économique Chine-Pakistan (CPEC [China-Pakistan Economic Corridor, NdT]). Les USA travaillent à construire une perception du Pakistan en tant que pays « infesté de terroristes » afin de légitimer ce qui pourrait devenir une campagne de sanctions tous azimuts contre ce pays, à l’image de la campagne qui fait rage contre l’Iran et de celle qui a débuté plus récemment encore envers la Turquie.
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Étendre le terrain de guerre économique américain déjà existant à la région du Pakistan viendrait englober la partie sud-eurasienne de la « Terre du bord » [Rimland, NdT] de ce qu’on appelle le « Moyen-Orient étendu », qui constitue la moitié sud de l’anneau d’or des grandes puissances multipolaires, et cela ferait monter drastiquement les pressions sur cette construction géopolitique si prometteuse pour le XXIe siècle, en particulier au regard de la possibilité d’imposer des « sanctions secondaires » contre les sociétés qui utiliseraient le CPEC – et donc passant par le Pakistan. Tout l’enjeu est de diminuer l’attrait économique de ce couloir fondamental de la route de la soie, ce qui s’inscrit dans la stratégie américaine d’« isolement » contre le Pakistan et la Chine. Reste que ce processus pourrait bien involontairement venir accélérer les phénomènes d’intégrations qu’il tente de saboter.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le 7 septembre 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Par Andrew Korybko – Le 7 septembre 2018 – Source orientalreview.org
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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