Digitalisation, Russification, Démographie et Projets
Nationaux
L’année
2020 sera vraisemblablement, historiquement, l’année qui ouvrira le cycle
d’après, celui d’une époque au sein de laquelle Vladimir Poutine ne sera
plus le président de la fédération de Russie.
La
nomination de Mikhail Michoustine est une illustration de l’avenir que Vladimir
Poutine envisage pour la Russie et surtout des élites qu’il souhaite pour
diriger le pays.
Un
avenir bien différent de celui que nous promettait la grande majorité des
commentateurs et soit disant spécialistes de la Russie de 2000 à 2020.
Ancien chef du Service fédéral des impôts depuis
2010, Mikhail Michoustine est crédité d’avoir conçu et réalisé
l’extraordinaire numérisation des services fiscaux russes,
permettant d’augmenter les recettes fiscales russes de 20 a 35% du produit
intérieur brut et surtout de faire en sorte que «les impôts cessent d’être
un problème pour les entreprises russes».
Ingénieur de
formation, il aurait de fortes connaissances sur les technologies importantes,
telles que la blockchain et l’intelligence artificielle. Selon le PDG de Sberbank,
German Gref, Mishustin serait rare,
talentueux et polyvalent et l’un des managers les plus efficaces et les plus
qualifiés du pays. Pour le chef de la Chambre des comptes, Alexei
Kudrin, Mishustin a le doigt sur le pouls de la numérisation.
En plus d’être
conservateur sur le plan sociétal, c’est un musicien hors pair qui a conçu certaines
des chansons de Grigory Leps (ici et ici).
Anecdote, il
n’avait pas de page Wikipédia
avant sa nomination … La Kremlinologie est une science qui ne pardonne
pas.
Cette
digitalisation de l’administration russe ne concerne pas que le Service fédéral
des impôts mais l’ensemble des services administratifs.
Conséquence, la
capitale, ville pilote de cette digitalisation est devenue aujourd’hui l’une des villes les plus
connectées du monde, via notamment le travail de l’actuel maire
de la ville Serguey Sobyanine.
Depuis le début
du redressement national, entamé en 1999, Vladimir Poutine avait réussi la
création d’un système politique de rassemblement, fédérant les clans et permettant un équilibre des
intérêts. Comme l’a absolument parfaitement écrit Jean
Robert Raviot : « En
menant, selon la tradition soviétique, une politique des cadres destinée à
sélectionner les hommes les plus compétents, mais aussi les plus loyaux, le
président russe cherche à consolider les bases du système
corpocratique que d’aucuns qualifieraient de «capitalisme d’état» — qu’il a instauré,
système dont la pérennité lui importe sans doute davantage que son destin
personnel après 2024. »
La résignation
du gouvernement Medvedev, sanctionné pour n’avoir sans doute pas
suffisamment initié les réformes permettant la réalisation de la stratégie 2020
est un signe qu’au Kremlin, on a compris, à un niveau élevé, le défaut de
politique intérieure, mission du gouvernement russe. La figure de Medvedev et
de son gouvernement, relativement impopulaire en Russie n’était sans doute pas
le meilleur binôme pour les prochaines élections législatives dans un contexte
global qui voit un effritement de la confiance envers Russie Unie, sur
fond de contestations principalement sociales. Pour autant, ami d’enfance du
président et homme de première confiance, les nombreux commentateurs qui ont
mis Dimitry Medvedev « au placard » font une grosse erreur
d’analyse, le Poutinisme
fonctionne en grande partie sur le binôme confiance / loyauté.
Fait par contre
absolument impossible à envisager il y a même 5 ans : la Russie dispose d’un
gouvernement dont la moyenne d’âge est de 45 ans,
une génération de technocrates, moins politiques, une génération qui n’appartient pas à l’entourage
historique du président russe, ni aux réseaux de « Leningrad ».
Hormis Lavrov et Shoïgou, hommes forts du précédent gouvernement
et proches de Vladimir Poutine, seul l’ancien ministre des finances survit en
tant que figure des « libéraux » kremlin-compatibles issus
de la période Medvedev.
Fait encore plus
incroyable : les modifications de la constitution que le président a
initié verront l’obligation pour les fonctionnaires, ministres et candidats à
la présidence russe l’obligation de n’avoir ni double nationalité, ni
d’avoir résidé et obtenu à l’étranger un document de séjour ou résidence ;
et surtout d’avoir vécu en Russie 25 ans, contre 10 ans aujourd’hui.
Les enfants de
la grande majorité de l’élite russe actuelle, qui étudient à l’étranger sont
donc déjà hors-jeu des sphères de gouvernance de la Russie post-Poutine. Ne
seront pas Tsars de Russie les enfants dont le logiciel mental aura été façonné
à Yale, Stanford ou la Sorbonne, dieu merci pour la Russie ; exactement
comme c’est le cas en Chine.
Une réelle
transition, en profondeur, est en cours, scénario qui va totalement à
l’encontre du narratif prévu par les médias de masse, pris une fois de plus de
cours par la stratégie des élites russes dont on ne sait plus trop combien
elles ont de coups d’avance.
Une autre chose
importante est passé relativement inaperçue des commentateurs sur la
Russie : les changements de la constitution comprennent un amendement qui
affirme que désormais la loi nationale russe est
prééminente sur les décisions des instances juridiques internationales
telles que la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil de
l’Europe.
C’est une petite
révolution qui ne fait que confirmer les tendances de fond initiées en
2014 : « Le voyage épique
de la
Russie vers l’Europe a cessé et les élites russes sont passées de la
fascination à la compassion envers l’Occident et surtout l’Europe » ,
comme l’a si magnifiquement écrit Vladislav Surkov en 2018.
Sans surprise,
les premières déclarations du nouveau premier ministre auront été tournées vers
la nécessité de refaire augmenter le pouvoir d’achat des Russes qui a baissé
continuellement depuis 2014 et le début de l’ère des sanctions. Il faudra
regarder si la tendance à la hausse constatée en
fin d’année dernière pour la première fois depuis 2014 est une tendance lourde
ou pas.
Les faibles
revenus d’une part importante de la population sont un problème «particulièrement
aigu» qui constitue une «menace directe» pour l’avenir
démographique de la Russie en ne
permettant pas aux familles de faire le nombre d’enfants qu’elles souhaiteraient,
à savoir 2,5 enfants / famille selon les études faites ; ceci explique la dimension absolument
incroyable du volet social et démographique que les autorités russes vont
déployer au cours des prochaines années.
Lors de son
premier discours à la Douma, le nouveau Premier ministre a nommé six priorités
pour son poste de premier ministre : lancer un nouveau cycle
d’investissement ; utiliser efficacement les ressources allouées aux
projets nationaux, que nous détaillons ci dessous ; développer le
complexe militaro-industriel ; stimuler le développement technologique de
l’économie ; favoriser l’expansion du secteur agricole ; et
développer les infrastructures de transport pour réduire les disparités
régionales.
La décision du
Tsar Poutine de rompre l’architecture du Tandem sous sa forme actuelle aura été
une surprise pour tous les experts de la Russie et autres kremlinologues avertis
; on imagine ce qu’il en sera pour la succession, qui, selon tout
vraisemblance, est déjà organisée.
Le départ du
président russe de sa fonction ne signifie sans doute pas pour autant son
départ complet de la scène politique. S’il semble désormais quasi certain que Vladimir Poutine
ne sera pas président de la Russie de 2024 à 2030 sauf cas de force
majeure ; il semble cependant plausible qu’il continuera à occuper une
position dominante qu’elle soit au sein du conseil de sécurité, ou ailleurs.
Le Tandem « pourrait »
se retrouver à diriger les deux conseils, de sécurité et d’état, afin d’assurer
un accompagnement de la nouvelle gouvernance présidentielle et législative qui
émergera des législatives de 2021 et de la présidentielle de 2024.
La mission pour
le Tsar sera sans doute ailleurs : assurer durant un laps de temps le bon
fonctionnement de la transition, et de façon plausible poser les derniers
fondements nécessaire pour permettre au Poutinisme de survivre à Vladimir
Poutine et ainsi
permettre « à l’État, cette grande
substance secrète de l’histoire russe qui, en 1991 bascula dans le gouffre et
fut réduite en cendres, de continuer a se relever, lentement, sûrement, de plus
en plus rapidement, inébranlable et invincible dans son mouvement, car en
lui, en l’État, agit le destin. Et cet État a choisi Poutine pour conduire
le processus historique en Russie.
Ce n’est pas Poutine qui construit l’État, c’est l’État qui
construit Poutine. »
Détails des projets nationaux 2020 – 2024
Les projets
nationaux sont un
Grand Projet initié par le gouvernement russe en 2019, nouvelle version des
projets prioritaires de 2005, et devant être réalisés durant la période
2019-2024 (soit au cours du dernier mandat de Vladimir Poutine) et pour la
réalisation duquel ont été attribués 25.000 milliards de roubles soit
350 milliards d’euros au cours actuel sur 6 ans.
Les projets
comprennent :
Le plus gros lot est
celui des infrastructures « magistrales » notamment
– Les
routes ;
– Les routes
trans-fédérales notamment les autoroutes et les axes entre la Russie et la
Chine ;
– Les
ports ;
– La
construction de 8 brise-glaces ;
– La route
maritime du nord et ses infrastructures ;
– Les voies
ferrées ;
– Les
canaux ;
– Multiplier le
transport de fret par 8 ;
– Augmenter de
50% la capacité globale de transport containers du pays ;
–
Améliorer l’indice de performance logistique du pays pour passer de la
75-ième à la 50-ième place mondiale ;
– Augmenter de
35% des vols domestiques pour que la Russie passe de 105 millions à 140
millions de passagers en 2024, dépassant l’Allemagne et le Japon et arrivant au
niveau de l’Angleterre ; augmenter de 50% le nombre de vols inter-régions
ne passant pas par Moscou.
– Développer les
infrastructures énergétiques ;
– Installer une
première centrale nucléaire flottante en Tchoukotka ;
– Créer de
nouveaux bouquets d’oléoducs et gazoducs ;
Démographie
Vladimir Poutine
a annoncé la prolongation jusqu’en 2026 du programme de stimulation de la
natalité appelé «Capital maternel», lancé en 2007 et qui devait à
l’origine prendre fin en 2021.
L’objectif est
de redresser le taux de natalité a 1,7 enfants / femmes (comme en 2016,
contre 1,5 en 2019).
Le programme
consiste en une dotation accordée à partir du deuxième enfant, mais les statistiques montrent
que si le MatKapital a eu un effet très positif sur la démographie au cours des
10 dernières années, désormais le problème n’est plus le second enfant, mais le
premier. Le nombre de second, troisième, quatrième enfant augmente, mais le
nombre de premier enfant lui diminue depuis 2017.
Le Matkapital
(la dotation) sera désormais accessible dès le premier né et représentera dès
janvier une somme de 466 617 roubles (6 820 euros) à laquelle seront
ajoutés 150 000 roubles (2 192 euros) à la naissance du second. Les
familles qui comprenaient déjà un enfant avant cette mesure et attendent la
naissance d’un nouvel enfant percevront en une seule fois la somme cumulée pour
les deux, soit près de 9 000 euros. Enfin, pour le troisième enfant, la
législation russe continuera de proposer un remboursement des crédits
immobiliers à hauteur de 450 000 roubles (6 577 euros), soit pour trois
enfants jusqu’à un million de roubles de versements (un peu moins de
15 000 euros).
(source)
Il est également
prévu d’augmenter les allocations familiales mensuelles par enfant qui
n’étaient jusqu’ici versées que pour des enfants de moins de trois ans, l’âge
d’éligibilité étant repoussé à sept ans. Ces allocations, qui devraient
passer de 5 500 roubles en 2020 à 11 500 roubles en 2021,
continueront toutefois d’être réservées aux familles dont le revenu ne dépasse
pas le minimum vital fixé en 2019 à 11 000 roubles (160 euros) par mois et
par personne. Ce montant varie en fonction des régions et de la situation
socio-démographique (différents taux pour les enfants, les retraités et les
personnes en âge de travailler). (source)
Ce programme
devrait concerner 1,3
millions de familles.
En plus les
allocations pour les familles avec un enfant handicapé passeront de 5 500
à 10 000 roubles par mois. L’allocation d’invalidité ne s’applique qu’aux
familles dont le parent ne travaille pas. En moyenne, 470 000 personnes
reçoivent ce paiement par an.
Enfin les
familles avec trois enfants ou plus bénéficieront désormais de déductions
supplémentaires pour les taxes foncières ; Vladimir Poutine a également
promis d’exempter les familles nombreuses de l’impôt foncier sur les parcelles
allant jusqu’à six acres. Si une telle famille achète une parcelle de 10 acres,
elle sera taxée comme si elle n’était que de quatre.
Écologie
C’est le
troisième lot le plus doté ; les objectifs principaux sont la mise en
place d’un dispositif fédéral opérationnel et fonctionnel de gestion, le
traitement et tri des déchets ; la mise en place d’un programme
d’amélioration de l’air ; de l’eau et acquisition de nouvelles
technologies (eco-tech).
Route et sécurité routière
Construire de
nouvelles infrastructures ; réduire la mortalité sur la route d’un
facteur 3,5 afin de rendre la circulation routière en Russie plus sûre
qu’en Allemagne (!) [voir les nouvelles lois très sévères
visant à discipliner les comportements au volant, NdlA].
Santé
Baisser de 25%
les décès pour maladies cardiovasculaires ; baisser de 25% la mortalité
infantile ; développer une production nationale d’équipements médicaux.
Éducation
Objectifs
principaux : la digitalisation de l’enseignement ; multiplier par
quatre le nombre de spécialistes des technologies de l’informatique et que la
Russie passe du 17e au 10e rang des universités
mondiales.
Culture
Développement
des librairies et bibliothèques du pays.
Logement et
environnement urbain
Diminuer les
taux d’intérêts pour l’acquisition immobilière à moins de 8% et développer des
programmes d’aides pour l’acquisition de la propriété ; augmenter la
construction d’immobilier de logement de 79 millions à 120 millions de mètres
carrés ; mettre en place un programme pour embellir les villes et
l’environnement urbain.
Science
Faire entrer la
Russie dans le top 5 des nations en terme de publication d’articles dans les
domaines scientifiques prioritaires (la Russie est aujourd’hui 12e) ;
tripler le nombre d’instituts scientifiques ; doubler le nombre de revues
scientifiques et faire passer le pourcentage de chercheurs de moins de 39 ans
de 43 à 50%.
Économie numérique et
digitale
Augmenter les
dépenses informatiques de 1,7% à 5,1% du PIB ; Augmenter l’accès Internet
à haut débit de 73% à 97% des foyers russes (c’est-à-dire aux niveaux
scandinaves les plus élevés du monde) ; assurer l’accès au très haut débit
à toutes les infrastructures importantes (hôpitaux, cliniques rurales, écoles,
etc.) d’ici 2024 ; généraliser la 5G dans toutes les villes d’un million
d’habitant ; Faire que la Russie passe de 1% à 5% de part de marché dans
les technologies du Cloud.
Business
Augmenter la
part des petites et moyennes entreprises de 22,3% à 32,5% du PIB ;
accroître l’accès au crédit pour les PME ; créer des centres
d’entrepreneuriat; etc.
Productivité
Éduquer le
capital humain pour augmenter la productivité ;
Commerce international
Augmenter
l’exportation de la production nationale, notamment les machines, la production
chimique, métallurgique, pharmaceutique, les services, l’agriculture et la
production de bois.
Alexandre Latsa
Sources
- https://ourcountryindata.ru/naczionalnye-proekty-byudzhet-opisanie-infografika/
- https://mailchi.mp/bearmarketbrief/mishustin-impossible?e=71a962082d
- https://www.unz.com/akarlin/russias-13-plans/
- http://fincan.ru/uploadfiles/articles/bdee320f562e05931c223681a89008ff/source/byudzhet-nacionalynyh-projektov-1.jpg
Par Alexandre Latsa
− Le 4 février 2020 − Source Dissonance
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