Dans
l’ère de l’après-pétrole, Mohammed ben Salmane (MBS) perdra probablement son pouvoir
de patronage, mais l’effondrement de l’économie saoudienne est une mauvaise
nouvelle pour la région.
Le prince héritier d’Arabie saoudite
ne
peut plus plaider la jeunesse ou l’inexpérience. Cette époque est révolue.
Le résultat final est devant vos
yeux. La mauvaise gouvernance, les bévues et la guerre qui vont de pair avec
lui, en tant que prince héritier, ne feront que perdurer sous son règne.
Toute l’habileté politique dont est
capable le prince héritier a été exposée dans son appel
téléphonique orageux
au président russe Vladimir Poutine à la veille d’une réunion de l’OPEP le mois
dernier, ce qui s’est terminé par une calamiteuse guerre des
prix entre l’Arabie
saoudite et la Russie.
Une énorme erreur
MBS peut constater par lui-même que
cet appel fut une énorme erreur. Le cours du pétrole s’est effondré, les capacités de stockage seront rapidement
épuisées et les
compagnies pétrolières se retrouvent face à la perspective réelle d’avoir à
boucher des puits. Le secteur des hydrocarbures représente jusqu’à 50 % du produit intérieur brut du
royaume et 70 % de ses recettes d’exportation. Tout
cela vient de disparaître.
Comme tous ceux qui ont rencontré Poutine
vous le diront, vous pouvez négocier autant que vous le souhaitez avec le
président russe. Vous pouvez même vous opposer dans deux guerres régionales, en Syrie et en Libye, et conserver néanmoins une
relation fonctionnelle, comme le président turc Recep Tayyip Erdoğan.
Mais
ce qu’il ne faut absolument pas faire, c’est acculer Vladimir Poutine. C’est ce qu’a fait le prince
héritier saoudien en lui lançant des ultimatums et en lui criant dessus.
Poutine s’est contenté de crier en retour, sachant que la balance des paiements
de la Russie est plus en forme que celle de l’Arabie saoudite pour cette partie
de poker.
MBS découvre aujourd’hui la
faiblesse de sa main. Pour être juste, avant qu’il ne passe cet appel, il a suivi les conseils
de quelqu’un d’aussi arrogant et irréfléchi que lui. Le gendre et
conseiller pour le Moyen-Orient du président américain Donald Trump, Jared
Kushner,[1] a écouté ce que le prince héritier
saoudien était sur le point de faire et ne s’y est pas opposé.
Cela explique pourquoi la première réaction de Trump a été de saluer le krach
pétrolier. Trump pensait que pour chaque centime de réduction du prix du
pétrole, les États-Unis profiteraient d’un milliard de dollars de pouvoir
d’achat pour les consommateurs. C’était jusqu’à ce que son attention se porte
sur les conséquences de l’effondrement
des cours du pétrole
pour sa propre industrie pétrolière.
L’Arabie saoudite sans pétrole
Avec le Brent brut à moins de
20 dollars, MBS
est sur le point de découvrir ce qui se passera quand le monde n’aura plus
besoin de son pétrole. Dans le passé, cette hypothèse était reçue avec
condescendance. Plus maintenant. La perspective que l’Arabie saoudite devienne
une nation débitrice est réelle.
Le déclin financier de l’Arabie
saoudite est une réalité depuis un certain temps. Lorsque son père, Salmane, a
accédé au trône le 23 janvier 2015, les réserves de change
s’élevaient à 732 milliards de dollars. En décembre dernier, elles avaient
chuté à 499 milliards de dollars, soit une perte de 233 milliards de
dollars en quatre ans, selon l’Autorité
monétaire saoudienne
(SAMA).
Le PIB par habitant du royaume a
également diminué, passant de 25.243 dollars en 2012 à 23.338 dollars
en 2018, selon la Banque mondiale. Les économies s’amenuisent rapidement. Le
FMI a calculé que la dette nette atteindrait 19% du PIB cette année, 27%
l’année prochaine, tandis que le coronavirus et la crise pétrolière pourraient
pousser les emprunts à 50% d’ici 2022.
La guerre au Yémen, un coup d’État en
Égypte, des
interventions à travers le monde arabe, des achats
excessifs d’armes à
l’Amérique, des projets vaniteux comme la construction de la ville
futuriste Neom,
sans parler de ses trois yachts, tableaux de maîtres et palais… chacun joue un
rôle dans l’amenuisement du Trésor saoudien.
L’économie saoudienne était déjà en
difficulté avant la pandémie de
coronavirus, avec
un taux de croissance de seulement 0,3% et une baisse de 25% observée dans le secteur de la
construction depuis 2017. Ajoutez à cela le confinement imposé par le
coronavirus et l’annulation de
la oumra et du hadj, qui attirent jusqu’à 10 millions
de pèlerins par an, et 8 milliards de dollars supplémentaires disparaissent des recettes.
Mais le problème ne réside pas
uniquement dans les dépenses du prince héritier saoudien. Ses investissements
ont également mal tourné.
Mauvais investissements
L’un des signes indiquant de mauvais
investissements est la baisse de la valeur relative des fonds souverains. Le
grand frère Arabie saoudite se fait dorénavant éclipser par ses voisins
beaucoup plus petits du Golfe sur ce point.
Le principal fonds souverain
saoudien, le Public Investment Fund (PIF),
se classe au 11e
rang mondial,
derrière l’Abu Dhabi Investment Authority, la Kuwait Investment Authority et la
Qatar Investment Authority.
La perspective que l’Arabie saoudite
devienne une nation débitrice est réelle
Lorsque les fonds souverains sont
combinés par nation, les Émirats Arabes Unis arrivent en tête avec des fonds
d’une valeur de 1.213 milliards de dollars, puis le Koweït avec
522 milliards de dollars, le Qatar avec 328 milliards de dollars et
l’Arabie Saoudite avec 320 milliards de dollars.
Même avant la pandémie de
coronavirus, le FMI pensait que les plans visant à augmenter le PIF pour
atteindre les 1.000 milliards de dollars ne suffiraient pas pour générer les
revenus nécessaires si l’Arabie saoudite se diversifiait en s’éloignant du
pétrole.
Si « l’Arabie saoudite faisait
vraiment passer son PIF de ses 300 milliards de dollars actuels à cette
échelle, les rendements financiers à eux seuls ne constitueraient pas un
remplacement adéquat des revenus dans le monde de l’après-pétrole. La
production pétrolière de 10 millions de barils par jour, évaluée à
65 dollars le baril, se traduit par des recettes pétrolières annuelles
d’environ 11.000 dollars par Saoudien à l’heure actuelle », avait écrit le FMI.
Autre mesure du déclin, ce qui est
arrivé aux investissements eux-mêmes.
Masayoshi Son, le PDG de Softbank au Japon, a
rappelé comment il avait obtenu 45 milliards de dollars après avoir passé
seulement 45 minutes avec MBS pour
son Vision Fund de 100 milliards de dollars. « Un milliard de dollars
par minute », a rapporté Son. Softbank a annoncé il y a deux semaines qu’elle
s’attendait à ce que son Vision Fund enregistre une perte de
16,5 milliards de dollars.
Le PIF a payé près de 49 dollars l’action
pour sa prise de participation dans Uber Technologies Inc. en 2017. Les
actions d’Uber ont plongé depuis. Il a vendu la quasi-totalité de sa
participation de 2 milliards de dollars dans Tesla vers la fin
2019, juste avant que l’action Tesla ne crève le plafond, avec une reprise de
80 % cette année. À ce rythme, la participation
du PIF dans Newcastle United
ressemble à un pari sûr en comparaison.
Le krach pétrolier intervient moins
de deux semaines après que le PIF a déboursé un autre milliard de dollars en
prise de participations dans quatre compagnies pétrolières européennes et le
croisiériste Carnival – jetant ainsi le doute sur la stratégie de
diversification du PIF pour s’éloigner du pétrole. « Je ne comprends pas
pourquoi le PIF agit comme il le fait en ce moment alors que son pays va avoir
besoin de chaque centime », a déclaré un banquier du Moyen-Orient au Financial Times.
« Cela me rappelle beaucoup la
QIA [Qatar Investment Authority] dans ses premières années. Il y a une
stratégie, mais ils n’adhèrent pas à une stratégie. Ils veulent une grande
visibilité, mais ils veulent aussi faire de l’argent. Ils veulent diversifier
l’économie, mais se veulent opportunistes. »
Pas de relance financière
L’Arabie saoudite aujourd’hui ne
peut pas se permettre les mesures de relance financière mises en place par ses
voisins du Golfe pour amortir l’impact de la pandémie. Le royaume dépense 1 % du PIB pour soutenir son économie
pendant le confinement, comparé à 5,5 % pour le Qatar, 3,9 % pour
Bahreïn et 1,8 % pour les Émirats arabes unis.
De nombreux exemples montrent que
l’argent vient à manquer dans le royaume. Le roi Salmane a décrété que l’État paierait 60% des
salaires pendant le confinement dû au coronavirus.
Mais les employés de la plus grande
entreprise saoudienne de télécommunications, STC, ne perçoivent que 10 %
de leurs salaires, me dit-on, parce que le gouvernement ne donne pas à STC
l’argent pour le personnel au chômage technique.
Le ministère saoudien de la Santé a
réquisitionné des hôtels pour qu’ils fonctionnent comme des hôpitaux. Au lieu
d’indemniser les propriétaires d’hôtels pour la perte temporaire de leur
propriété ou de leur verser un montant forfaitaire, ils les obligent à payer
les frais de fonctionnement en plus des coûts de désinfection des chambres.
Ou prenez les réductions salariales
que les médecins égyptiens travaillant dans le secteur privé de la santé dans
le royaume sont forcés d’accepter. Ceux qui sont en congés annuels ne sont pas
payés. Ceux qui sont chargés de travailler depuis chez eux par leurs hôpitaux
pour réduire le risque d’infection, doivent soit prendre ce temps sur leurs
congés annuels, soit travailler gratuitement.
Ainsi, comme Bloomberg l’a signalé, la perspective que l’Arabie
saoudite devienne une nation débitrice est réelle. La question, c’est
quand.
Le Fonds monétaire international
(FMI) a calculé qu’avec un cours du pétrole entre 50 et 55 dollars le
baril, les réserves internationales de l’Arabie saoudite tomberaient en 2024 à
environ l’équivalent de cinq mois de couverture des importations. Avec le
pétrole à zéro, une crise de la balance des paiements autrefois impensable et
l’abandon du rattachement au dollar risquent désormais d’arriver.
Effet régional
Les deux piliers du plan de MBS pour
moderniser et réformer son pays s’effondrent. Son plan visant à générer des
investissements étrangers en vendant 5 % de la compagnie nationale
d’hydrocarbures, Aramco, sur les bourses étrangères n’est plus et aujourd’hui
le PIF, principal véhicule pour diversifier son économie en s’éloignant du
pétrole, est lui aussi plongé dans le chaos.
Beaucoup dans la région
applaudiraient la chute de MBS . Il a fait tant de mal à tant de gens, en
particulier en Égypte.
Dans l’après-pétrole, MBS perdrait son pouvoir de patronage, le pouvoir d’un oligarque qui peut dépenser
un milliard par minute sans ciller.
Mais l’effondrement de l’économie
saoudienne, qui depuis des décennies constitue la salle des machines de
l’économie de toute la région, se ferait rapidement sentir en Égypte, au
Soudan, en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Tunisie – qui envoient tous des
millions de leurs travailleurs et professionnels au royaume et dont les
économies sont devenues dépendantes de leurs envois de fonds.
Ce n’est pas une perspective qui
devrait être bien accueillie, par qui que ce soit.
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L’Arabie
saoudite a lancé sa guerre des prix du pétrole après une « engueulade
entre MBS et Poutine »
Le
prince héritier saoudien a menacé le président russe au sujet des réductions de
production de pétrole avant d’inonder le marché. « L’appel s’est mal fini »,
selon des sources de MEE
Le mois dernier, un appel
téléphonique entre le président russe Vladimir Poutine et le prince héritier
saoudien MBS a dégénéré en altercation juste avant que Riyad ne décide
d’inonder le marché avec son pétrole, initiative qui a fait dévisser les cours.
Des responsables saoudiens, au fait
de cet appel désastreux, ont confié à Middle
East Eye que cette querelle menaçait de ruiner des mois de détente
entre les deux pays, au cours desquels d’importants accords d’armement avaient
été conclus.
Cet appel est survenu juste avant
une réunion de l’OPEP+ le 6 mars, au cours de laquelle les principaux
producteurs de pétrole ont échoué à se mettre d’accord sur une réduction de la
production malgré la diminution de la demande mondiale en conséquence de la
pandémie de coronavirus.
« Juste avant cette réunion,
un coup de fil a été passé entre Poutine et MBS. MBS s’est montré très agressif
et a lancé un ultimatum : faute d’accord, les Saoudiens lanceraient une
guerre des prix.
« Cette conversation
était très personnelle. Ils se sont criés dessus. Poutine a rejeté l’ultimatum
et l’appel s’est mal fini »,
rapporte le responsable saoudien, s’exprimant sous couvert d’anonymat.
Avant de devenir agressif avec
Poutine, ben Salmane a fait le point avec Jared Kushner, gendre et
principal conseiller du président Donald Trump, qui a été qualifié de « plus grand défenseur du prince à la
Maison-Blanche », selon une seconde source qui s’est également
exprimée sous couvert d’anonymat.
« L’appel [passé à Poutine]
avait reçu la bénédiction de Trump via Kushner. Kushner n’a pas demandé à MBS
de le faire, mais il était au courant et n’y a pas mis de veto. Ben Salmane a
tiré ses propres conclusions », affirme la source.
Les cours du pétrole se sont effondrés après la réunion au cours de laquelle
l’OPEP, la Russie et les autres pays producteurs ont échoué à se mettre
d’accord sur les réductions proposées de 1,5 million de barils par jour.
Des rapports concernant cette rencontre laissaient entendre que l’Arabie
saoudite avait essayé de « défier au bras de fer » la Russie, amenant
un analyste du secteur à commenter : « Nous avons simplement constaté le danger qu’il y a
à acculer Poutine. »
La chute des cours du pétrole a été
initialement saluée par Trump, qui l’a présentée au départ comme
l’occasion de remplir les réserves stratégiques américaines avec du pétrole bon
marché.
« Nous allons les remplir à
ras bord, faisant économiser au contribuable américain des milliards et des
milliards de dollars, soutenant notre secteur pétrolier [et promouvant] cet
objectif merveilleux – que nous avons atteint, ce que personne ne pensait
possible – de l’indépendance énergétique », a-t-il déclaré.
Mais la Maison-Blanche a par la
suite fait marche arrière après les protestations des producteurs de pétrole
américains, dont beaucoup ont investi dans l’extraction de pétrole de schiste,
qui est plus chère, et ont besoin de prix bien plus élevés pour rentrer dans
leurs frais.
Lundi 27
avril 2020 –
NOTES de H. Genséric
Hannibal GENSÉRIC
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