Le
nom de Mohammad Kawtharani circulait déjà en Irak. Mais depuis
l'assassinat de l'Iranien Kassem Soleimani, c'est ce dirigeant du
Hezbollah qui a la haute main sur la politique irakienne, à tel point
que Washington offre désormais 10 millions de dollars pour toute information.
Ce
3 janvier 2020, alors que le monde apprend que le véhicule du général
Soleimani a été pulvérisé par un drone américain aux portes de
l'aéroport de Bagdad, la rumeur court que le cheikh Kawtharani a été
assassiné à ses côtés. Cette rumeur, rapidement démentie, est la preuve
que les noms des deux hommes étaient déjà étroitement associés sur le
dossier irakien, dans un pays où l'Iran veille jalousement à préserver
ses intérêts via ses alliés chiites, leurs partis et factions armées.
Elle témoigne aussi que le cheikh Kawtharani était appelé à gagner en
prérogatives avec la disparition de l'architecte de la stratégie
iranienne au Moyen-Orient.
Mohammad Kawtharani, dont peu de clichés existent, a pu rester dans l'ombre, en Irak comme au Liban, où sa discrétion est quasi totale. Washington offre désormais 10 millions de dollars pour toute information sur ce dirigeant du Hezbollah. Photo tirée du compte Twitter du programme Rewards4Justice du département d'Etat US. |
Pour
Washington, qui a placé Mohammad Kawtharani sur sa liste noire du
"terrorisme" dès 2013, ce Libanais participe à "la formation, au
financement et au soutien politico-logistique" de "groupes opérant hors
du contrôle du gouvernement irakien pour réprimer violemment les
manifestants" ou "attaquer des missions diplomatiques". Aussitôt après l'annonce de la juteuse récompense américaine, la semaine passée, de nouvelles rumeurs ont fleuri.
"Copie conforme"
Plusieurs
médias irakiens ont annoncé avoir appris "en exclusivité" que le cheikh
Kawtharani se trouvait à Bagdad pour des discussions avec des
responsables politiques, avant que tous ceux-ci ne démentent avoir
rencontré l'homme qui vaut à présent 10 millions de dollars. L'annonce
de cette présence à Bagdad est intervenue alors que l'Irak tente de se
doter d'un gouvernement. Tout sauf un hasard : à chaque fois qu'il a
fallu former un cabinet, ou prendre une décision politique majeure dans
le pays ces dernières années, c'est le général Soleimani qui était à la
manœuvre... flanqué de son lieutenant Kawtharani.
A
présent, le lieutenant est devenu "la copie conforme de Soleimani",
passant d'une réunion à un conciliabule au sein du cossu complexe des
bureaux du Premier ministre dans l'ultrasécurisée Zone verte de Bagdad,
rapporte un haut responsable irakien à l'AFP.
"Il
est en charge du dossier irakien depuis 2003" et la chute de Saddam Hussein qui a ouvert les portes à l'influence iranienne", argue de
son côté un proche du cheikh Kawtharani. "Il rapporte directement au
chef du Hezbollah Hassan Nasrallah", qui dirigeait avec Soleimani la
stratégie régionale de l'"axe de la résistance", réseau des alliés de
Téhéran au Moyen-Orient, poursuit ce cadre de la formation chiite.
"C'est le seul étranger -à part Soleimani- qui connaît tous les détails de la scène politique irakienne", dit un autre cadre du Hezbollah.
"C'est le seul étranger -à part Soleimani- qui connaît tous les détails de la scène politique irakienne", dit un autre cadre du Hezbollah.
Nationalité irakienne, aussi
L'histoire
irakienne de l'homme au turban blanc des docteurs en religion, père de
quatre enfants, a commencé il y a bien longtemps. Passé par le séminaire
chiite de Najaf, ville sainte à 200 km au sud de Bagdad, où il est né
de parents libanais avant de rentrer plus tard au pays, ce
quinquagénaire a épousé une Irakienne. Il parle couramment l'arabe
irakien -qui diffère sensiblement du dialecte libanais- et possède même
la nationalité irakienne.
D'abord
important au Liban où il a été un des cadres de la première heure du
Hezbollah, le cheikh Kawtharani joue désormais "plus d'un rôle" en Irak,
selon le spécialiste Hicham al-Hachémi, fin connaisseur des arcanes de
la politique irakienne. "C'est lui qui tire les ficelles au sein de la
scène chiite loyale à Téhéran", assure-t-il à l'AFP. Et même au-delà :
"depuis 2014, il a travaillé à réconcilier le pouvoir chiite à Bagdad
avec des forces sunnites qui lui étaient hostiles." Une fois Soleimani
et son lieutenant irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, chef des
paramilitaires pro-Iran en Irak, assassinés, il n'a fait qu'élargir son
champ d'action.
Fort
de ces relations, le cheikh Kawtharani peut aussi demander des faveurs.
Il y a quelques mois, "il a demandé plusieurs milliards de dollars en
Irak" dans le cadre la crise financière au Liban, assure à l'AFP un
diplomate irakien. Un responsable irakien confirme, tandis que
l'entourage du cheikh libanais dément.
Jusqu'ici,
Kawtharani, dont peu de clichés existent, a pu rester dans l'ombre, en
Irak comme au Liban, où sa discrétion est quasi totale. Mais les
millions posés sur la table par Washington pourraient changer la donne.
"Demander des informations sur lui, c'est la première étape avant un
possible assassinat ou une arrestation", s'alarme un proche. "Les
Etats-Unis n'envisagent pas actuellement d'assassiner Esmaïl Qaani", le
remplaçant de Soleimani à Téhéran, avance un cadre du Hezbollah. "C'est
mieux pour eux de viser une figure d'un parti plutôt que le représentant
d'un Etat."
*Source : L’Orient-Le Jour
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